Ces Chroniques musicales azuréennes retracent très exactement vingt-cinq années (de 1995 à 2020) de fréquentation assidue des salles et festivals lyriques du sud de la France par Yves Courmes (lyricophile passionné s’il en est) : l’Opéra de Nice essentiellement, l’Opéra de Monte-Carlo, les Chorégies d’Orange, le festival d’Aix-en-Provence ; mais l’auteur rend compte également de quelques escapades en des terres lyriques plus éloignées : Gênes, Turin, Fenice de Venise, Festival de Bayreuth (Yves Courmes est président du Cercle Richard Wagner Rive Droite), Teatro Colón de Buenos Aires, …
L’ouvrage se lit ainsi comme un Journal de bord, et l’on se plaît d’autant plus à suivre ces multiples pérégrinations musicales que la plume qui en rend compte est vive, alerte, dépourvue de pédantisme, et porteuse d’un discours objectif (Yves Courmes ose dire ce qu’il pense, même quand telle ou telle prestation, telle ou telle mise en scène l’ont laissé insatisfait) – mais jamais acerbe ou méprisant. Qui plus est, l’auteur parvient à lier précision (on a vraiment le sentiment d’avoir assisté aux spectacles décrits) et concision, qualité relativement rare dans le milieu journalistique… Mais surtout, l’ouvrage est un formidable témoignage de la vie musicale et lyrique dans le sud de la France et à Monte-Carlo au tournant du siècle : ces chroniques nous rappellent, si besoin était, que tout ne se joue pas qu’à Paris et que la vie musicale et lyrique en province – et singulièrement en Provence-Côte d’Azur – a été et est toujours d’une très grande richesse, malgré des moyens souvent nettement inférieurs à ceux octroyés aux théâtres de la capitale.
Que de grands noms du chant ont ébloui les spectateurs des opéras du Vaucluse, de l’Hérault ou des Alpes-Maritimes à la fin du siècle dernier… Faut-il rappeler que l’Opéra de Nice accueillit Régine Crespin dans Le Medium en 1984 ? Montserrat Caballé dans Luisa Miller ou Maria Stuarda en 1980, Andrea Chénier ou encore Manon Lescaut en 1981 ? José Carreras dans Tosca et Luisa Miller en 1980 ? Placido Domingo dans Samson et Dalila en 1985 ? Se souvient-on que l’Opéra d’Avignon proposa une Force du destin avec Caballé et Renato Bruson en 80, une Turandot toujours avec Caballé et Ricciarelli en 81, et surtout, en 82, un Don Carlo entré dans la légende, servi par une distribution à rendre jalouses toutes les premières scènes internationales (Mirella Freni, Stefania Toczyska, Veriano Luchetti, Nicolaï Ghiaurov, Giorgio Zancanaro, Luigi Roni) ?
Les chroniques d’Yves Courmes commencent quelques années plus tard, à partir de la saison 1995-1996. À Nice ou Monte-Carlo, ce sont alors rien moins que Simon Estes, Francisco Araiza, Chris Merritt, Rockwell Blake, Lella Cuberli, Gwyneth Jones, José Cura, Gregory Kunde, Viorica Cortez, Karita Mattila, Martine Dupuy (qui offrit à Nice – comme à Covent Garden – son Eboli, que Paris n’entendit jamais), Leo Nucci, Renato Bruson, José Van Dam, Roberto Alagna, Placido Domingo, Ruggero Raimondi, Juan Diego Florez, Matti Salminen, Vladimir Chernov, Angela Gheorghiu, Aleksandra Kurzak, Patrizia Ciofi ou Sonya Yoncheva qui se sont succédé sur les planches… La liste, loin d’être exhaustive, donne le vertige, mais il faut encore y ajouter la présence de metteurs en scène ou de chefs d’orchestre de talent : Pier Luigi Pizzi, Giancarlo del Monaco, Luc Bondy, Olivier Py, Patrice Caurier et Moshe Leiser dans la première catégorie ; Richard Bonynge – qui dirige en 1996 à Monte-Carlo une Fille du Régiment en présence de Joan Sutherland –, Heinz Fricke, Marcello Viotti, Dimitri Jurowski, Giacomo Sagripanti, Diego Fasolis dans la seconde.
Qui a dit, enfin, que les opéras du Sud étaient frileux en matière de programmation et affichaient trop souvent les sempiternelles Tosca, Carmen et Traviata ? En vingt-cinq ans, à côté des indispensables piliers du répertoire, on a ainsi pu applaudir Peter Grimes, Mort à Venise, Elephant man (de Laurent Petitgirard), la version française du Freischütz, Lucio Silla, Les Vêpres siciliennes, Les Huguenots à Nice, et à Monte-Carlo : Le Joueur, Ernani, Le Consul, Mazeppa, l’Amico Fritz, ou encore Vanessa…
Ce témoignage infiniment précieux de la vie musicale et lyrique à Nice et Monte-Carlo entre 1995 et la période Covid du début des années 2020 est, qui plus est, proposé dans une édition très soignée. Pour que notre bonheur fût parfait, on aurait aimé que les dates (ou du moins les mois ?) des représentations soient indiquées, et l’on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être l’ouvrage s’il avait été agrémenté de photographies des spectacles évoqués… Mais l’on imagine très bien les problèmes en cascade que cela aurait occasionné : recherche des photographies, obtention des droits, augmentation du nombre de pages, et donc du prix de vente, etc. etc. En l’état, le livre est très riche, très agréable à consulter (la couverture et le papier utilisé sont de grande qualité !), et surtout, outre une préface signée Roberto Alagna et une postface de Philippe Olivier, il comporte de très utiles index, faisant la liste des ouvrages lyriques, compositions musicales et compositeurs cités. Un ouvrage nullement réservé aux seuls lyricophiles azuréens, mais dans lequel tout amateur d’art lyrique trouvera son bonheur !
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Yves Courmes, Chroniques musicales azuréennes, préface de Roberto Alagna, postface dePhilippe Olivier, 687 pages (éditions EST, septembre 2022).