Livre – Le Musicien raté (ouvrage collectif)
Les aficionados, les critiques, les journalistes musicaux, les musicologues, bref tous ceux qui parlent de ou écrivent sur la musique sont-ils des musiciens ratés ? Et qu’entend-on exactement par l’expression « musicien raté » ? Cette notion se superpose-t-elle à celle de « mauvais musicien » ?
Autant de questions auxquelles le présent ouvrage se propose d’apporter quelques éléments de réponse, tantôt sur le mode sérieux , tantôt sur le mode humoristique, à travers 21 articles répartis en trois chapitres : « Écriture littéraire et critique musicale : au-delà du ratage », « Incarnations fictives », « Incarnations réelles ». Toutes les périodes, toutes les esthétiques, toutes les musiques sont concernées !
Les lecteurs de Première Loge seront bien sûr particulièrement intéressés par les articles de Matthieu Cailliez (« Le musicien raté dans les critiques d’Adolphe Adam et Hector Berlioz »), Marcin Stawiarski (« La cantatrice ratée : normes, surveillances et pathologies de la voix féminine »), Michela Landi et Marion Coste qui évoquent toutes deux Frédéric Molieri, interprète du rôle-titre de Don Giovanni dans la nouvelle « Les grands moments d’un chanteur » de Louis-René des Forêts, ou encore Syleline Bourion qui, dans « Le musicien dans la bande dessinée : forcément raté ? », évoque bien sûr l’incontournable Bianca Castafiore ! Hors du domaine lyrique, les auteurs proposent d’intéressantes réflexions sur la musique contemporaine (Nicolas Darbon : « Croûtes, déchets et merdes sonores : les ratés de la musique contemporaine »), l’univers de la variété avec une étude des passionnants Enfants du plastique de Thomas Clément, ou celui de la musique antique, avec un très intéressant article de Sylvain Perrot où l’on apprendra qu’en Grèce, le « bon » musicien était peut-être finalement plus le musicologue ou le musicographe… que l’interprète lui-même ! Ne manquez pas non plus certains portraits particulièrement savoureux, tel celui de Carl Ernst Bagge af Boo (immortalisé par Hoffmann dans sa nouvelle « Le Baron de B. »), probablement le seul professeur de musique qui ait jamais payé ses élèves pour les inciter à revenir suivre ses cours ! (Stéphane Lelièvre : « Le Baron de B. : fortunes et infortunes musico-littéraires d’un musicien raté »).
Enfin, un autre mérite de cet ouvrage à la thématique pour le moins originale est de nous donner envie de nous (re)plonger dans certains textes littéraires : outre ceux, déjà cités, de René-Louis des Forêts, E.T.A. Hoffmann et Thomas Clément, La Recherche de Proust (avec le personnage de Charles Morel, moins célèbre que Vinteuil), Le Musicien des rues de Grillparzer, l’ « Esquisse de la vie d’un virtuose » de Charles Barbara ou encore le superbe roman portugais Les Maia de José-Maria Eça de Queirós réservent de toute évidence bien des surprises, bien des centres d’intérêt au lecteur mélomane…
Signalons, pour finir, que l’ouvrage est dédié à la mémoire de la basse Eldar Aliev, au destin si tragique – et dont la courte carrière fut tout sauf celle d’un musicien raté…
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Le Musicien raté, ouvrage collectif sous la direction d’Emmanuel Lascoux, Stéphane Lelièvre et Marie-Hélène Rybicki. Aedam Musicae, 2022 (387 pages).