Drame en 3 actes de Pietro Mascagni, livret de Giovacchino Forzano et Giovanni Targioni-Tozzetti, créé le 2 mai 1921 à Rome (Teatro Costanzi).
LES AUTEURS
Le compositeur : Pietro MASCAGNI (1863-1945)
Rien ne prédisposait a priori Pietro Mascagni à la musique : né à Livourne en 1863 dans une famille modeste (son père était boulanger), on l’inscrit au collège afin qu’il devienne avocat. Cependant, ses dons musicaux sont vite repérés par le professeur (un ancien baryton) qui lui enseigne le piano : Mascagni entre finalement à l’Institut musical de Livourne, puis au Conservatoire de Milan, alors dirigé par Ponchielli. Il n’y reste qu’un an, son esprit libre ne pouvant guère s’accommoder de la rigidité du système. Ce temps passé Milan sera cependant suffisant pour que Mascagni développe son goût de la composition et plus particulièrement de l’opéra (il y compose son premier ouvrage lyrique, Ratcliff, d’après Heine (mais l’œuvre ne sera créée qu’en 1895).
Mascagni occupe ensuite diverses fonctions : chef d’orchestre remplaçant dans un compagnie d’opérette, directeur de la fanfare de Cerignola, puis de l’orchestre philharmonique et enfin du théâtre de cette ville.
C’est l’annonce (lue dans un journal) d’un concours pour un opéra en un acte qui lui apportera la célébrité, avec Cavalleria rusticana (d’après l’une des neuf nouvelles de la Vie des champs de Verga, parue en 1880). Créé triomphalement à Rome en 1890, l’ouvrage s’imposa très vite sur les scènes européennes, et le musicien s’attira l’estime du vieux Verdi. Même si Mascagni composa de nombreux autres ouvrages (L’Amico Fritz, 1891 ; Iris, 1898 ; Le Maschere, 1901 ; Il piccolo Marat, 1921) – dont certains connurent un grand succès –, seul Cavalleria rusticana se maintint durablement au répertoire.
Mascagni s’éteint à Rome en août 1945, dix ans après la création de son dernier opéra : Nerone.
Les librettistes
Giovacchino FORZANO (1884-1970)
Giovacchino Forzano naît à Borgo San Lorenzo le 19 novembre 1883.
En tant qu’auteur littéraire, il écrivit des pièces de théâtre et des livrets d’opéras, notamment pour Mascagni (Lodoletta, Il picccolo Marat), Leoncavallo (Edipo re), Wolf-Ferrari (Gli amanti sposi, Sly), Giordano (Il re). Pour Puccini, il rédigea les livrets de Suor Angelica et Gianni Schicchi (1918).
Mais Forzano fut aussi metteur en scène et directeur d’opéra (la Scala de Milan), ainsi que réalisateur (Tredici uomini e un cannone en 1939, Ragazza che dorme en 1941). Ses activités multiples lui permirent d’acquérir une belle notoriété, hélas ternie par sa proximité affichée avec Mussolini.
Il meurt à Rome le 28 octobre 1970.
Giovanni TARGIONI-TOZZETTI (1863-1934)
Fils du poète et écrivain Ottaviano Targioni Tozzetti (1833-1899), Giovanni Targioni Tozzetti naît à Livourne en 1863.
Il fut maire de cette ville de 1911 à 1915. Giovanni Targioni Tozzetti fut l’ami personnel de Pietro Mascagni. Il est resté célèbre pour avoir rédigé (souvent en collaboration avec un autre auteur) de nombreux livrets, dont celui de Regina Diaz pour Umberto Giordano. Pour Mascagni, il écrivit les livrets de Cavalleria rusticana (1890), I Rantzau (1892), Silvano (1895), Zanetto (1896), Pinotta (1932) et Nerone (1935).
Giovanni Targioni Tozzetti meurt dans sa ville natale le 30 mai 1934.
L'ŒUVRE
La création
Il piccolo Marat est créé au Teatro Costanzi de Rome le 2 mai 1921. Le succès est immense, et vaudra à l’œuvre d’être rapidement créée sur d’autres scènes italiennes (Arènes de Vérone, Fenice, Milan, Turin, Naples, Palerme), européennes (Dresde, Copenhague, Paris) et mondiales (Buenos Aires). Populaire en Italie jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, elle disparaît progressivement des affiches pour ne plus faire que quelques réapparitions sporadiques (Livourne, 1961, 1989, 2021 ; Pise, 1979 ; Wexford, 1992 ; Amsterdam 2020).
Teatro Costanzi (Photo : LPLT)
Hipólito Lázaro (créateur du Petit Marat) en 1917 (Photo : Library of Congress)
Le livret
L'arrière-plan historique et les sources
Le livret du Piccolo Marat a pour arrière-plan un épisode de la Révolution française particulièrement sinistre : en pleine Terreur, Jean-Baptiste Carrier, envoyé à Nantes en septembre 1793 pour mater la révolte vendéenne, décide de démultiplier les exécutions capitales (afin d’enrayer les épidémies et de ne pas avoir à nourrir quelque 10 000 prisonniers) en noyant massivement dans la Loire les condamnés, qui meurent dans ce qu’on appelle alors cyniquement la « baignoire nationale ».
Le livret est une création originale de Forzano, qui s’appuie cependant sur deux ouvrages : Sous la Terreur de Victor Martin (1906) et Les Noyades de Nantes de Georges Lenôtre (1912). Suite à une mésentente entre Mascagni et Forzano, c’est Giovanni Targioni Tozzetti qui rédigera la version finale du livret.
