L’Avant-Scène Opéra, c’est fini…

Nous avons appris avec stupeur – mais aussi beaucoup de tristesse – que L’Avant-Scène Opéra allait cesser de paraitre, suite à la cessation d’activité de la maison d’édition qui en assurait la publication. Une nouvelle qui confirme  hélas la situation très délicate dans laquelle se trouve aujourd’hui, dans notre pays, la culture en général – et la musique dite « classique » en particulier. 

Comme Jules Cavalié, le rédacteur en chef de cette revue dont nous publions la belle « lettre ouverte » adressée à ses lecteurs, nous formons des vœux pour que renaisse de ses cendres cette revue, unique en son genre, d’une richesse inépuisable et grâce à laquelle des milliers de mélomanes ont forgé leur goût musical et construit leur culture lyrique.

Chères lectrices,

Chers lecteurs,

 

C’est avec une immense douleur que je vous annonce que la direction générale du groupe Humensis nous a notifié hier matin la cessation d’activité des éditions Premières Loges et donc la fin de la revue Avant-Scène Opéra.

Depuis 1976, ASO s’était donné pour mission d’accompagner le mélomane dans sa découverte et l’approfondissement du répertoire lyrique. Il s’agissait de fournir au lecteur des outils pour mieux entendre la musique, comprendre ses logiques de construction, sa sémantique, et tenter de percer le mystère d’une question insoluble : qu’est-ce que le beau ?

Notre objectif était de nourrir la passion que suscite l’art lyrique. Entreprise intellectuelle, l’ASO mettait l’esprit tout entier au service du sensible. Cette démarche reposait sur la conviction profonde qu’on peut apprendre à sentir, sans cesse affiner sa perception, et détailler la palette de sentiments que la musique peint en nous. Avant-Scène Opéra c’était un authentique projet humaniste : le néophyte, l’amateur, l’artiste, tout comme l’auteur qui y écrivait, étaient conviés à se dépasser, à faire grandir conjointement connaissance, plaisir et amour. Car avec le mystère du beau, c’était l’enchantement de la séduction et l’évidence de la fascination qu’ASO voulait défendre et propager.

Au-delà de la découverte des œuvres, l’ambition était de les restituer au monde qui les avait vu naître et croître, réaffirmant ainsi que l’opéra est l’affaire des femmes et hommes, et que ses déchaînements sublimes sont l’écho magnifié du monde. 

Dans un milieu lyrique traversé de débats passionnés, voire violents, Avant-Scène Opéra se donnait en partage. Chose publique plutôt que terrain neutre, l’ASO se voulait une ligne de vie pour relier et unir celles et ceux qui, par-delà les options esthétiques et les répertoires, par-delà l’opéra même, fixent un horizon qu’art et connaissance, sensibilité et conscience partagés illuminent.

Aujourd’hui la flamme de cet horizon radieux vacille. Notre cas n’est pas unique, il ne s’agit que d’un symptôme de plus d’un mépris croissant à l’égard de la culture, singulièrement nocif pour les projets précieux mais fragiles. A ceux qui utilisent la culture pour diviser et exclure, nous opposions une démarche émancipatrice par l’étude, face à ceux qui manipulent la culture pour s’arc-bouter sur des obsessions identitaires nous passions joyeusement de Mozart à George Benjamin en passant par Bellini, Schoenberg, Lehár ou Charpentier, sans soucis du canon ni de vaines hiérarchies.

Après la sidération due au choc il faut faire un choix, capituler ou résister. Une page se tourne avec la cessation d’activité de Premières Loges, mais il existe dans l’univers lyrique les ressources pour rebâtir l’Avant-Scène Opéra. Ainsi, j’invite les bonnes volontés du milieu lyrique, mécènes, responsables d’institution et artistes, qui pourraient contribuer financièrement ou par la mise en contact avec des interlocuteurs fiables à la refondation d’Avant-Scène Opéra. J’invite les bonnes volontés de l’écrit, éditeurs, professionnels de la presse et du livre, qui souhaiteraient participer à la structuration du projet industriel, à se mettre en rapport avec moi.

 

Mes pensées sont pour vous, lectrices et lecteurs, je vous remercie de votre fidélité exigeante. Je remercie aussi l’ensemble des collaborateurs réguliers ou ponctuels, ainsi qu’Aurianne Bec et Sarah Allien qui ont quotidiennement contribué à l’élaboration de la revue, tout comme l’ensemble des équipes de Premières Loges. Enfin, j’adresse de sincères amitiés à Michel Pazdro, fondateur des éditions Premières Loges, et Chantal Cazaux qui m’a précédé comme rédactrice en chef, l’Avant-Scène Opéra et moi-même leur devons tant.

 

Jules Cavalié