Il n’existait pas encore de livre en français sur Mario Lanza, aucune des biographies du célèbre ténor américain publiées en anglais n’ayant été traduite dans notre langue. C’est cette lacune qu’ont voulu combler Marcel Azencot et Alain Fauquier, respectivement président et vice-président de l’Opéra Club de Paris Mario Lanza, avec un livre qu’ils présentent modestement non comme une biographie « mais plutôt récit, escapade, évocation et promenade de mémoire ».
C’est évidemment la passion qui a guidé la plume de ces deux auteurs pour retracer le parcours d’un artiste à part, qui ne participa qu’à trois représentations d’opéra sur scène (Les Joyeuses Commères de Windsor de Nicolai à Tanglewood en 1942, et Madame Butterfly pour deux soirs à la Nouvelle-Orléans en 1948), mais qui jouit d’une célébrité interplanétaire au cours de sa courte vie – né en 1921, il devait mourir des suites d’une phlébite en 1959 – et qui fit vendre plus de disques d’opéra que les plus grands noms du monde lyrique. De son vrai nom Alfredo Cocozza, rebaptisé en 1948 du pseudonyme beaucoup plus harmonieux de Mario Lanza, le ténor natif de Philadelphie eut le privilège ambigu d’être très tôt happé par Hollywood. Marcel Azencot et Alain Fauquier montrent bien que ce qui allait être un tremplin extraordinaire pour sa carrière fut aussi un « piège doré » qui devait se refermer sur l’artiste et le broyer. Doté d’un timbre somptueux, travaillé essentiellement grâce à l’écoute de disques – il était plus que réfractaire au solfège –, Mario Lanza commença par donner quelques concerts, notamment des récitals avec la soprano Frances Yeend et le baryton-basse George London (le « Bel Canto Trio »), mais très vite, et y voyant un « simple détour », il fit la « rencontre dangereuse » de producteurs qui voudraient le transformer en Clark Gable chantant. Et si la nature l’avait doté d’une voix pleine de séduction et d’un physique avenant, les exigences du cinéma américain étaient alors sans pitié, et c’est ainsi que commença toute une série de régimes amaigrissants qui allaient définitivement lui détruire la santé. Mesurant 1m72, Mario Lanza passa sa vie à osciller constamment entre 75 et 118 kilos : les studios lui faisaient enregistrer la bande son des films en amont, quand il était en surpoids, et exigeaient ensuite qu’il perde de vingt à trente kilos en vue du tournage. En dehors de The Great Caruso, la MGM puis la Warner ne lui firent tourner que des navets, uniquement mémorables grâce aux morceaux musicaux qu’il y interprétait (le livre détaille notamment les deux extraits d’Otello figurant dans Serenade, tourné en 1954 d’après un roman de James McCain). Touchant des cachets renversants – il aurait gagné le double de Frank Sinatra s’il avait accepté de chanter à Las Vegas –, le ténor était une véritable idole des foules, et anima pendant deux ans son propre « Coca Cola Show » à la radio, mais il s’attira bientôt l’inimitié de la MGM. Dépression, alcool, abus de nourriture et relations sexuelles sans lendemain, Mario Lanza mourut à 38 ans alors qu’il était l’objet de cette adulation hystérique que susciteraient plus tard les stars du rock.
Marcel Azencot et Alain Fauquier s’appliquent avec raison à démentir quelques mythes qui voudraient réduire le ténor à un chanteur de studio, à une voix fabriquée. Certes, il utilisa souvent le micro lors de ses concerts, mais pas toujours, et à de nombreuses reprises il put remplir de sa voix seule des salles très vastes, et à l’acoustique peu flatteuse. Qui sait quelle aurait été sa carrière s’il avait pu chanter sur scène au cours de la saison lyrique qui suivit sa mort, ainsi que plusieurs théâtres italiens le lui avaient proposé, un Pagliacci devant entrer en répétitions en janvier 1960 ayant même été conclu avec Rome. A défaut, on ne peut que rêver en écoutant les enregistrements que légua Mario Lanza – nombreux, mais sans aucune intégrale d’opéra, bien sûr – ou en admirant le copieux cahier photographique qui accompagne ce volume.
Marcel Azencot et Alain Fauquier, Mario Lanza, la voix du cœur. Editions du Cordeau, 2022. ISBN 978-2-38091-041-4. 320 pages, 25 euros
2 commentaires
Cher Monsieur
Merci pour votre compte rendu de notre ouvrage sur Mario Lanza. Le farfallone amoroso a pris le temps de la lecture complète du livre, qu’il en soit remercié. Une correction : cette publication n’est pas à compte d’auteur. Un éditeur indépendant a pris le risque de son métier. Qu’il en soit aussi remercié…
En attendant, quel beau site que Première Loge ! Et quel travail ce doit être !
Cordialement
Marcel AZENCOT
Cher Monsieur Azencot, un grand merci pour votre retour que je transmets aussitôt à Laurent Bury. Sa critique m’a vraiment donné envie de lire votre ouvrage que je vais me procurer très rapidement! Je corrige tout de suite l’erreur concernant la formulation « à compte d’auteur ». Bien à vous. Stéphane Lelièvre.