LES ITALIENS À PARIS (18) – Verdi, Don Carlos (1867)

Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !

Verdi, Don Carlos (1867)


LA CRÉATION

La salle Le Peletier (vers 1864)

Don Carlos est créé à l’Opéra de Paris (salle Le Peletier) le 11 mars 1867, avec la distribution suivante : Jean Morère (Don Carlos), Marie Sasse (Élisabeth de Valois), Jean-Baptiste Faure (Rodrigue), Pauline Gueymard-Lauters (Eboli), Louis-Henri Obin (Philippe II), sous la direction du compositeur lui-même.  Sans être un échec, l’accueil réservé à l’œuvre reste assez tiède, Verdi subissant, entre autres, le traditionnel reproche de « wagnérisme ». Certains critiques, cependant, se montrent élogieux, au premier rang desquels Hector Berlioz et surtout Théophile Gautier. 

Les interprètes de la création

Jean Morère (Don Carlos)
Marie Sasse en Élisabeth de Valois
Jean-Baptiste Faure (Rodrigue)
Pauline Gueymard-Lauters (Eboli)
Louis-Henri Obin (Philippe II)

Aperçus du spectacle de la création

Illustration de presse. © Gallica – BnF
Académie royale de musique. Première représentation de Don Carlos. L’autodafé, 3e acte, décor de MM. Cambon et Thierry. Philippe II (Obin). Acte Ier. La forêt de Fontainebleau. Le grand inquisiteur (David). La reine Elisabeth (Mme Sass). Scène du 5e acte. Monastère de Saint Juste, apparition de Charles Quint. Le marquis de Posa (M. Faure). Estampe de G. Lafosse, 1867. © Gallica – BnF

LE LIVRET ET SES SOURCES

Résumé de l’intrigue

En France puis en Espagne, au XVIe siècle.

Acte I
Au cours d’une chasse dans la forêt de Fontainebleau, Don Carlos, fils de Philippe II, roi d’Espagne, rencontre une belle inconnue en qui il reconnaît bientôt la femme que son père lui destine : Élisabeth de Valois, fille du roi de France. C’est un coup de foudre, mais à peine les deux jeunes gens ont-ils le temps de se déclarer leur amour que l’ambassadeur d’Espagne annonce qu’Élisabeth devra finalement épouser non pas Carlos mais Philippe II lui-même. Devant l’insistance du peuple qui exhorte Élisabeth à accepter afin d’assurer la paix entre les deux pays, la jeune femme cède. La mort dans l’âme, les deux jeunes gens sont contraints de se séparer.

Acte II
Rodrigo, marquis de Posa et ami intime de Carlos, conseille à l’infant de consacrer dorénavant sa vie à la cause de la Flandre, qui lutte pour retrouver son indépendance. Peut-être cette cause lui fera-t-elle oublier son amour pour celle qui est dorénavant sa belle-mère… Avant de partir pour la Flandre, Carlos souhaite revoir Élisabeth. Celle-ci reste inébranlable : leur amour est devenu désormais impossible.
Le roi est offusqué de découvrir que la reine ait pu avoir cet entretien en tête-à-tête avec son fils, sans qu’aucune dame de la cour ait été présente.  Soupçonnant une intrigue entre Élisabeth et Carlos, il demande à Rodrigue de se montrer vigilant avec eux.

Acte III
Un bal masqué est donné dans les jardins royaux. Élisabeth, souhaitant échapper aux mondanités, donne son masque et sa mantille à sa dame d’honneur la princesse Eboli et la charge de se rendre à la fête à sa place. Mais Eboli est secrètement amoureuse de Carlos : elle donne rendez-vous à l’infant qui, trompé par le déguisement de la jeune femme, la prend pour la reine. Il lui fait une déclaration d’amour enflammée. Eboli comprend alors que l’infant aime sa mère Élisabeth. Rongée par la jalousie et blessée dans son amour-propre, elle jure de se venger.
Alors qu’a lieu un autodafé, le cortège royal est arrêté par une délégation de Flamands conduite par Carlos, venant réclamer au roi d’Espagne l’autonomie de la Flandre. Philippe II refuse et accuse les délégués flamands de rébellion : il demande qu’ils soient arrêtés. Carlos dégaine alors son épée et s’avance vers son père. Rodrigue se précipite et désarme l’infant. Philippe élève alors le marquis de Posa au rang de duc.

Acte IV
Philippe II est en proie à une profonde mélancolie : la couronne lui pèse, tout comme l’opposition que lui manifeste son fils. Mais par-dessus tout, il souffre profondément de l’indifférence de sa femme, dont il comprend qu’elle ne l’a jamais aimé… Ne sachant quelle conduite adopter vis-à-vis de son fils, il demande son avis au Grand Inquisiteur, lequel lui répond  : « Dieu, pour nous sauver tous, sacrifia le sien ! » L’avis de l’Inquisiteur est sans appel : le roi doit n’avoir aucune pitié vis-à-vis des rebelles, et faire exécuter son fils et Rodrigue.
Eboli a apporté au roi un portrait de l’infant que la reine conservait dans son coffret à bijoux. Le roi accuse alors sa femme d’adultère. Élisabeth s’évanouit en présence d’Eboli qui, prise de remords, décide de tout faire pour sauver Carlos dont elle sait les jours comptés. Elle finira ensuite ses jours dans un cloître.
Carlos a été arrêté et emprisonné. Il reçoit la visite de Rodrigue qui lui annonce avoir pris sur lui l’entière responsabilité de la rébellion afin de le sauver. La vengeance du roi est immédiate : Rodrigue est tué par un homme du roi, il expire dans les bras de son ami. La foule révoltée surgit alors, menée par Eboli : elle réclame que Carlos soit libéré. Mais lorsque paraît le Grand Inquisiteur, tous s’agenouillent, cèdent devant son autorité et abandonnent toute velléité de révolte…

