Découvrez, dans cette nouvelle rubrique, un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Donizetti, Les Martyrs (1840)
LES SOURCES - LA GENÈSE
Les Martyrs sont une adaptation française de l’opéra italien Poliuto, lui-même inspiré du Polyeucte de Corneille. Le livret de Poliuto était signé Salvatore Cammarano ; il fut traduit et adapté pour la version française par Eugène Scribe. Cammarano (et Scribe) conservent les personnages de la tragédie française, en supprimant quelques rôles très secondaires (les domestiques ou confidents Stratonice, Albin, Fabian et Cléon) et en créant un personnage nouveau : Callistene/Callisthènes, prêtre de Jupiter). Cammarano avait procédé à diverses modifications de l’intrigue racinienne : Poliuto, dans son livret, manifeste un fort sentiment de jalousie envers sa femme Pauline qu’il soupçonne de duplicité (Pauline, avant d’épouser Polyeucte, avait été promise à Severo, lequel revient inopinément alors qu’on le croyait mort…) ; le personnage de Severo est moins intéressant que le Sévère de la tragédie, personnage mesuré prônant la tolérance envers les chrétiens ; le personnage de Félix qui, dans la tragédie, finit par se convertir, touché par la grâce, est moins développé… Scribe revient en partie à l’original racinien, en supprimant notamment le thème de la jalousie de Polyeucte.
LA CRÉATION
Les décors (© BnF/Gallica)
Les Martyrs sont créés le 10 avril 1840 à l’Opéra de Paris (salle Le Peletier). Gilbert-Louis Duprez chante Polyeucte, Julie Dorus-Gras Pauline, Étienne Massol Sévère et Prosper Dérivis Félix. Sans être un triomphe, c’est un succès (l’opéra sera joué 20 fois). Berlioz, bien sûr, s’ennuie à mourir, trouvant le livret « prodigieusement froid et ennuyeux » – et la musique à l’avenant, allant jusqu’à dénier une quelconque originalité à la partition qui pourtant se montre novatrice sur plusieurs points (voir notre analyse de Poliuto dans notre critique de l’intégrale Caetani) : « On n’y rencontre rien qui ne se devine de fort loin et qui n’ait par conséquent été déjà fréquemment entendu » (Journal des débats du 12 avril 1840). Henri Blanchard, dans la Revue et Gazette musicale de Paris, se dit pour sa part lassé des attaques dont Donizetti fait systématiquement l’objet : « Il ne mérite pas d’être traité aussi lestement qu’il compose lui-même ou que voudraient le faire les partisans exclusifs de la musique allemande. Le journaliste, avant tout, doit professer l’éclectisme, qui n’est autre chose que la pure et saine critique ». Il se montre élogieux sur la partition et estime même que « le troisième acte des Martyrs est, sans contredit, ce que M. Donizetti a écrit de mieux pour le théâtre » (12 avril 1840).
Gilbert Duprez en Polyeucte (© BnF/Gallica)
Julie Dorus-Gras en Pauline (© BnF/Gallica)
DE POLIUTO AUX MARTYRS
Pour adapter Poliuto à la scène française, Donizetti a procédé à plusieurs modifications :
- nouvelle structure de l’opéra en quatre actes ;
- nouvelle tessiture pour Félix qui, de ténor, devient basse ;
- nouvelle ouverture, nouveaux airs pour Félix (acte II) et Polyeucte (acte III, « Mon seul trésor », voir ci-dessous), deux nouveaux trios (actes I et IV) ;
- composition de nouveaux récitatifs ;
- suppression de l’air de Callistene ;
- ajouts de chœurs et d’un ballet .
LA FORTUNE DE L'ŒUVRE
En 1848, au Teatro San Carlo de Naples, une version hybride de l’œuvre est donnée, mêlant à la partition italienne certains ajouts de la version française. Pendant longtemps, cette version sera donnée et constituera le seul moyen pour le mélomane d’entendre certaines pages composées par Donizetti expressément pour Paris. La rigueur philologique fait qu’on est revenu depuis à la version italienne originale. Curieusement, alors que nombre d’œuvres françaises composées par des musiciens italiens ont été reproposées à l’attention du public au cours du XXe siècle, ce ne fut quasi jamais le cas pour Les Martyrs, à l’exception du concert donné à Venise en 1978 (Gelmetti / Garaventa, Gencer, Bruson). Heureusement, en 2015, Opera Rara proposait la première intégrale de l’œuvre, confiée à Mark Elder, avec dans les rôles principaux, Michael Spyres, Joyce El-Khoury et David Kempster.