Si Augusta Holmès connut la renommée de son vivant, l’invisibilisation de son œuvre fut le triste lot de sa postérité jusqu’aux années 2000. Différemment de la première biographie (G. Gefen chez Belfond, 1987), celle-ci a l’originalité de s’appuyer sur la presse et les écrits contemporains de la compositrice, restituant ainsi les combats de son temps. La misogynie, l’anti-wagnérisme, la modernité disqualifiée agitent sourdement ces témoignages, avec une juste distanciation maintenue par la plume alerte d’Hélène Cao. Elle se lit avec facilité et intérêt, ménageant de surcroit quelques chapitres synthétiques sur une personnalité. Ce volume de poche (voir référence et prix) participe au renouveau des études sur les compositrices, ouvert par Florence Launay en France, et de la discographie d’Holmès : Ludus Patria (label La Nuit étoilée, 2021), coffret Compositrices (label Palazzetto Bru Zane).
Poétesse, peintre, pianiste et chanteuse de talent, Augusta Holmès (1847-1903) est une compositrice irlando-française renommée dans le Paris des Expositions universelles, sous la IIIe République. Une éducation libre et une formation musicale hors du Conservatoire, complétée auprès de César Franck, portent les germes d’un affranchissement des conventions chez celle qui créa sans tutelle masculine : ni épouse ni muse, seulement compagne de Catulle Mendès (et mère de leurs 5 enfants). Si cette émancipation déplaît à la presse conservatrice, son œuvre est toutefois largement diffusée tant ses compétences se doublent d’un tempérament passionné et d’une énergie ambitieuse (qui lui fait adopter la nationalité française). Délaissant progressivement les pièces dites de salon – quelques 130 mélodie entre autres – et d’église, la compositrice s’attaque à la composition orchestrale après 1870. En cela motivée par la révélation de L’Or du Rhin de Wagner (qu’elle rencontre) à Munich. Dans sa démarche, elle est peu à peu soutenue par les chefs d’orchestre des Sociétés de concert, à Paris (Pasdeloup, Lamoureux, Colonne).
Pour gravir les échelons de la renommée, elle s’attache à présenter les concours que la IIIe République met en place. Tel celui de la Ville de Paris avec Lutèce (1877), puis avec Les Argonautes (1880). Composées dans la lignée berliozienne et franckiste, les légendes-symphonies Irlande ((1882), Pologne (1883) deviennent prisées dans l’Europe du réveil des nations. Son patriotisme républicain éclate enfin dans l’ode-symphonie Ludus pro patria (1888) à la Sté des concerts du Conservatoire, suivie de l’Ode triomphale (sorte de symphonie chorale « des Mille ») qui retentit avec panache lors du centenaire de la Révolution française. Toutes œuvres qui enflamment les publics de concert et les citoyens des commémorations dans l’espace français. Ses pairs sont également élogieux, tels Saint-Saëns, Ernest Reyer, Jules Massenet.
Lorsque l’Opéra de Paris lui ouvre ses portes, serait-ce la première commande qu’on daigne octroyer à une compositrice sous la IIIe République ? Après trois œuvres lyriques non représentées (dont Astarté), Augusta compose La Montagne noire sur ses propres vers dont elle affirme que leur caractère est « héroïque, amoureux … sensuel même » dans la presse. En dépit d’interprètes fameux (Lucienne Bréval, Maurice Renaud), la création au Palais Garnier en 1895 déchaîne l’anti-wagnérisme virulent d’une fraction des critiques, autant que les préjugés antiféministes les plus indigents – « La montagne a accouché d’un trombone » … Le rideau tombe après la 13e représentation et le crépuscule de la compositrice s’ensuit.
Aussi attendons-nous avec impatience la recréation de La Montagne noire, une production du Palazzetto Bru Zane au Théâtre de Dortmund, à compter du 13 janvier 2024.
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Hélène Cao, Augusta Holmès : la nouvelle Orphée, éditions Actes Sud/ Palazzetto Bru Zane, 2023. Prix : 11 euros