Leonardo García Alarcón
Leonardo García Alarcón
Présentation du livre
Une vie de musiques – Entretiens avec Jean-Marie Marchal
Presses Universitaires de Louvain – 2024
Présentation des projets scéniques de Cappella Mediterranea et du chœur de chambre de Namur pour la saison 2024-25
Paris, Hôtel de Wignacourt, Délégation générale Wallonie-Bruxelles, lundi 4 novembre 2024.
C’était une double occasion qui amenait Leonardo García Alarcón à la Délégation Générale Wallonie-Bruxelles de Paris. La présentation à la presse de l’impressionnante saison 2024-2025 – tant par la quantité des spectacles que par leur diversité – a cédé le pas à la parution d’un livre d’entretiens foisonnant où le chef d’orchestre et chef de chœur se livre sur ses origines, sa formation et ses rencontres, sa passion pour les musiques, Bach et Haendel, tant d’autres choses.
Le mieux est encore de reprendre les propres mots de Leonardo García Alarcón échangé lors d’un dialogue complice avec son ami, le chanteur et musicologue Jean-Marie Marchal.
C’est d’abord à un hymne d’amour à la voix que s’est livré le chef. « On n’a pas envie de contrôler la voix. C’est elle qui nous fait partager les émotions pour nous emmener vers des mondes inconnus. C’est l’outil humain le plus fort et plus direct. J’aime une voix qui me fait vibrer. » Il y eut pour lui des voix décisives. La voix de son père quand il chantait – sans doute entendue lorsqu’il était encore dans le ventre de sa mère. Ne dit-on pas que le bébé est particulièrement sensible aux harmoniques graves ? Et puis il y eut la voix de Mariana Flores entendue à Ambronay : « ma vie change ». Elle est devenue sa femme, la mère de leurs deux enfants. Mais, aussitôt, Leonardo García Alarcón ajoute : « Je tombe amoureux des voix des artistes qui chantent. Les voix inspirent : on veut les entendre sous d’autres formes. Et la place de compositeur permet, pourrait-on dire, de s’approprier une voix ». C’est très orphéique !
À la remarque de Jean-Marie Marchal « L’essentiel pour toi est de composer… », Leonardo García Alarcón a répondu par son tropisme pour la composition, comme une force énorme qui le mène. En rappelant que Rameau avait vraiment commencé à composer pour la voix à cinquante ans. « J’en ai quarante-huit ; j’ai du temps pour une reconversion professionnelle » dit-il dans un rire. Tout en mentionnant qu’à l’époque des XVII-XVIIIe siècles, une chapelle chantait ce qu’un compositeur composait pour elle. Et en s’attardant sur la figure de Jean-Sébastien Bach, « le plus grand copiste de l’histoire de la musique, qui suscite une admiration presque surhumaine, au-delà de ce qui existait. Dans mon oratorio[1], je développais un hommage intime à toute l’histoire de la musique. »
Et le compositeur García Alarcón raconte qu’il a demandé à Anna Quintans un poème, à Valerio Contaldo de choisir un passage de la Divine Comédie de Dante afin qu’il mette cela en musique. Que ces chanteurs, ces voix, l’inspirent ainsi « pour être envahi chaque fois plus. C’est un exercice qui m’amuse. Mais c’est un besoin absolu. C’est excitant d’avoir lien direct avec le compositeur. Intimidant pour eux aussi… »
Un chef choisi un répertoire en lien avec l’amitié, les affinités, l’envie de travailler avec des musiciens. Ce sont des choix de carrière. « J’aimerais faire La Bohême demain soir après la St Jean[2]. Mais vous devez choisir, et choisir, c’est renoncer. D’où le fait que j’ai choisi de m’approcher de tous les répertoires avec ma propre musique. »
Leonardo García Alarcón apparait comme un homme heureux. Les lieux n’y sont pas pour rien, à Namur comme à Genève où le Grand Manège, cette nouvelle salle, est une réussite enviée, « un lieu de rêve pour toute l’Europe », dit-il. Et puis il y a La Cité bleue à Genève, rêve partagé avec des sponsors et mécènes dès 2014. Le 9 mars 2024, ce fut l’ouverture. Et le chef-compositeur de s’exprimer alors en directeur artistique de cette Cité Bleue. « Ces rêves sont là. Il faut continuer d’imaginer comme des enfants. À un moment, continuer à être enfant, c’est un choix, formidable, subversif, irresponsable – c’est là que vous êtes surpris. Il faut continuer à avoir la hauteur d’un rêve d’enfant. »
Cet homme heureux est un homme en questionnement et dans une recherche perpétuelle où le doute a toute sa place. Et la danse aussi ! Il tient à rappeler son rapport privilégié avec les chorégraphes, et tisse le lien avec les musiques baroques. « Le baroque, c’est l’espace. Toute frontalité était cassée. On installait des instruments dans les tribunes, les chapelles, partout. » Alors, il faut utiliser l’espace de la représentation, casser les codes. Avec la danse « comme élément qui exacerbe la musique. En établissant une relation directe avec les danseurs. Avec l’objectif d’une œuvre d’art totale. La danse comme matière profonde de la nature humaine. S’approcher des chorégraphes qui sont pour nous des gilets de sauvetage. Il ne faut pas se croire le patrimoine, ne pas croire que l’on respecte, que l’on sait ce qu’est le patrimoine. Avec un traité d’époque (et je les pratique depuis très longtemps), on peut aussi comprendre ce qu’on ne devait pas faire. Les danseurs et chorégraphes sont plus directs que nous, ils se nourrissent de la pulsion d’aujourd’hui. Nous ne savons pas comment était exécutée une passion du temps de Bach. Eux, ils doivent être dans la vérité. Il faut le rappeler avec chorégraphes et ballets. J’ai été frappé, à Berlin, lorsque j’ai vu que les danseurs dans la chorégraphie de Sacha se sont approprié le texte, la musique : ils disaient, par cœur, le texte en dansant la Saint-Jean ! Les chorégraphes sont le futur de la musique ancienne. Ils nous rappellent les pulsions de la vie. » On l’aura compris, il faudra bientôt une suite à ce livre, tant les projets, l’imagination et les idées fusent chez Leonardo García Alarcón.
[1] « La Passione di Gesù » fut créé au Festival d’Ambronay en septembre 2022.
[2] Une Passion de Bach qu’il donne au Théâtre des Champs Élysées ces 4 et 5 novembre, dans une chorégraphie de Sacha Waltz.