Découvrez, dans cette nouvelle rubrique, un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Donizetti, La Fille du régiment (1840)
LA CRÉATION
La Salle de la Bourse en 1831 (alors occupée par le Théâtre des Nouveautés)
Au début de l’année 1840, l’Opéra-Comique est installé salle de la Bourse (rue Vivienne, en face de la Bourse de Paris), en attendant la réouverture de la salle Favart qui avait été détruite par le feu. C’est dans cette salle qu’est créée La Fille du régiment le 11 février 1840, avec une distribution assez médiocre : Euphrasie Borghèse [1] (Marie, la seule à avoir vraiment remporté un certain succès), Mécène Marié de l’Isle (Tonio ; il s’agit du père de Célestine Galli-Marié, créatrice de Carmen) et Henry Deshaye (Sulpice). Le succès n’est guère au rendez-vous. D’après le critique de La Revue et Gazette musicale de Paris (jeudi 13 février 1840) qui évoque une « peu mémorable représentation », la production avait souffert d’une mise en scène, de décors et de costumes peu soignés. Donizetti avait par ailleurs subi une cabale de la presse parisienne l’accusant (injustement) de recycler dans son opéra-comique des pages composées antérieurement pour d’autres œuvres, et les insultes violentes, méprisantes, de mauvaise foi – et teintées d’une italophobie parfaitement assumée – d’un Berlioz vexé de voir son confrère italien programmé dans plusieurs salles parisiennes : « M. Donizetti a l’air de nous traiter en pays conquis, c’est une véritable guerre d’invasion. On ne peut plus dire : les théâtres lyriques de Paris, mais seulement : les théâtres lyriques de M. Donizetti » (Journal des débats, 16 février 1840).
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[1] Née en 1818, cette soprano porte pour véritable nom celui de Juliette Euphrosine Bourgeois, d’où une confusion quasi unanimement répandue (y compris dans plusieurs ouvrages universitaires) avec Juliette Bourgeois, mezzo-soprano (elle chanta Ulrica du Bal masqué !), créatrice des Dragons de Villars d’Aimé Maillart.
Euphrasie Borghèse par Auguste (1841)
Mécène Marié de l'Isle
LE LIVRET
Le livret reprend certains poncifs du mélodrame, mais traités sur le mode léger et même, souvent, comique : fruit d’amours illégitimes entre une marquise et un soldat, Marie a été abandonnée et recueillie par un régiment qui en a fait sa fille adoptive. Tombée amoureuse du soldat Tonio qui l’a sauvée alors qu’elle allait tomber dans un précipice, Marie, que sa mère (la marquise Berkenfield) a miraculeusement retrouvée, est promise à un beau parti, mais l’amour finira par triompher et la marquise acceptera in fine que Marie s’unisse à Tonio.
LA PARTITION
Première œuvre originale de Donizetti destinée à la France (Le Duc d’Albe, composé un an plus tôt, ne sera créé qu’en 1882), La Fille du régiment fait entendre une partition non exempte de certaines facilités (et de clins d’œil trop visiblement destinés à s’attirer les bonnes grâces du public français : « Salut à la France ! ») ; mais la musique est aussi pleine de fraîcheur, de vivacité, de virtuosité (les couplets « Au bruit de la guerre » de Marie, l’air de Tonio « Ah mes amis » et ses 9 contre-ut !)… et aussi d’humour, avec la très drôle leçon de musique du second acte. Elle comporte également quelques pages vraiment touchantes : l’air de Tonio « Pour me rapprocher de Marie » (pourtant considéré par le critique de La Revue et Gazette musicale qui rend compte de la création de « malheureuse romance qui abonde en intonations, en notes hurlantes comme en pousse un pauvre chien qui a perdu son maître » !), la romance de Marie « Par le rang et par l’opulence », et surtout le très beau « Il faut partir » que chante l’héroïne à la fin du premier acte.
"Il faut partir" par Patrizia Ciofi à Orange
LA FORTUNE DE L'ŒUVRE
Henriette Sontag dans La Fille du régiment aux Italiens en 1851. © BnF/Gallica
Si les débuts de La fille du régiment à Paris furent un peu timides, l’œuvre de Donizetti a très rapidement pris une belle revanche : à la fin de l’année 1840, une version italienne avec récitatifs (La Figlia del regimento) est donnée à la Scala. L’œuvre revient ensuite à Paris à deux reprises : en 1848 tout d’abord, et surtout en 1850 dans sa version italienne, précisément pour le Théâtre-Italien (Henriette Sontag y triomphe). L’Opéra-Comique décide alors opportunément de remonter l’œuvre, qui deviendra très vite un pilier du répertoire. Les plus célèbres chanteurs se sont illustrés dans les rôles de Marie (Lily Pons, Mady Mesplé, Joan Sutherland, Mirella Freni, June Anderson, Edita Gruberova, Patrizia Ciofi, Natalie Dessay,…) et Tonio (Luciano Pavarotti, Alfredo Kraus, Juan Diego Flórez,…) Dès 1914, les 1000 représentations étaient atteintes à l’Opéra-Comique, et longtemps l’œuvre de Donizetti fut jouée dans les théâtres lyriques français à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet.