LES ITALIENS À PARIS (16) – Verdi, Le Trouvère (1857)

Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !

Verdi, Le Trouvère (1857)


LA CREATION

La salle Le Peletier (vers 1865)

Le Trouvère est une adaptation par Verdi de son opéra Il Trovatore (livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare, d’après le drame espagnol El Trovador d’Antonio García Gutiérrez, 1836, créé au Teatro Apollo de Rome le 19 janvier 1853). La première de la version française a lieu le 12 janvier 1857 à l’Opéra de Paris, alors installé salle Le Peletier. 

Les interprètes de la création

Pauline Gueymard-Lauters (Leonore)

Il est souvent difficile, pour les chanteurs des siècles passés, de définir avec précision leurs registres vocaux exacts, tant leurs emplois sont parfois d’une diversité nous paraissant aujourd’hui difficilement concevable. Pauline Gueymard-Lauters (1834-1918) n’échappe pas à la règle : cette chanteuse d’origine belge interpréta en effet aussi bien des rôles aujourd’hui confiés à des voix assez légères, telle Annette dans la version française du Freischütz, que des rôles de sopranos plutôt graves (Valentine dans Les Huguenots), parfois à la limite du répertoire de mezzo (Elvira dans Don Giovanni) . Elle fut même la première Eboli du Don Carlos que Verdi proposera à l’Opéra de Paris dix ans après Le Trouvère : cela semble indiquer que Pauline Gueymard-Lauters disposait d’une voix certes agile (la cabalette de Léonore au premier acte est agrémentée de vocalises absentes de l’original italien), mais possédant une épaisseur certaine et dotée sans doute de couleurs plutôt sombres.

Adelaide Borghi-Mamo (Azucena)

A contrario, la mezzo italienne Adelaide Borghi-Mamo (1826-1901) n’était peut-être pas la mezzo dramatique que l’on distribue parfois aujourd’hui dans le rôle : sa technique belcantiste en fit en effet une titulaire appréciée de rôles tels que la Rosina ou l’Angelina de Rossini, ou encore Léonore dans La Favorite

Louis Gueymard (Manrique)
Marc Bonnehée (Comte de Luna)

LE LIVRET ET SES SOURCES

À quelques détails près, le livret d’Émilien Pacini suit très exactement celui de Cammarano et Bardare, dont il se présente d’ailleurs comme une simple traduction. 

Les sources

Antonio García Gutiérrez
© National Archaeological Museum, Madrid

Antonio García Gutiérrez (1813-1884) est l’auteur de deux drames ayant inspiré Verdi : El trovador (1836) et Simón Bocanegra (1843). El trovador contribua très largement à la notoriété de cet auteur, qui fut aussi diplomate, directeur du musée archéologique de Madrid, et fut nommé à l’Académie espagnole en 1862.

LA PARTITION

Pour les représentations parisiennes de la version française, Verdi a supprimé de sa partition la cabalette « Tu vedrai che amor in terra » succédant au Miserere, réorchestré cinq morceaux (notamment le duo de l’acte II entre Manrique et Azucena, tout le finale du second acte, le chœur des soldats au début du 3e acte, précédant la grande scène d’Azucena). Il a surtout bien sûr ajouté un ballet (de près de 30 minutes), assez habilement placé au début de l’acte III juste après le chœur des soldats, un air pour Azucena au 3e acte lors de sa confrontation avec Luna (« Prenez pitié de ma douleur amère »), et réécrit le finale de l’œuvre : au moment où Azucena se réveille, le fameux Miserere se fait de nouveau entendre, de même que le chant de Manrique disant adieu à la vie (sur la mélodie de « Ah, che la morte ognora »). On est en droit de préférer la conclusion violente et abrupte de l’œuvre originale, mais l’on doit admettre que cette version, subtilement agencée par le compositeur, est elle aussi parfaitement efficace. 

D’autres modifications, plus minimes, s’entendent également : à la fin de la cabalette de Léonore (« L’amour ardent, l’amour sublime et tendre », équivalent du « Di tale amor » italien), la ligne vocale, sur la phrase « Si je ne puis être à lui sur la terre / Heureuse au ciel du moins je le suivrai » (« Per esso morirò » en italien) présente des ornements absents de la version originale ; de même, le chœur des soldats (acte III) est bien plus long que dans la version italienne et fait entendre une intervention de Ferrando nettement plus développée.

« La nuit calme et sereine » , suivie de…

… la cabalette « L’amour ardent, l’amour sublime et tendre » (Roberta Mantegna, Parme 2018)

« Tout est désert… Son regard, son doux sourire » (Thomas Hampson, 2001)

« Supplice infâme » (Léon Escalaïs, Milan, 1906)

LA FORTUNE DE L’ŒUVRE

Si, dans la première moitié du XXe siècle, Le Trouvère fut régulièrement chanté en français sur les scènes hexagonales, la version remaniée par Verdi pour l’Opéra de Paris disparut progressivement de l’affiche pour devenir une véritable rareté, remise exceptionnellement à l’honneur dans un souci de curiosité historique et musicologique : ainsi, le festival de la Valle d’Itria / Martina Franca et le festival Verdi de Parme proposèrent cette version française, respectivement en 1998 et en 2018. Ces deux productions ont fait l’objet de publications discographiques, celle de Parme, sans être parfaite, se montrant supérieure à celle de Martina Franca pour le respect de la langue française – malgré la présence, au Festival della Valle d’Itria, de Sylvie Brunet en Azucena.