Opéra-comique en trois actes de Grétry, livret de Sedaine, créé le 21 octobre 1784 à Paris (Comédie-Italienne).
Le compositeur
André Modeste Grétry (1714-1813)
André Modeste Grétry est un écrivain et un compositeur français d’origine wallonne : né à Liège, son buste trône toujours devant l’Opéra Royal de Wallonie. Formé musicalement en Italie (notamment par le père Martini), il s’installe par la suite en France où il fréquente Voltaire ou encore Marmontel. Prenant la suite de Monsigny, Dauvergne ou Philidor, il s’illustre avec beaucoup de succès dans le genre de l’opéra-comique : Zémire et Azor (1771), L’Amant jaloux (1778), Richard Cœur de Lion (1784).
La fraîcheur de son inspiration et ses dons mélodiques assurent à ses œuvres des reprises jusqu’au XIXe siècle (Richard Cœur de Lion notamment fut régulièrement représenté à Paris jusqu’à la Première Guerre mondiale). En tant qu’écrivain, Grétry publia les Réflexions d’un solitaire ainsi que des Mémoires (1789-1797). Il meurt à Montmorency en 1813.
Le librettiste
Michel-Jean Sedaine (1719-1797)
Michel-Jean Sedaine (1719-1797) est un dramaturge français passé à la postérité pour son drame bourgeois Le Philosophe sans le savoir (1765). Disciple de Diderot, lié aux Encyclopédistes, il est également l’auteur de très nombreux livrets : Rose et Colas (Monsigny, 1764) ou encore Le Déserteur (Monsigny, 1769), ou Richard Cœur de Lion (Grétry, 1784).
La création - les différentes versions
« Ô Richard, ô mon roi » (Michel Trempont)
Le succès de la création (à la Comédie-Italienne le 21 octobre 1784) fut immense, et l’œuvre se répandit rapidement à travers toute l’Europe (jusqu’à Saint-Pétersbourg en 1795) et même au-delà (Boston en 1797, Philadelphie en 1798). Les auteurs tentèrent d’élargir l’oeuvre à 4 actes en 1785 (la version d’origine n’en comportant que 3) mais cette nouvelle version échoua. Ils revinrent
donc au découpage initial à la fin de cette même année, mais dans une version quelque peu remaniée. Richard Coeur de Lion fut régulièrement repris à Paris au cours du XIXe siècle, à l’Opéra-Comique (notamment en 1841 : à l’occasion de cette reprise, Adam proposa une nouvelle orchestration) ou encore au Théâtre Lyrique. Richard Cœur de Lion connut cependant une brève éclipse pendant la période révolutionnaire, la glorification d’un roi n’étant peut-être pas le sujet le plus approprié à la période. Les royalistes, d’ailleurs, feront leur rapidement l’air de Blondel : « Ô Richard, ô mon roi ! »
On considère parfois que l’ouvrage préfigure l’opéra romantique français : on y trouve en effet un goût de la couleur locale, un ancrage dans le Moyen Age, des scènes de combat (l’attaque de la forteresse au dernier acte), enfin la notion de « sauvetage », qui sera si fréquemment sollicitée à l’Opéra (le sauvetage de Florestan par Leonore, de Tell par Arnold, des femmes prisonnières du Comte Ory par les Croisés,…)
L'intrigue
Le livret est inspiré de faits historiques réels. Au retour des croisades, Richard Cœur de Lion fut bel et bien arrêté près de Vienne en 1192 par les troupes du duc d’Autriche Léopold V, et fait prisonnier au château de Dürnstein. Le trouvère Blondel, de Sedaine et Grétry, est directement inspiré du véritable Blondel de Nesle (fin du XIIe siècle), trouvère picard, qui devint l’ami fidèle de Richard Cœur de Lion et le suivit jusque dans ses voyages en Terre sainte. La légende veut qu’il retrouva Richard, retenu prisonnier en Autriche, grâce à une chanson connue d’eux seuls.
