Livre – Offenbach, musicien européen
Le bicentenaire Offenbach, comme le rappellent Jean-Claude Yon, Arnold Jacobshagen et Ralf-Olivier Schwarz dans la préface du présent ouvrage, est loin d’avoir tenu toutes ses promesses : la résurrection de Maitre Péronilla ou de Madame Favart, la parution de l’intéressant M. Offenbach nous écrit (« Lettres au Figaro et autres propos réunis et présentés par Jean-Claude Yon », chez Actes Sud/ Palazzetto Bru Zane) ne dissipent pas la déception de plusieurs rendez-vous manqués : l’Opéra de Paris (ou n’importe quelle autre grande scène nationale) a ainsi raté l’occasion de proposer Die Rheinnixen en version scénique (seul l’opéra de Tours, en France, a tenté l’aventure en 2018 grâce au metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau), ou une version des Contes d’Hoffmann musicologiquement plus défendable que la production Carsen, reprise depuis plus de 20 ans et qui n’a maintenant plus rien à nous apprendre. Faut-il rappeler, par ailleurs, que des œuvres aussi majeures que Robinson Crusoé ou Le Pont des Soupirs continuent de sommeiller dans des archives d’où personne ne semble pressé de les sortir ?
Cet ouvrage collectif Offenbach, musicien européen est le reflet d’un colloque international que les organisateurs ont judicieusement choisi de monter à Cologne et à Paris, moyen efficace de rappeler la double origine du compositeur mais aussi son rayonnement européen – pour ne pas dire mondial –, le succès d’Offenbach ayant comme on sait rapidement franchi les frontières hexagonales. Les intitulés un peu attendus des quatre parties qui composent l’ouvrage (« Étapes d’une vie, étapes d’une œuvre », « Regards sur le répertoire offenbachien », « Diffusion et réception », « Postérité d’Offenbach ») ne doit pas cacher l’originalité des articles, qui abordent avec pertinence certaines problématiques aussi bien historiques que musicales (Richard Sherr, « Allusions musicales dissimulées et supprimées dans Pépito »), littéraires (« Les discours littéraires dans les livrets mis en musique », par Albert Gier), musico-littéraires (« La forme et le sens de “Bu qui s’avance” par Hugo Rodriguez), génériques (le « grand spectacle » au théâtre impérial du Châtelet avec « La Belle Hélène contre L’Africaine » par Gesa zur Nieden, ou « Danses bouffonnes, à l’ombre du grand opéra et de l’opéra-comique » par Stephanie Schroedter), dramatiques (« “J’ai reçu le premier acte… c’est trop long” . Aspect pour une analyse de l’opéra chez Offenbach » par Alexander Grün) ou encore sociologiques (« Le plus parisien de tous les Parisiens. Jacques Offenbach dans les nécrologies » par Arnold Jacobshagen).
Signalons également l’intéressante mise en abyme proposée par Jean-Claude Yon, offenbachien émérite s’il en est (« Un autoportrait diffracté. Les figures de musiciens dans le répertoire offenbachien »), et notons enfin que le présent ouvrage suscite la curiosité du lecteur quant à certaines œuvres (très) peu connues, telles la mystérieuse Duchesse d’Albe (Matthias Brzoska) ou encore les partitions composées par le musicien pour la Comédie française (Roxane Martin) : un directeur de théâtre, un chef auront-ils un jour la curiosité d’exhumer ces pages, et l’idée de nous faire entendre Dom Juan, Le Malade imaginaire, Le Barbier de Séville ou Le Médecin malgré lui agrémentés des musiques qui étaient utilisées au Théâtre-Français dans les années 1850 ?
Voilà en tout cas un ouvrage original, richement documenté, qui complète de façon on ne peut plus bienvenue notre connaissance du compositeur et de sa réception par ses contemporains et ses successeurs.
Et puis tout n’est pas qu’affaire de dates et d’anniversaires dans la défense et la mise en lumière d’un musicien et de son œuvre : espérons que nous n’aurons pas à attendre 2080 ou 2119 pour qu’Offenbach soit de nouveau célébré. Rêvons un peu : l’œuvre du musicien est bien sûr suffisamment riche et variée pour permettre la création d’un festival international qui lui soit consacré. Se souvient-on que, dans les années 80, était organisé à Carpentras un festival « Offenbach et son temps », ou alternaient titres célèbres (Viorica Cortez y a chanté une Grande-Duchesse de Gérolstein) et d’autres ouvrages plus rares, dont plusieurs pièces en un acte ?… La formule avait de quoi séduire et mériterait d’être de nouveau questionnée !
Offenbach, musicien européen. Ouvrage collectif sous la direction de Jean-Claude Yon, Arnold Jacobshagen et Ralf-Olivier Schwarz. Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, novembre 2022 (499 pages, 45 €).