Livre – Richard Wagner. Minna, Mathilde, Judith & Cosima. Correspondance (1842-1898). Une autre tétralogie

Mieux vaut être germaniste si l’on souhaite aujourd’hui découvrir la personnalité de Richard Wagner par le biais de sa correspondance : il faut alors de consulter la monumentale édition Breitkopf & Härtel, 27 volumes à ce jour (le dernier étant paru en 2021), couvrant pour l’instant  une période allant de 1830 à 1875.

En France, les différents ouvrages disponibles choisissent le plus souvent de publier un choix de lettres de Wagner avec un correspondant bien particulier : Franz Liszt surtout (Gallimard, 1943 ; Stalker, 2008 ; ou encore Institut de France, 1982) ; Minna (Gallimard, 1943) ; Cosima (Nizet, 2000 ; Mardaga, 2002) ; Nietzsche (Kimé, 2017) ; Judith Gautier (Gallimard, 1964) ; les Wesendonk : Otto (Calmann-Lévy, 1924) ou Mathilde (Richard Wagner à Mathilde Wesendonk : journal et lettres 1853-1871, Duncker, 1905).  On trouve aussi un choix de lettres françaises (Grasset, 2018), et surtout un riche florilège paru chez Fayard en 2018 (Bons baisers de Bayreuth : Richard Wagner par ses lettres. Choix de lettres et traduction de l’allemand par Christophe Looten).

La donne pourrait peut-être bientôt changer, grâce à un projet titanesque entrepris par Philippe Olivier et Samuel Tastet aux éditions EST : est paru en effet en juillet 2021 le premier volume d’une vaste collection (Bibliothèque Richard Wagner) qui devrait en comporter treize. Dans cette collection sera regroupée la correspondance du compositeur, non de façon chronologique comme dans l’édition allemande Breitkopf & Härtel, mais en fonction des correspondants. Ce premier volume est ainsi consacré aux quatre « femmes » de Wagner (d’où le sous-titre de l’ouvrage : « Une autre tétralogie »), Minna, Mathilde, Judith et Cosima, toutes quatre ayant joué un rôle particulièrement important pour le musicien : Minna et Cosima, les deux épouses, la première étant celle de l’union malheureuse ayant conduit à l’inévitable séparation, la seconde celle de la sérénité et du bonheur conjugal retrouvés ; Mathilde, l’inspiratrice des Wesendonck-Lieder – et dans une certaine mesure, par ricochet, de Tristan ; Judith enfin, fervente admiratrice de Richard, dont on dit qu’elle lui inspira les personnages des « filles-fleurs » de Parsifal, habituée du festival de Bayreuth, et autrice de plusieurs ouvrages sur le musicien (Auprès de Richard Wagner. Souvenirs), dont elle co-signa également la version française de Parsifal.

La correspondance permet certes de mieux connaître la nature des liens qui unissaient Wagner à ces femmes, mais pas seulement – tant ces lettres abordent également des thématiques ressortissant à la vie quotidienne, à l’art, ou aux conditions dans lesquelles Wagner fut contraint de l’exercer. Ce sont au total plus de 500 lettres qui nous sont données à lire en un volume de plus de mille pages, la correspondance s’échelonnant sur près de soixante ans (de 1842 à 1898). Ces lettres sont par ailleurs précédées d’une préface de Hans-Dieter Lucas, Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en France, d’un avant-propos dans lequel Yves Courmes, président du Cercle Richard Wagner Rive Droite à Nice, évoque avec nostalgie l’éveil de sa conscience musicale et de son amour pour l’opéra alors qu’il était enfant avant de rappeler, dans ses grandes lignes, l’histoire du Cercle Richard Wagner, de ses balbutiements à la célébration de ses dix années d’existence, et d’une introduction de Philippe Olivier expliquant la logique qui sous-tend l’architecture du volume. (Manque en revanche un index des noms d’œuvres et/ou de personnes, qui aurait facilité les recherches ponctuelles au sein de ces 536 lettres – mais on imagine très bien le travail colossal supplémentaire  qu’un tel index aurait demandé…).

Il est à noter qu’outre l’intérêt majeur des documents rassemblés  (le fait de lire Wagner nous donne l’impression d’entendre sa voix et de le côtoyer au quotidien, avec ses humeurs, ses colères, son lyrisme, sa tendresse, ses découragements, ses enthousiasmes – ce à quoi aucune biographie, aussi savante et talentueuse soit-elle, ne parviendra jamais), l’ouvrage a fait l’objet de soins tout particuliers et constitue un livre extrêmement agréable à consulter : la reliure en est épaisse, le papier de qualité, et surtout le texte est aéré, les nombreuses et riches notes explicatives étant placées non pas en fin de volume ou en bas de pages, mais sur le côté, ce qui en facilite grandement la lecture. L’ouvrage est par ailleurs agrémenté de fort beaux portraits signés Maria Mikhaylova.

Bref, si vous comptez des wagnériens parmi vos amis ou les membres de votre famille… voici un cadeau de Noël tout trouvé !

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Richard Wagner. Minna, Mathilde, Judith & Cosima.Correspondance (1842-1898). Une autre tétralogie. Préface de Hans-Dieter Lucas. Avant-Propos d’Yves Courmes. Introduction et notes de Philippe Olivier. Édition établie par Philippe Olivier et Samuel Tastet.  EST-Samuel Taste Éditeur, juillet 2021.