Événement au THÉÂTRE ANTIQUE D’ORANGE !
Le mercredi 20 juillet à 21h30, les Chorégies accueilleront les prestigieux Orchestre et chœur du Teatro alla Scala di Milano qui, sous la direction du maestro Riccardo Chailly, interprèteront un répertoire où ils ne connaissent guère de rivaux : les ouvertures et chœurs célèbres de Verdi. (Pour en savoir plus et réserver, c’est ici !)
Une occasion pour Première Loge de faire un point sur les chœurs verdiens, grâce auxquels de nombreux néophytes sont venus à l’Opéra…
Avant même de désigner la forme musicale bien connue des amateurs d’opéra, le mot « chœur » évoque un groupe homogène de personnes, unies par leur origine, leur religion, leur appartenance sociale (ou plus généralement encore par des préoccupations communes), s’exprimant collectivement. Dans les formes premières du chœur (celles remontant à la tragédie grecque), cette expression collective pouvait revêtir plusieurs aspects : le chant bien sûr, mais aussi la simple déclamation d’un texte à l’unisson, ou encore la danse – la racine du mot chœur, χορός / chorós étant également celle ayant donné naissance aux mots chorégraphie, ou… chorégies ! Faisant entendre une voix commune, homogène, le chœur du théâtre antique commentait l’action dramatique et y participait également dans une certaine mesure – des fonctions également dévolues aux chœurs d’opéras, qui voient néanmoins, au fil des siècles, leurs rôles enrichis et diversifiés.
Observons, précisément, les différentes missions que remplissent les chœurs à l’opéra, notamment dans l’œuvre de Verdi qui apporta à l’écriture des siens un soin extrême, leur permettant d’acquérir une très grande popularité – et de contribuer par là même très largement à la notoriété des œuvres dont ils sont issus.
1. Fonction commentative
Le chœur verdien a souvent pour fonction de commenter l’action dans laquelle il se trouve impliqué, et par là même de porter un jugement sur les faits et gestes des protagonistes, spécifiquement lorsqu’il s’agit d’un tyran opprimant injustement le peuple – ou une partie de la population. Le chœur est ainsi un possible vecteur d’idées pour Verdi, chantre de l’aspiration à la liberté du peuple italien vivant sous la domination autrichienne. Expression d’une voix commune, le chœur verdien semble destiné à susciter l’adhésion, voire la participation du public : le « Va, pensiero » de Nabucco n’est-il pas régulièrement repris par le public lorsqu’il est bissé quand l’œuvre est donnée en Italie ? Mélodie simple et ample, à l’élan et à l’émotion irrésistibles, pathétisme des paroles unissant le chœur et les auditeurs dans une même souffrance partagée (« Oh mia patria sì bella e perduta ! »), contrastes forts et puissamment expressifs, du fortissimo de « Arpa d’or dei fatidici vati » à la déploration accablée chantée piano (Perché muta dal salice pendi ?), jusqu’au murmure ineffable du « al patire virtù » final, s’éteignant dans un pianissimo hélas souvent interrompu par les « bravos » des spectateurs enthousiastes et impatients : le chœur des Hébreux devait très vite devenir l’hymne du Risorgimento et favoriser chez les Italiens la prise de conscience d’une unité nationale et la nécessité d’un soulèvement contre les Autrichiens.
Nabucco, "Va, pensiero" - Chœur de Parme, Orchestre National de Montpellier, dir. Luciano Acocella (Orange, juin 2017)
Tout aussi remarquables – même si moins célèbres parce que moins immédiatement mémorisables – sont le « Gerusalem ! » des Lombardi et le poignant « Patria oppressa » de Macbeth.
I Lombardi, "Gerusalem !" Chœur de l'Opéra de Bilbao, Euskadiko Orkestra Sinfonikoa, dir. Boris Dujin (Bilbao, 2019)
Macbeth, "Patria oppressa" - Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera, dir. James Levine (New York, 2007)
2. Fonction cérémonielle
Avant d’être intégrés dans des œuvres musicales, qu’elles soient sacrées et profanes, les chœurs rythmaient déjà par leurs interventions certaines cérémonies de la vie civile, militaire ou religieuse. Il n’est donc pas étonnant que l’Opéra les sollicite précisément lorsqu’est représentée sur scène une cérémonie plus moins grandiose : ainsi Verdi accorde-t-il aux chœurs une place primordiale dans la scène du triomphe d’Aida, dont le caractère majestueux supplante sans doute la pompe plus froide et plus académique de l’Autodafé de Don Carlos :
Aida, Marche triomphale - Chœurs et orchestre de la Scala, dir. Riccardo Chailly (Milan, 2006)
Don Carlo, scène de l'Autodafé - Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera (New York, 2011)
3. Fonction narrative
Plus rarement, le chœur revêt une fonction narrative : il raconte alors le plus souvent un événement n’ayant pas été représenté sur scène, et/ou auquel un personnage du drame n’a pas assisté. Ainsi, au deuxième acte de Rigoletto, les courtisans de Mantoue racontent au Duc, sur un ton badin et enjoué, le tragique enlèvement de Gilda qu’ils prennent pour la maîtresse du bouffon.
Rigoletto, "Duca, duca !" - Chœurs et orchestre de l'Opéra de Rome, dir. Jonel Perlea
4. Fonction descriptive
Le chœur peut constituer une excellente façon de poser le cadre spatio-temporel de l’action, par des moyens complémentaires de ceux utilisés par le langage scénique (décors et costumes). Le choix de telle mélodie, tel rythme, telles harmonies peut suffire à faire voyager le spectateur dans l’espace et le temps, et à lui apporter l’image sonore d’un passé ou d’un ailleurs tels qu’on se les représentait à l’époque. Ainsi le célèbre chœur qui ouvre la seconde partie du Trovatore permet-il à l’auditeur, par le choix de rythmes heurtés, de cellules mélodiques vives et incisives, d’une orchestration originale et inattendue (marteaux d’enclume), d’être instantanément plongé au cœur d’un camp de gitans.
Il Trovatore, chœur des Gitans, chœur et orchestre du Metropolitan Opera, dir. James Levine (New York, 2012)
De la même façon, au lever du rideau sur le troisième acte d’Aida, le chant des prêtres et des prêtresses contribue à l’évocation de l’Égypte antique, par ailleurs assurée par le décor représentant le temple d’Isis à demi caché par les palmiers au bord du Nil.
Aida, "O tu che sei d'Osiride", chœur et orchestre de l'Opéra d'Astana, dir. Abzal Mukhitdinov (Astana, 2016)
5. Fonction poétique
Plus rarement, le chœur semble n’avoir d’autre finalité… que lui-même, et le plaisir procuré à l’auditeur ! Pièce agréable, divertissante, parfois virtuose, presque entièrement tournée sur elle-même, de tels chœurs insèrent parfois une pause au sein du drame.
Le « Fuoco di gioia » du premier acte d’Otello ressortit à cette catégorie de chœurs : mélodie libre aux contours fuyants, changements rythmiques inattendus, orchestration mutine et évocatrice, évoquant tantôt le caractère ondoyant des flammes, tantôt le crépitement du feu, ce chœur constitue une parenthèse entre la violente tempête sur laquelle s’est levé le rideau et le déchaînement des passions humaines qui s’apprêtent à conduire les protagonistes à leur perte.
Otello, "Fuoco di gioia", Choeur et orchestre de la Fenice, dir. Myung-Whun Chung (Venise, 2018)
La Traviata, Coro di zingarelle e mattadori, Chœurs et orchestre des Arènes de Vérone, dir. Daniel Oren (Vérone, 2019)
Pourtant, à y regarder de près, la présence de tels chœurs est rarement gratuite mais sert la dramaturgie par la place qu’ils occupent dans l’économie de l’œuvre. Ainsi les chœurs enjoués des bohémiennes et des matadors au deuxième acte de La Traviata permettent un contraste d’autant plus violent avec le drame qui se noue juste après, lorsqu’Alfredo arrive de façon imprévue à la fête donnée par Flora.
6. Fonction dramatique
Parfois revient au chœur une fonction dramatique. Le spectaculaire lever de rideau sur le premier acte d’Otello plonge ainsi l’auditeur in medias res, au cœur d’une tempête dont chacun ignore si le Maure de Venise sortira vainqueur ou nom. Peu d’opéras s’ouvrent sur une scène à ce point forte dramatiquement, le spectateur se trouvant en un clin d’œil pris dans un tourbillon d’émotions qui ne le lâcheront plus jusqu’au dénouement du drame. Le caractère violent et brutal de cette immersion au sein du tragique se trouve encore accentué par le fait que l’œuvre, faut-il le rappeler, ne comporte pas d’ouverture.
Otello, "Una vela !", Chœurs et orchestre de la Scala, dir. Riccardo Muti (Milan, 2001)
Enfin, il arrive que le chœur joue un rôle dramatique précis, en se confrontant directement avec un personnage : au quatrième acte d’Aida, les sinistres prêtres égyptiens, sous l’autorité de Ramfis, s’opposent ainsi par leurs interventions cinglantes, terrifiantes dans leur brièveté, tout à la fois à Radamès (dont ils vont signer la condamnation à mort) et à Amneris (dont ils ignorent les suppliques désespérées). Il n s’agit plus ici de « pièce chorale » en soi, autonome et isolée au sein de l’opéra, mais plutôt d’interventions qui prennent la forme de véritables « répliques ».