Le livret s’inspire du « Conte de Blondel », un conte médiéval des Anciennes chroniques de Flandre que l’on peut lire également dans les Récits d’un Ménestrel de Reims (vers 1260). Blondel, parti à la recherche du roi Richard Cœur de Lion, erre à travers l’Allemagne jusqu’à ce qu’il retrouve la trace de Richard près de la forteresse de Trifels, de laquelle il parvient à le faire échapper.
Acte I
De retour des croisades, Richard Cœur de Lion a été fait prisonnier « dans le fond de l’Allemagne » et est enfermé dans une forteresse (le château de Lintz) gardée par le cruel gouverneur Florestan. Le fidèle Blondel, un trouvère attaché à la cour du roi Richard, est secrètement à la recherche de ce dernier depuis plus d’un an. Afin de parvenir à ses fins, il fait croire qu’il est aveugle et se fait guider par un jeune villageois : Antonio. Le hasard conduit précisément Blondel au pied du château de Lintz, et Blondel n’exclut pas le fait que Richard y soit enfermé… Afin de s’en assurer, il lui faudrait pouvoir approcher du gouverneur Florestan ou pénétrer dans le château.
Bondel demande alors à Laurette, une jeune villageoise, si elle et son père Sir Williams accepteraient de l’accueillir pour la nuit. « Impossible, répond Laurette. Mon père, à la prière d’un ancien ami, a cédé, pour cette nuit seulement, la maison tout entière à une grande dame, et, à moins qu’elle ne le permette, nous ne pouvons pas disposer du plus petit endroit ». Cette « grande dame » n’est autre que la comtesse de Flandre Marguerite qui arrive entourée de ses domestiques.
Or le gouverneur Florestan courtise Laurette en secret. Sir Williams voit cette liaison d’un mauvais œil. Il intercepte un billet de Florestan, qu’il fait lire par le jeune Antonio en présence de Blondel. Tous apprennent ainsi que Florestan souhaite rencontrer Laurette : le gouverneur déplore que la surveillance d’un prisonnier important ne le rende pas plus libre de ses mouvements pendant la journée, mais il fait comprendre à la jeune fille qu’il pourrait parvenir à la rencontrer à la nuit tombée…
Blondel joue sur son violon un air que Richard avait jadis composé en l’honneur de la comtesse Marguerite, laquelle reconnaît immédiatement la mélodie et fait venir le troubadour. Blondel lui explique avoir appris cette chanson « d’un brave écuyer qui venait de la Terre Sainte, et qui, disait-il, l’avait entendu chanter au roi Richard ». Il demande par ailleurs à Marguerite d’avoir pitié d’un pauvre aveugle et de lui offrir l’hospitalité. Marguerite demande à Sir Williams d’accueillir Blondel en son logis pour la nuit.
Et [Blondel] s’aventura tant qu’il arriva en Autriche au hasard de ses pérégrinations, et il vint droit au château où le roi était emprisonné. Et il fut hébergé par une femme veuve ; il lui demanda quel était ce château qui était si beau, si redoutable, si bien construit. Son hôtesse lui répondit que c’était celui du duc d’Autriche. « Belle hôtesse, dit Blondel, n’y aurait-il pas par hasard un prisonnier dans le château ? – Certes, dit la bonne femme, oui. Il y en a un depuis bien quatre ans. Mais nous ne pouvons savoir qui il est ; mais je peux vous affirmer qu’on le garde bien et avec beaucoup de vigilance, et nous croyons que c’est un gentilhomme et un grand seigneur. » Quand Blondel entendit ces paroles, il fut fou de joie, et il lui sembla en son cœur qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait.
Récits d’un Ménestrel de Reims (traduction en français moderne : Stéphane Lelièvre)
Acte II
Richard pleure sur son sort, enfermé dans la forteresse de Lintz, lorsqu’il entend soudain une musique familière : c’est Blondel, qui s’étant fait conduire jusqu’au château par Antonio, joue sur son violon le fameux air composé par Richard en l’honneur de Marguerite.
