Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Victor Hugo, créé le 11 mars 1851 à Venise (La Fenice).
Le compositeur : Giuseppe VERDI (1813-1901)
Issu d’une famille très modeste, Verdi commence sa formation musicale auprès du chef de l’orchestre municipal de Busseto, petite ville située à quelques kilomètres de Parme et commune de rattachement des Roncole, le hameau où naquit le compositeur. Âgé de vingt ans, il dirige une exécution de La Création de Haydn et attire ainsi sur lui l’attention du public et de la critique. Il compose alors son premier opéra : Oberto, comte de S. Bonifacio, qui est représenté à la Scala en 1839. C’est une période très difficile pour le compositeur, qui voit disparaître successivement ses deux enfants et sa femme.
En 1842, Nabuchodonosor triomphe à la Scala de Milan. Commence alors une période que le musicien qualifia lui-même d’ « années de galère » au cours desquelles, tout en se débattant dans des préoccupations matérielles et commerciales, il s’efforce de se faire un nom en multipliant les créations : I Lombardi alla prima Crociata (1843), Ernani (1844), Giovanna d’Arco (1845), Attila (1846). Puis vient la trilogie qui consacre sa gloire : Rigoletto (1851), Le Trouvère et La Traviata (1853). La renommée de Verdi devient vite internationale. Il compose plusieurs œuvres pour Paris, notamment Les Vêpres siciliennes (1855) et Don Carlos (1867). Comme Victor Hugo incarne le romantisme littéraire français, Verdi est l’incarnation du romantisme musical italien. Le parallèle entre les deux hommes est frappant : tous deux s’engagèrent politiquement (Verdi fut un ardent partisan de l’unité italienne ; Cavour l’appela à la Chambre des députés, après quoi il fut élu sénateur), tous deux continuèrent de créer jusqu’à un âge avancé, en renouvelant constamment leur langage artistique (Aida est créée en 1871, Otello en 1887, Falstaff en 1893). Tous deux enfin, après leur disparition, plongèrent leur pays dans un deuil national et se virent offrir de grandioses funérailles.
Le librettiste : Francesco Maria PIAVE (1810-1876)
D’origine vénitienne, Piave manifeste très tôt un intérêt marqué pour la littérature. Il devient dès 1831 membre de l’Accademia Tiberina (fondée à Rome le 9 avril 1813 par un groupe de 26 érudits et écrivains résidant à Rome, son but était de cultiver les sciences et les lettres latines et italiennes, et en particulier tout ce qui concernait Rome). Il est également secrétaire de rédaction chez un éditeur vénitien, puis acquiert la notoriété en tant que librettiste d’opéras, essentiellement pour Verdi pour lequel il écrivit 10 livrets : Ernani (1844), I due Foscari (1844), Macbeth (1847), Il Corsaro (1848), Stiffelio (1850), Rigoletto (1851), La Traviata (1853), Simon Boccanegra (1857), Aroldo (1857), La Forza del destino (1862).
La création
Rigoletto fut créé à la Fenice de Venise le 11 mars 1851, après de nombreuses péripéties dues à la censure qui refusa le livret, jugé particulièrement immoral et obscène. Il fut finalement accepté moyennnant quelques adaptations, la principale résidant dans le remplacement d’un monarque (François 1er) par un duc (le Duc de Mantoue).
Si l’accueil de la critique fut très frais, le triomphe public fut total – et ne s’est jamais démenti depuis : Rigoletto, le premier opéra de la fameuse trilogie verdienne (avec Le Trouvère et La Traviata, tous deux créés en 1853) demeurant l’une des œuvres les plus populaires de Verdi – mais aussi tout simplement l’un des opéras les plus joués au monde.
Le livret
Il est tiré du drame de Hugo Le Roi s’amuse, créé le 22 novembre 1832 à la Comédie-Française. La pièce de Hugo met en scène les personnages historiques de François 1er et Triboulet, la fille de ce dernier portant le nom de Blanche.
ACTE I
Une salle du Palais ducal de Mantoue
Le Duc de Mantoue donne une fête dans son palais. Il y chante le plaisir qu’il éprouve à multiplier les conquêtes féminines (« Questa o quella »). Celle qui occupe actuellement ses pensées est une jeune inconnue rencontrée à l’église…
La fête est égayée par les moqueries du bossu Rigoletto, qui lance des piques contre les courtisans. Ceux-ci, cependant, lassés d’être la cible de ses attaques, décident de se venger en enlevant sa maîtresse, que d’aucuns ont eu l’occasion d’apercevoir.
Triboulet (J.-P. Laurens, 1832)
La fête est interrompue par l’irruption du vieillard Monterone, qui accuse le Duc d’avoir déshonoré sa fille. Rigoletto tourne ces accusations en dérision et ridiculise Monterone. Le vieillard jette alors sa malédiction sur le bossu, profondément impressionné par la scène.
MONSIEUR DE SAINT-VALLIER, levant le bras.
Soyez maudits tous deux ! –
Au roi.