Acte V
Carlos, cependant, a été remis en liberté. Il s’est décidé à partir définitivement pour la Flandre, mais il donne auparavant rendez-vous à Élisabeth dans le cloître de Saint-Yuste afin de lui faire ses adieux. Leur entretien est interrompu par Philippe II qui les surprend. Révolté, il s’exclame : « Il faut un double sacrifice ! », et s’apprête à livrer sa femme et son fils au grand Inquisiteur et aux familiers du Saint-Office. C’est alors que la tombe de Charles Quint s’entrouvre : l’ombre de l’ancien empereur, aïeul de l’infant, apparaît et entraîne Carlos sous terre, le soustrayant définitivement aux souffrances terrestres: « Mon fils, les douleurs de la terre nous suivent encore en ce lieu. La paix que votre cœur espère ne se trouve qu’auprès de Dieu ! ».

Les sources

Dom Carlos, édition de 1787

Les librettistes François-Joseph Méry et Camille du Locle s’inspirent de la tragédie de Schiller Dom Carlos, Infant d’Espagne (1787), trouvant elle-même ses sources dans la nouvelle homonyme de l’abbé de Saint-Réal (1672).

Voici la scène qui inspira aux librettistes  le duo entre Carlos et Élisabeth au second acte de l’opéra : « Je viens solliciter de la reine une grâce… »









Schiller, Don Carlos, ACTE I scène 5
Traduction Henry Faye, 1881

Les vers suivants inspirèrent quant à eux la scène entre la reine et Eboli, suivie du célèbre « Ô don fatal » au quatrième acte.






Schiller, Don Carlos, ACTE IV, scènes 19 et 20
Traduction Henry Faye, 1881

LA PARTITION

Cette histoire d’un amour brisé avant même d’avoir pu véritablement éclore – entremêlée de considérations politiques et religieuses – inspira à Verdi l’une de ses partitions les plus profondes, les plus originales et les plus bouleversantes. Le soin extrême apporté à l’orchestration, la caractérisation psychologique des personnages par des moyens purement musicaux, la recherche de motifs récurrents caractérisant les personnages ou illustrant telle ou telle situation dramatique, la volonté de fondre les pezzi chiusi (airs, duos, ensembles, chœurs) dans une structure musicale plus vaste, tout concourt à faire de Don Carlos un chef-d’œuvre absolu.

© Gallica / BnF

Si les airs sont remarquables par leur écriture épousant toujours avec finesse les situations ou les caractères des personnages et par l’émotion qu’ils dégagent, ce sont peut-être les duos entre Don Carlos et Élisabeth qui bouleversent le plus. Le premier (acte I) évoque avec une adorable fraîcheur l’amour naissant qui saisit les personnages; le second (acte II) décrit les affres de l’amour interdit, le héros éponyme trouvant des accents déchirants pour évoquer le désespoir amoureux et sa révolte contre ce qu’il vit comme une intolérable injustice. Quant au troisième (acte V), il bouleverse par la résignation douloureuse à laquelle finissent par consentir les personnages.  Les deux derniers duos sont traversés de tendres réminiscences de l’épisode de la rencontre amoureuse grâce à l’utilisation de motifs entendus au premier acte, preuve de l’importance, dramatique et musicale, de cet acte auquel Verdi renonça lorsque l’œuvre fut créée à Milan en 1884.

LA FORTUNE DE L’ŒUVRE

L’opéra ayant été accueilli plutôt fraîchement, Verdi le remania à plusieurs reprises et c’est surtout dans la version traduite en italien, créée à Milan en 1884 et amputée de l’acte de Fontainebleau que l’œuvre se maintint au répertoire.

Pourtant, outre quelques rares soirées où l’on tenta, au XXe siècle, un retour à l’original français (un concert parisien de 1961 avec Alain Vanzo, une soirée genevoise en 1962 avec Suzanne Sarroca, une autre donnée par l’ORTF en 1967 avec Georges Liccioni et toujours Suzanne Sarroca), trois dates importantes marquent la redécouverte de la version originale : un concert donné à Londres en 1973, proposant toute la musique coupée par Verdi avant la première (le concert a fait l’objet d’une publication en CD chez Opera Rara) ; la parution en 1984 d’une première intégrale de studio (toujours la seule à ce jour) dirigée par Claudio Abbado (avec Plácido Domingo, Katia Ricciarelli, Lucia Valentini Terrani, Leo Nucci, Ruggero Raimondi) ; et les représentations triomphales données au Châtelet en 1996 avec Roberto Alagna, Karita Mattila, Watraud Meier, Thomas Hampson, José Van Dam. Antonio Pappano dirigeait, Luc Bondy mettait en scène . Ces soirées ont fait l’objet d’éditions en CD et DVD.

Depuis, il semble que la version française en 5 actes soit de plus en plus fréquemment retenue par les théâtres…