Le principe est désormais bien connu : une ville, un thème, un auteur et un style personnel, dont la subjectivité est annoncée par le titre générique. Bernard Thomasson s’est glissé dans le moule et raconte « sa » maison ronde, comme – en interne – l’on nomme la Maison de la Radio qui fête en cette année 2023 ses jeunes soixante ans.
Bien sûr, chez ce journaliste amoureux du lieu, nous découvrons ou retrouvons quelques arcanes de cet incroyable et improbable bâtiment, dont l’originalité architecturale ne plut pas et ne plait toujours pas à tout le monde .
L’auteur a eu l’idée de donner la parole à quelques célébrités ayant eu à parcourir les interminables couloirs du bâtiment. Parmi elles, trois chanteurs lyriques. Et la soprano Natalie Dessay d’en parler avec sa franchise habituelle : « Depuis que je suis à Paris, je me dis : « Mais quelle verrue horrible là ! ». Pour être honnête, je déteste ce bâtiment: moche, pas pratique, mal conçu, labyrinthique, bureaux trop petits, salles pas géniales pour pratiquer la musique. »
Celle qui enflamma les planches des opéras de Paris à New-York et présenta, durant une année, l’émission classique quotidienne de France Inter (oui, cela a existé…) ne mâche pas ses mots en conclusion : « À part le nouvel auditorium, rien ne me plait dans cette Maison de la radio. Je prône de tout raser et de tout refaire. » Fermer le ban.
Le ténor Roberto Alagna, né la même année que le bâtiment trouvait la forme « assez rigolote» en passant devant étant gamin. Mais il n’est pas tendre pour le nouvel auditorium, inauguré en novembre 2014 : « À vrai dire, ce n’est pas ma salle préférée ; je trouve l’acoustique un peu faible pour les voix. » Et d’ajouter : « Surtout, cette construction enfoncée, en profondeur, crée une forme de claustrophobie gênante pour un artiste qui a besoin d’air pour s’exprimer. »
Heureusement, la soprano Patricia Petibon est là pour tempérer ces jugements : « C’est un coquillage labyrinthique » écrit-elle, insistant sur l’imaginaire suscité par les ondes et ses truchements. « Parler à l’oreille de chacun, c’est émouvant ».
Car avant tout, cette maison est celle de la voix, des voix multiples, polyphoniques et solistes à la fois, qui tissent depuis tant d’année notre imaginaire d’auditeur. Ainsi, logiquement, nous retrouvons dans ce livre quelques rares évocations, de Macha Béranger ou José Artur. Mais il manque celles de Claude Villers ou Jean Lebrun, de Jean-Louis Bory ou Armand Panigel – et tant d’autres, de Noëlle Bréham à Mildred Clary…
À chacun sa subjectivité et pour ma part, après avoir également arpenté cette Maison ronde comme producteur, durant trente années, de 1985 à 2014, j’ai bien sûr plus que de la nostalgie à me plonger dans cette somme de près de 700 pages. L’évocation des studios d’enregistrement, des couloirs ou de la tour centrale, les pages sur le statut de producteur ou sur la restauration[1], tout invite à la (re)découverte.
Voilà donc un hymne à une Maison qui a tellement changé ces dernières années. Pourtant, je n’ai pas vraiment retrouvé le tournant pris avec l’austérité gagnant tous les étages de cette Maison ronde qui ne tourne plus très rond. L’amour rend aveugle, dit-on. Ce Dictionnaire amoureux reste très consensuel. Or la radio publique est plus qu’en mutation profonde : en grand danger. Et il manque plusieurs entrées importantes :
– un article « Travaux » aurait rendu compte des changements intervenus dans la structure et donc dans la conception même de l’idée de Radio. Jusqu’aux années 2000, se promener dans les couloirs et les étages permettait de croiser toutes les voix, toutes les chaînes – tout le monde. Puis vint le temps de la modernisation version cloisonnement lors de travaux gigantesques et infinis. Désormais, tout est badgé, encagé, quasi bunkerisé. Plus aucune fluidité possible. Finies les innombrables rencontres imprévues, improbables, permettant en quelques pas de passer d’un studio de France Inter à celui de France Musique. Le bruissement de toutes les ondes se réduit désormais à un repli sur chaque entité radiophonique. La convivialité, la mixité, la liberté ne sont plus que fantôme d’un passé révolu.
– Une entrée « Finances » ou « Budget » aurait fait comprendre à quel point la radio se meurt, depuis de trop longues années déjà. Partout l’austérité, partout les suppressions de postes – et désormais, l’uniformité de quelques voix, bien loin de la multiplicité et de l’effervescence d’il y a encore un quart de siècle. Partout, « on est à l’os » dans les budgets, comme la direction de France Musique le disait déjà il y a une bonne douzaine d’années… Les problèmes financiers ont été mis en exergue avec la suppression récente de la redevance (aucun article n’est consacré à ce nerf de la guerre…) et c’est peu dire que cela ne s’arrange pas. Alors, depuis le tournant des années 2000, on supprime les émissions de nuit, les émissions élaborées ; on réduit la voilure des techniciens et réalisateurs, on multiplie les rediffusions. Et ce n’est plus le micro qui va à la rencontre du monde, c’est le monde qui se met dans la boîte cocon de studios rénovés à grand frais. Là où l’on interdisait les échanges par téléphone, ils deviennent une habitude paresseuse. Partout, on appauvrit les voix.
– Le troisième manque – pour s’en tenir là – est le peu de place faite à France Musique. À vrai dire, presque rien : quelle déception . Certes, il y a une entrée « Orchestre », une autre consacrée à l’orgue. Mais à l’article « Musique », la chaîne est tout juste mentionnée et il semble clairement que les répertoires qu’elle promeut n’intéressent guère le journaliste-auteur. Décidément, à quoi bon avoir accolé le mot musique à une Maison de la radio qui n’en demandait pas tant…
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[1] La cantine était installée au dixième étage, durant des décennies, permettant à tout un chacun de bénéficier d’une vue imprenable sur Paris – avant d’être reléguée en un lieu aveugle au cœur et tout en bas de la tour… La vue est désormais réservée à des organismes extérieurs louant des espaces jusque là ouverts à tous : tout un symbole.