Hervé entre France et Angleterre – Anti-Brexit, le compositeur toqué !
Les efforts de diverses institutions – la Péniche Opéra jadis (Vlan dans l’œil en 1999), Les Frivolités Parisiennes à leur début (Le Petit Faust en 2014), le Palazzetto Bru Zane à plusieurs reprises ces dernières années (en commençant par Les Chevaliers de la table ronde en 2015) – ont remis Hervé sur le devant de la scène, et celui qui fut surnommé « le compositeur toqué » en référence à l’une de ses opérettes en un acte ne se résume plus à Mam’zelle Nitouche comme c’était le cas il y a quelques décennies. Un homme a également beaucoup contribué à faire redécouvrir le personnage : Dominique Ghesquière, co-auteur d’Hervé, un musicien paradoxal, paru en 1992 (Editions des Cendres), et qui participa au catalogue que le Musée d’Orsay lui consacra en 1996. Il revient aujourd’hui avec un ouvrage qui se focalise sur un aspect central du parcours de Florimond Ronger, pour donner au compositeur son identité selon l’état-civil. En effet, si l’Angleterre victorienne fut très tôt friande de ce que la France pouvait produire en matière d’opéra-bouffe, accueillant tournées des artistes parisiens ou produisant ses propres adaptations en langue vernaculaire, Hervé alla plus loin que cet engouement dont bénéficia aussi Offenbach à la même époque, puisqu’il obtint la nationalité britannique et partagea son existence entre Londres et Paris, sa maison de Folkestone se trouvant à peu près à mi-chemin des deux capitales.
Hervé avait commencé par apprendre l’anglais pour aller interpréter lui-même à Londres, en janvier 1870, le rôle-titre de son Chilpéric puisque, non content de composer ses œuvres, il les jouait aussi sur scène (dire qu’il les « chantait » serait peut-être téméraire, car tous les contemporains s’accordent pour reconnaître qu’il avait une voix de théâtre mais certainement pas d’opéra, ni même d’opérette). La guerre franco-prussienne vit bien d’autres artistes s’exiler de l’autre côté de la Manche – on songe à Gounod, qui devait y rester quatre ans, ou dans un autre domaine, à James Tissot qui vécut une dizaine d’années à Londres et devint un peintre plus anglais que français. Comme Tissot, Hervé se maria en Angleterre, mais la double nationalité qu’il acquit en 1883 lui valut de féroces attaques en France.
Outre les versions anglophones élaborées avec ou sans son concours, au prix de tripatouillages divers et variés (Offenbach était logé exactement à la même enseigne), Hervé conçut toute une série d’œuvres directement pour le public britannique. Dès le 24 décembre 1870, il propose ainsi une « operatic extravaganza » intitulée Aladdin the Second, fait d’autant plus remarquable qu’en Angleterre, l’histoire d’Aladin était depuis la fin du XVIIIe siècle l’un des sujets préférés des traditionnelles pantomimes de Noël. Pour Covent Garden, il écrit en 1872 une féerie, genre très à la mode à Paris aussi durant cette décennie, et en 1874 une très patriotique symphonie dramatique avec chœurs, The Ashanti War. En 1886, c’est le « comic opera » Frivoli qui est créé au Drury Lane Theatre (et ne pourra être monté à Paris, suite à une cabale anti-Hervé menée par une partie de la presse), suivi de toute une série de ballets pour l’Empire Theatre, le dernier étant Paris Exhibition, évocation dansée de l’Exposition universelle de 1889.
Pour ce volume, Dominique Ghesquière a dépouillé une quantité colossale de journaux anglophones (il inclut même des comptes rendus britanniques d’œuvres d’Hervé données à Paris), et les éditions Delatour ont inclus, dans le corps du texte ou en appendice, de nombreuses illustrations en couleurs, photographies d’artistes ou caricatures parues dans les journaux. De quoi mieux cerner un personnage décidément hors du commun, qui « créa » l’opérette avant Offenbach mais se vit ravir cette paternité aux yeux de la postérité.
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306 pages, 33 euros, éditions Delatour