Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Jérusalem est une adaptation par Verdi de son opéra I Lombardi alla prima crociata, créé en 1843 à la Scala de Milan. La création, le 22 novembre 1847 à l’Académie royale de Musique (salle le Peletier), est un succès, à la suite duquel Louis-Philippe éleva Verdi au rang de Chevalier de la Légion d’honneur. Le rôle de Gaston était tenu par le légendaire Gilbert Louis Duprez, inventeur (dit-on) du fameux « ut de poitrine ».
Acte I
À Toulouse, en 1095. Le départ pour la première croisade, destinée à libérer Jérusalem tombée aux mains des Turcs, est imminent. Le Comte de Toulouse et Gaston, vicomte de Béarn, doivent y prendre part ensemble : leurs anciennes querelles viennent de prendre fin, et leur réconciliation doit d’ailleurs être scellée par le mariage de Gaston avec Hélène, fille du Comte. Mais le frère du Comte, Roger, est lui aussi amoureux d’Hélène : il ordonne à un sicaire de tuer Gaston. Mais l’homme de main confond le Comte de Toulouse et Gaston, et c’est le Comte qui est grièvement blessé. Roger désigne alors Gaston comme étant l’instigateur du meurtre. Le Légat du pape impose alors à Gaston de partir en exil.
Acte II
À Ramla, près de Jérusalem. Quatre ans ont passé. Roger, dévoré par le remords, a fait un pèlerinage jusqu’en Terre Sainte où, méconnaissable, il vit dorénavant en ermite. Gaston s’y trouve également, il a été capturé par l’Émir qui le retient prisonnier à Ramla. Ayant entendu dire que les croisés étaient arrivés près de Jérusalem, Gaston souhaiterait s’évader et les rejoindre… De fait, le Légat et le Comte, qui a survécu à ses blessures, dirigent les troupes qui doivent délivrer la ville sainte. Hélène les accompagne. Roger, que personne ne reconnaît, décide se joindre à eux.
Ayant appris l’emprisonnement de Gaston à Ramla, Hélène décide, courageusement, de l’y retrouver, vêtue d’habits arabes. Alors que les jeunes gens célèbrent leurs retrouvailles, on annonce que les croisés se trouvent aux portes de la ville : Hélène et Gaston tentent de les rejoindre, mais sont arrêtés par les soldats de l’Émir.
Acte III
Hélène et Gaston sont retenus prisonniers dans le harem de l’Émir. Cependant , les chrétiens ont pris la ville et pénètrent dans le harem. Le Comte découvre alors sa fille aux bras de celui qui, croit-il, a tenté de l’assassiner. Il maudit Hélène, et les croisés condamnent Gaston au déshonneur (il est déchu de son statut de chevalier) puis à la mort, malgré les protestations désespérées d’Hélène et du jeune homme qui ne cesse de clamer son innocence.
Acte IV
Roger, toujours torturé par le remords, espère qu’il trouvera la mort lors des combats. Le Légat lui demande d’aller assister Gaston dans ses derniers instants, son exécution devenant imminente. Mais lorsqu’il se retrouve seul avec Gaston, Roger lui confie une épée afin qu’il puisse participer aux combats. Lui-même rejoint les troupes du Comte et part à l’assaut de Jérusalem.
On apprend que la ville sainte a été libérée, grâce notamment à la bravoure d’un chevalier inconnu – l’homme ayant constamment gardé sa visière baissée. Lorsque le Comte demande au héros de montrer son visage, tous reconnaissent Gaston. il devient dès lors impossible de châtier l’homme ayant délivré la ville sainte. Roger rejoint à son tour les croisés dans leur camp. Il est mortellement blessé. Il révèle son identité, avoue être le responsable de la tentative d’assassinat du Comte, implore le pardon, et expire après avoir contemplé Jérusalem délivrée.
Les librettistes Alphonse Royer et Gustave Vaëz adaptent ici le livret d’I Lombardi alla prima Crociata, que Temistocle Solera avait rédigé pour Verdi trois ans plus tôt. Solera s’inspire lui-même d’un poème homonyme (épique, historique, nationaliste) en quinze chants (paru en 1816) de Tommaso Grossi (1790-1853), sorte de réécriture de la Jérusalem délivrée du Tasse adaptée à la sensibilité et aux goûts de ses contemporains. Par rapport au livret original, l’intrigue gagne en cohérence. L’action du premier acte, en étant transposée de Milan à Toulouse, permet de mettre en scène des personnages historiques français : le Comte Raymond IV de Toulouse (ou Raymond de Saint-Gilles) et Gaston IV de Béarn (dit « le Croisé).
Comme le livret, la partition a bénéficié de certains aménagements afin de rencontrer les faveurs du public parisien. Certaines morceaux ont été abandonnés, telle l’apparition d’Oronte à Giselda après sa mort (Gaston, l’équivalent français d’Oronte, ne meurt pas…). Mais les pages majeures d’I Lombardi sont conservées :
I Lombardi
Jérusalem
Giselda, « Ave Maria » (acte I)
Hélène, « Ave Maria » (acte I)
Gaston, « La mia letizia infondere » (acte II)
Gaston, « Je veux encore entendre ta voix » (acte II)
Giselda, « Oh madre, dal cielo… No! no! giusta causa » (acte II)
Hélène, « Que m’importe la vie… Non ! Non, votre rage… » (acte III)
Chœur, « Gerusalem! » (acte III)
Chœur, « Jérusalem ! » (acte IV)
Giselda, Oronte, « Oh belle a questa misera » (acte III)
Hélène, Gaston, « Une pensée amère » (acte II)
Oronte, Giselda, l’Ermite, « Qual voluttà trascorrere sento » (acte III)
Gaston, Hélène, Roger, « Dieu nous sépare, Hélène » (acte IV)
Chœur, « O Signore, dal tetto natio » (acte IV)
Chœur, « Ô mon Dieu ! Ta parole est donc vaine » (acte II)
Et surtout, certaines pages ont été composes spécifiquement pour Paris : le Prélude est entièrement nouveau. Un ballet a été, comme il se doit, ajouté : il prend place au début du troisième acte, dans les « jardins du harem », juste avant la grande scène d’Hélène « Que m’importe la vie ». Mais l’apport essentiel de Jérusalem par rapport aux Lombardi réside dans la scène de Gaston qui termine le troisième acte. Dramatiquement (et musicalement), la scène évoque celle du jugement de Radamès quelque 25 ans avant Aida : le héros, dans les deux cas, se heurte à l’intransigeance de juges impitoyables, un responsable religieux (le Légat dans Jérusalem, le grand-prêtre égyptien dans Aida) finissant par le condamner à mort. Désespoir, supplications, accablement, révolte : le chevalier traverse une gamme de sentiments contrastés et violents, dans une page qui est tout simplement l’une des plus fortes jamais composées par Verdi pour un ténor.
Si l’opéra fut un succès à sa création, il ne réussit pas à s’imposer durablement – même en Italie, où il fut proposé au public dans une traduction italienne signée Calisto Bassi. Pourtant, l’expérience montre que, montée avec soin et servie par une belle distribution, le succès peut être au rendez-vous. En témoigne la reprise proposée par Massimo Bongianckino au Palais Garnier en 1984 : l’œuvre, servie par Cecilia Gasdia, Veriano Luchetti , Silvano Carroli et Alain Fondary, y remporta un triomphe mémorable.
Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.