Sire, ce n’est pas bien.
Sur le lion mourant vous lâchez votre chien !
À Triboulet.
Qui que tu sois, valet à langue de vipère,
Qui fais risée ainsi de la douleur d’un père,
Sois maudit ! –
Au roi
J’avais droit d’être par vous traité
Comme une Majesté par une Majesté.
Vous êtes roi, moi père, et l’âge vaut le trône.
Nous avons tous les deux au front une couronne
Où nul ne doit lever de regards insolents,
Vous, de fleurs de lis d’or, et moi, de cheveux blancs.
Roi, quand un sacrilège ose insulter la vôtre,
C’est vous qui la vengez ; – c’est Dieu qui venge l’autre.
Victor Hugo, Le Roi s’amuse, Acte I scène 5.
Gravure pour Le Roi s'amuse par Jules-Arsène Garnier (1832)
En rentrant chez lui, Rigoletto rencontre Sparafucile, un tueur à gages qui lui offre ses services : en cas de besoin, Rigoletto peut le trouver au bord du fleuve, dans l’auberge que tient sa sœur Maddalena.
À peine Rigoletto a-t-il franchi le seuil de sa maison qu’une jeune femme tombe dans ses bras. Contrairement à ce qu’imaginent les courtisans, il ne s’agit nullement de sa maîtresse, mais… de sa fille, Gilda, laquelle a promis à son père de ne jamais quitter la maison (« Figlia ! / Mio padre ! »). Pourtant, Gilda a secrètement lié connaissance avec un jeune homme rencontré à l’église. Celui-ci pénètre dans la maison de Rigoletto : il s’agit du Duc qui se fait passer pour un pauvre étudiant du nom de Gualtier Maldé. Les deux jeunes gens chantent un duo passionné puis, après le départ du Duc, Gilda chante son amour pour l’inconnu dont elle est tombée amoureuse : « Gualtier Maldé… Caro nome ».
Maria Callas en 1955 (dir. Tullio Serafin)
Arrivent les courtisans, bien décidés à se venger des moqueries de Rigoletto en enlevant sa maîtresse. Rigoletto les aperçoit. Les courtisans lui font croire alors qu’ils viennent enlever la femme d’un des leurs, le Comte de Ceprano, pour le compte du Duc de Mantoue. Ils demandent à Rigoletto de les aider et, sous le prétexte de lui mettre un masque afin qu’il ne soit reconnu de personne, ils lui bandent les yeux. Rigoletto tient ainsi l’échelle qui permet aux courtisans d’enlever sa propre fille. Quand Rigoletto s’en aperçoit, il est trop tard : Gilda a disparu. Le malheureux bouffon y voit l’un des premiers effets de la malédiction de Monterone.
ACTE II
Le Duc a appris que Gilda a disparu, il s’en émeut avant d’apprendre que ce sont ses propres courtisans qui l’ont enlevée et conduite au Palais. Arrive Rigoletto qui, face aux courtisans, commence à les insulter (« Cortigiani, vil razza dannata ! ») avant de les supplier de lui rendre sa fille (« Miei signori, perdono, pietate ! »).
Lorsque Gilda apparaît, elle tombe dans les bras de son père. Rigoletto jure alors de se venger du Duc, malgré les suppliques de Gilda qui demande à son père de l’épargner. (« Parla…siam soli ! / Tutte le feste, al tempio… / Si, vendetta, tremenda vendetta ! »)
Gilda et Rigoletto par Hermann Kaulbach
Arènes de Vérone, 2013
Acte III
Rigoletto a décidé de faire appel à Sparafucile pour faire assassiner le Duc : le spadassin doit remettre à minuit le corps du Duc dans un sac, et Rigoletto le fera disparaitre en le jetant dans le fleuve.
Par une nuit d’orage, Gilda a accompagné son père jusqu’à l’auberge tenue par Maddalena et Sparafucile. Rigoletto, pour convaincre sa fille de renoncer au Duc, lui fait observer l’intérieur de la taverne par une fissure du mur : Gilda y voit le Duc séduire Maddalena et chanter les plaisirs de l’inconstance amoureuse (« La Donna è mobile »). Mais rien n’y fait : Gilda reste décidée à sauver les jours du Duc. Ayant compris le plan de son père, elle choisit de se sacrifier pour lui…
Le Roi frappe sur l’épaule de Saltabadil, qui se retourne, dérangé brusquement dans son opération.
LE ROI.
Deux choses sur-le-champ.
SALTABADIL.
Quoi ?
LE ROI.
Ta sœur et mon verre.
TRIBOULET, dehors.
Voilà ses mœurs. Ce roi par la grâce de Dieu
Se risque souvent seul dans plus d’un méchant lieu,
Et le vin qui le mieux le grise et le gouverne
Est celui que lui verse une Hébé de taverne.
LE ROI, dans le cabaret, chantant.
Souvent femme varie,
Bien fol est qui s’y fie !
Une femme souvent
N’est qu’une plume au vent !
Victor Hugo, Le Roi s’amuse, Acte I V, scène 2.
