Trop de notes, ma chère Pesqué ?
En 2017, Emmanuelle Pesqué livrait au public la somme de ses recherches sous la forme d’une biographie intitulée Nancy Storace, muse de Mozart et de Haydn. Quelques années plus tard, l’historienne se fait romancière et reprend en partie le même matériau pour proposer Oublier
Mozart, fiction au cœur de laquelle figurent les Mémoires de la cantatrice, surtout connue aujourd’hui pour avoir créé le rôle de Susanna lors de la première des Noces de Figaro en 1786. Mais Emmanuelle Pesqué ne se contente pas d’inventer ces « Souvenirs de la Signora Storace », qui n’occupent qu’un tiers de son récit ; elle les enchâsse dans une narration allant de 1817 à 1830, soit de la mort de la soprano à la tentative par le compositeur britannique Vincent Novello de collecter des témoignages auprès de ceux qui avaient connu Mozart. L’action se déroule donc pour l’essentiel à Londres, et les protagonistes en sont les proches de Nancy Storace, sa mère et son fils principalement ; il est surtout question de testament et d’héritage. Quant à savoir si une liaison amoureuse unit Mozart à celle pour qui il écrivit l’air de concert « Ch’io mi scordi di te , la romancière ne tranche pas.
Ce que remarque surtout le lecteur, c’est que cette fiction, ce « roman presque vrai » selon l’Avertissement, présente au premier abord tout l’aspect d’un ouvrage universitaire, tant les pages en sont chargées de notes de bas de page, en partie pour clarifier des termes conservés en anglais dans le texte ou des éléments en relation directe avec le monde de l’opéra au XVIIIe siècle, qui n’a plus de secrets pour la romancière. Mais c’est là en partie seulement la justification de ces notes, car Emmanuelle Pesqué a par ailleurs fait le choix de rédiger son texte comme s’il avait été écrit il y a deux siècles, dans une langue truffée de mots désuets et d’expressions oubliées. Cela confère bien sûr au roman une saveur assez exceptionnelle, mais a pour contrepartie de rendre constamment nécessaires des notes sur le lexique, comme si le lecteur avait en mains un ouvrage ancien dont on respecte la lettre mais que presque plus personne ne pourrait comprendre aujourd’hui (pour autant, fallait-il donner en notes la définition d’une écritoire ou rappeler ce qu’est La Clémence de Titus ?).
Exercice de style certes fascinant en soi, mais on en vient parfois à se demander si ces « quelques notes marginales », toujours selon l’Avertissement, ne constituent pas une sorte de « tic » qui
parasite la fiction, comme si l’on avait affaire à une parodie d’édition scientifique d’un manuscrit inédit. On peut aussi avoir l’impression de lire la version française d’un texte anglais dont la traductrice aurait tenu à faire un sort au moindre archaïsme. Pourquoi, par exemple, placer dans les propos de Nancy Storace un terme comme onc, dont une note précise qu’il était « déjà très vieilli en 1817 » et que Furetière qualifiait en 1690 de « vieux et burlesque » ? Mais si Joseph II déclara, à l’issue de la première de L’Enlèvement au sérail, « Trop de notes, mon cher Mozart », jugeant ce singspiel « trop beau pour nos oreilles », le roman d’Emmanuelle Pesqué, lui, n’en est pas moins fort beau pour nos esprits.
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Emmanuelle Pesqué. Oublier Mozart, roman. Juin 2022.
Disponible sur Amazon et sur Kobo.com