LES ITALIENS À PARIS (13) – Donizetti, Dom Sébastien, Roi de Portugal (1843)
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Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Dom Sébastien est créé le à l’Opéra Le Peletier à Paris. Le rôle-titre était interprété par Gilles Duprez, Zayda par Rosine Stolz, et le Grand Inquisiteur Juam de Sylva par Nicolas Prosper-Levasseur. Les décors étaient signés Charles Séchan, Jules Diéterle, Edouard Despléchin, Humanité René Philastre et Charles Cambon.
L’accueil, lors de la première, est plutôt favorable de la part du public, mais assez réservé chez les critiques. Selon Maurice Bouges (Revue et gazette musicale de Paris), la faute en incombe surtout au librettiste Eugène Scribe, dont le livret est jugé froid, sinistre, uniformément « sépulcral ». Quant au musicien, qui a montré avec La Favorite à quel point il était apte à évoquer l’amour (passion toute italienne), il se montre ici, toujours selon le même critique, incapable de mettre en musique les « sentiments héroïques » tels le patriotisme, le dévouement, l’amour de la gloire, les transports du fanatisme (passions toutes françaises, nécessairement sollicitées par le genre du « grand opéra »).
Scribe, dans son livret, évoque le destin tragique de Dom Sébastien, ou plutôt Sébastien Ier (Dom Sebastião, 1554-1578) qui régna sur le Portugal de 1557 (avec une régence qui dura jusqu’en 1568) à sa mort. La vie du roi y est évidemment extrêmement romancée, comme elle l’était dans les pièces de Paul Foucher (Dom Sébastien de Portugal, 1838), et, avant lui, de John Dryden (Don Sebastian, 1691), dont le librettiste s’inspire (très librement). Scribe reprend notamment dans son livret les épisodes alors célèbres de la « fausse mort » du roi et de l’apparition de « faux Sébastien », espérant pouvoir accéder au trône.
Les 5 actes (nombre obligé dans tout « grand opéra ») déroulent une histoire d’amour contrariée (Sébastien sauve la vie d’une « infidèle », Zayda, laquelle tombe amoureuse de son sauveur) sur fond de croisade et de complot mené par l’Inquisition pour soumettre le Portugal à l’Espagne de Philippe II. Le dénouement de l’opéra verra la mort des deux amants, emprisonnés dans l’attente d’être brûlés et assassinés alors qu’ils tentaient de s’échapper, et la fin de l’indépendance du Portugal – avec au dernier tableau l’arrivée, à l’horizon, de la flotte espagnole.
L’œuvre fait partie des opéras les plus injustement oubliés de Donizetti. La partition est certes inégale, mais les beautés qu’elle renferme sont nombreuses : l’air de Zayda au deuxième acte (« Sol adoré de la patrie ») le duo d’amour entre Zayda et Sébastien (au même acte), le célébrissime air pour ténor « Seul sur la terre », empreint d’une douce nostalgie, l’étonnante marche funèbre du troisième acte, l’air de Camoëns « Ô Lisbonne, ô ma patrie ! », le septuor de l’acte IV sont autant de pages qui marquent durablement l’auditeur.
Sans doute le désintérêt du public pour le genre du grand opéra explique-t-il en partie la disparition de l’œuvre des scènes lyriques dès la fin du XIXe siècle : Dom Sébastien était encore donné en Italie jusque dans les années 1910 (reprise romaine en 1911) dans une version traduite. Mais les reprises furent rarissimes au XXe siècle (Florence en 1955, New York en 1984, Bergame en 1998)
Il n’existe enfin qu’un seul enregistrement officiel de l’œuvre, et on le doit une fois de plus à la firme Opera Rara : Vesselina Kasarova (Zayda), Giuseppe Filianoti (Dom Sébastien), Alastair Miles (Dom Juam de Sylva), Simon Keenlyside (Abayaldos), Carmelo Corrado Caruso (Camoëns). The Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden, dir. Mark Elder. (3CD Opera Rara, 2007).
Dom Sébastien : Giuseppe Sabbatini
Camoëns : Carmelo Corrado Caruso
Dom Juam de Sylva : Giorgio Surjan
Abayaldos : Nicolas Rivenq
Dom Henrique : Danilo Serraiocco
Zayda : Sonia Ganassi
Orchestre : Teatro Comunale di Bologna ; Chœur : Teatro Comunale di Bologna, dir. Paolo Arrivabeni
Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.