Vittorio Grigòlo, The Royal Opera
Maddalena, éprise du duc, demande à son frère de l’épargner : « Attendons jusqu’à minuit : si un voyageur se présente, quel qu’il soit, tuons-le, mettons son corps dans le sac et livrons-le au bouffon ! ». Alors que l’orage se déchaîne, Gilda, qui s’est habillée en jeune homme, frappe à la porte de l’auberge de Maddalena et reçoit les coups portés par Sparafucile. Lorsque Rigoletto revient et se saisit du sac contenant la victime, il entend, stupéfait, le Duc chanter… Il ouvre précipitamment le sac et découvre, horrifié, sa propre fille en train de mourir. Un ultime duo les réunit, au cours duquel Gilda demande pardon avant de s’éteindre. Rigoletto s’effondre : la malédiction de Monterone s’est accomplie…
La partition
Rigoletto est l’une des œuvres de Verdi opérant la transition entre les opéras de jeunesse un peu clinquants et dans lesquels le compositeur applique bien souvent (avec talent, parfois avec génie) des recettes plus ou moins pré-établies, et les opéras de la maturité, plus noirs, plus profonds, déjà très engagés dans la modernité. À côté de mélodies faciles au charme ou à l’élan irrésistibles, dont la facture ressortit encore souvent nettement à l’esthétique belcantiste de la première moitié du siècle (le « Caro nome » de Gilda, le duo de la vengeance entre Rigoletto et sa fille, « La donna è mobile » du duc, tube planétaire s’il en est !), on entend certaines pages profondément originales, très élaborées (le fameux quatuor du dernier acte), au dramatisme puissant (l’assassinat de Gilda alors qu’une tempête fait rage), et surtout à l’émotion intense et d’une rare sincérité : les duos entre Gilda et son père comptent parmi les plus beaux jamais composés par Verdi (celui du second acte tire les larmes…), et l’air de Rigoletto « Cortigiani, vil razza dannata ! », bouleversant, est un des fleurons du répertoire de baryton.
Pour voir et écouter l’œuvre
CD
Tito Gobbi, Maria Callas, Giuseppe di Stefano. Chœurs et orchestre de la Scala, Tullio Serafin, 1955 (EMI)
Ettore Bastianini, Renata Scotto, Alfredo Kraus. Orchestre et choeurs du Maggio Musicale Fiorentino, G. Gavvazzeni, 1960 (Urania)
Robert Merrill, Anna Moffo, Alfredo Kraus. RCA Italiana Opera Orchestra and Chorus, G. Solti, 1963 (RCA)
Dietrich Fischer-Dieskau, Renata Scotto, Carlo Bergonzi. Chœurs et orchestre de la Scala, Rafael Kubelik, 1964 (DG)
Sherill Milnes, Joan Sutherland, Luciano Pavarotti. London Symphony Orchestra, Ambrosian Opera Chorus, R. Bonynge, 1971 (Decca)
Sherill Milnes, Beverley Sills, Alfredo Kraus. Philharmonia Orchestra, Ambrosian Opera Chorus, J. Rudel, 1973 (EMI)
Piero Cappuccilli, Ileana Cotrubas, Placido Domingo. Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, C.M. Giulini, 1979 (DG)
Leo Nucci, June Anderson, Luciano Pavarotti. Orchestre et chœur du Théâtre Communal de Bologne, R. Chailly, 1989 (Decca)
Streaming
Orange, 1980, Gardelli / Bruson, Hendricks, Kraus (son uniquement).
Téléfilm, 1982, Chailly - Ponnelle / Wixell, Gruberova, Pavarotti (sous-titres en français)
Milan, 1994, Muti-Deflo / Bruson, Rost, Alagna
Orange, 2017, Guingal-Roubaud / Nucci, Albelo, Sierra (sous-titres en français)
DVD et Blu-ray
Levine-Dexter / MacNeil, Cotrubas, Domingo. Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera, enregistré en 1977. 1 DVD DG.
Levine-Dexter / Quilico, Eda-Pierre, Pavarotti. Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera, enregistré en 1981. 1 DVD Decca.
Chailly-Ponnelle/ Wixell, Gruberova, Pavarotti. Wiener Philharmoniker, enregistré en 1983. 1 DVD DG.
Downes-McVicar/ Gavanelli, Schäfer, Alvarez. Chœurs et orchestre de la Royal Opera House, Covent Garden, enregistré en 2002. 1 DVD Opus Arte.
Santi-Deflo/ Nucci, Mosuc, Beczala. Chœurs et orchestre de l’Opéra de Zurich, enregistré en 2006. 1 DVD ArtHaus.
Mariotti-Mayer / Lučić, Damrau, Beczala. Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera, enregistré en 2013. 1 DVD DG.
Mazzola-Stölzl / Stoyanov, Petit, Costello. Wiener Symphoniker. Enregistré en 2019. 1 DVD Unitel.
Comptes rendus de productions de Rigoletto
Dossier réalisé par Stéphane Lelièvre