Ainsi, comme il était tout à cette pensée, le roi regarda par une meurtrière et vit Blondel. Il réfléchit à la façon dont il pourrait se faire reconnaître de lui. Il se souvint alors d’une chanson qu’eux deux avaient écrite et que personne d’autre qu’eux ne connaissait. Il commença à chanter le premier mot haut et clair, car il chantait très bien ; et quand Blondel l’entendit, il fut certain qu’il s’agissait de son seigneur. Et il en éprouva en son cœur la plus grande joie qu’il eût jamais ressentie.
Récits d’un Ménestrel de Reims (traduction en français moderne : Stéphane Lelièvre)
Blondel se met à chanter, Richard joint sa voix à celle du troubadour, mais les deux hommes n’ont guère le temps de savourer leurs retrouvailles : les gardes apparaissent et se saisissent de Bondel. Celui-ci réclame à être entendu du gouverneur. On le conduit à Florestan, à qui il prétend apporter la réponse de Laurette au message : le père de Laurette donnant une grande fête en son logis toute la nuit, le gouverneur peut s’y rendre à l’heure qui lui convient, il trouvera forcément le moyen de parler à la jeune fille…
Acte III
De retour chez Sir Williams, Blondel demande à être reçu par Marguerite. Il lui révèle alors son identité et explique qu’il a retrouvé Richard, enfermé dans la forteresse. Blondel et Sir Williams ourdissent alors un plan pour capturer Florestan et libérer Richard : Sir Williams laissera le gouverneur pénétrer dans son logis, mais il s’agira d’un guet-apens : les soldats ayant servi d’ecorte à Marguerite tomberont alors aussitôt sur Florestan et ses hommes, puis iront délivrer le roi. Au terme d’un court combat, Richard, qui lutte lui-même vaillamment, est délivré ; Blondel se jette à ses genoux ; les cris : « Vive Richard ! » retentissent et les assiégeants arborent le drapeau de Marguerite.
La musique
Les dons de mélodistes de Grétry trouvent, dans Richard Coeur de Lion, à s’épanouir dans des genres très divers : on y entend aussi bien des chœurs villageois, des couplets d’inspiration simple et naïve, tels ceux chantés par Antonio (« La danse n’est pas ce que j’aime, / Mais c’est la fille à Nicolas »), des airs d’inspiration plus élevée et de tonalité plus noble (celui de Blondel : « Ô Richard ! ô mon roi ! » ou celui de Richard au début du second acte : « Si l’univers entier m’oublie »), d’autres encore sentimentaux, telle la délicieuse scène de Laurette : « Je crains de lui parler la nuit ».
Air de Laurette (Christiane Eda-Pierre)
Scène de la Comtesse dans La Dame de Pique (Martha Mödl)
Le duo Blondel/Richard : « Une fièvre brûlante » ( José Beckmans, Franz Kaisin)
Les couplet de Blondel notamment, « Ô Richard ! ô mon roi ! », firent beaucoup pour la renommée de l’ouvrage, de même que l’air censé avoir été composé par le roi lui-même en l’honneur de Marguerite (« Une fièvre brûlante », romance chantée par Blondel pour se faire reconnaître de Marguerite puis du roi), et les couplets de Laurette (« Je crains de lui parler la nuit »),
passés à la postérité pour avoir été insérés par Tchaikovsky dans sa partition de La Dame de Pique (il s’agit de la romance que fredonne la vieille Comtesse, dévorée de nostalgie, peu de temps avant qu’elle ne soit assassinée par Hermann).
L’air grâce auquel Blondel retrouve Richard (« Une fièvre brûlante ») coûta, selon Grétry lui-même, bien des efforts au musicien, soucieux de composer une page à la hauteur de celle, originelle, qu’il n’avait pu retrouver. Elle est composée « dans le genre ancien » et sert de leitmotiv tout au long des trois actes. (Blondel, notamment, la joue au violon afin d’attirer l’attention de Marguerite).
Pour écouter l'œuvre
Mady Mesplé, Charles Burles, Michel Trempont, Orchestre de chambre de la RTTB, dir. Edgard Doneux, Erato (enregistrement 1978)