Résumé de l'intrigue
Acte I
À Nantes, en pleine terreur, le Président du Comité de salut public fait régner l’ordre par des moyens à ce point brutaux qu’on lui a attribué le surnom d’ « Ogre » (l’Orco, basse – avatar romanesque du Carrier historique). Du balcon de son palais, l’Orco aperçoit les « marats » (gardiens de la Révolution) maltraiter sa nièce Mariella (soprano), qu’ils soupçonnent de contrebande. Elle est sauvée in fine par l’intervention d’un homme, que la foule surnomme « le petit Marat » (il piccolo Marat, ténor) en raison des louanges qu’il adresse au député montagnard. Cette intervention vaut au jeune homme la reconnaissance de Mariella et de son père, mais ils ignorent que le « petit Marat » a en fait pour but de libérer sa mère, la princesse de Fleury (mezzo-soprano), enfermée dans les prisons nantaises et condamnée à mort. Le jeune prince, pour ce faire, s’est fait enrôler incognito dans la troupe de gardes révolutionnaires appelés les « marats ».
L'entrepôt au temps de Carrier (Les Noyades de Nantes de Georges Lenôtre, 1912)
Le temps presse d’autant plus que l’Orco, voulant vider les prisons, a demandé au charpentier (baryton) de construire une embarcation qui permettra de mener les prisonniers au milieu du fleuve et de les y noyer. Le prince cache à sa mère le sort sinistre qui l’attend et lui jure qu’elle sera sauvée.
Les noyades de Nantes. Détail d'une estampe portraiturant Jean-Baptiste Carrier (Graveur : C.F. G. le Vachez ; dessinateur : J. Duplessis-Bertaux ; BnF/ Gallica)
Acte II
Vue de la "Petite Hollande" et du port de Nantes, prise de fenêtres de l'appartement habité par Carrier (Les Noyades de Nantes de Georges Lenôtre, 1912)
Le charpentier, horrifié par la sinistre mission qu’on lui a confiée, demande au petit Marat, jouant auprès de l’Orco le rôle de bras droit zélé et fidèle, de ne plus assister aux exécutions. Le jeune homme accède à sa demande à condition que le charpentier lui fournisse un bateau avant la nuit. Il vole et dissimule certains documents concernant sa mère, puis déclare sa flamme à Mariella et lui révèle ses intentions : il souhaite s’enfuir avec elle et sa mère sur le bateau qu’il a demandé au charpentier. Mariella, horrifiée de toutes les exactions commises au nom de la Révolution, accepte.
Acte III
Mariella et le petit Marat ont fait prisonnier l’Orco. Ligoté, il est contraint de signer un document ordonnant la libération de la princesse de Fleury. Alors que le plan de Mariella et du prince est sur le point de réussir, leur entreprise est interrompue par le surgissement de révolutionnaires annonçant la prise de Toulon par Bonaparte. Mariella parvient à les éloigner, mais l’Orco profite de ce moment de confusion pour se saisir d’un pistolet : il tire et blesse le prince, qui enjoint sa bien aimée de s’enfuir et de sauver sa mère. Survient alors le charpentier, qui abat l’Orco : le petit Marat, bien que blessé, peut alors rejoindre Mariella et sa mère sur le bateau qui doit les conduire tous trois vers la liberté.
La partition
L’œuvre peut dérouter aujourd’hui par son côté « excessif », revendiqué par Mascagni lui-même qui décrétait que le petit Marat ne chantait pas mais « hurlait », et que l’élément constitutif de son opéra était, bien avant la musique, « le sang » ! De fait, l’opéra comporte une part importante de violence, essentiellement présente dans les pages chorales et surtout dans le personnage de l’Orco, rappelant inévitablement Scarpia dans sa brutalité, la volonté d’entraver la fuite des amants, le sauf-conduit qu’il doit signer pour leur permettre de s’échapper. Mais l’œuvre, certes d’un dramatisme intense (culminant dans les dernières scènes de l’acte III), est pourtant loin d’être monochrome :
En dépit des déclarations du compositeur lui-même, l’interprète du rôle-titre, malgré l’extrême vaillance requise pour l’essentiel de ses interventions, peut et doit aussi faire preuve de nuances (par exemple dans le duo du II) – nuances dont la voix du créateur, Hipólito Lázaro, n’était pas avare si l’on en croit les enregistrements sonores qu’il nous a laissés.
Bellini : I Puritani - A te, o cara - Hipolito Lazaro (1926)
Et la partition fait également entendre des pages lyriques et tendres, telle la ballade mélancolique chantée par Mariella en ouverture du second acte, ou encore le duo d’amour du même acte, trissé à la création !
Lynne Strow Piccolo- La mamma ritrovo'- Il piccolo Marat- RAI Milano, 1976.
Acte II: "Sei tu? Che cosa viene a fare?" - Hipólito Lázaro, Mafalda de Voltri (1916)
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
CD
Umberto Borso, Viriginia Zeani, Nicola Rossi-Lemeni. Orchestre et choeur du Théâtre de Livourne, dir. O. de Fabritiis, 1961. 2 CD Warner Fonit.
Jesus Pinto, Regina de Ventura, Giancarlo Boldrini. Orchestre del Teatro Lirico , choeur del Comitato Estate Livornese, 1989. 2 CD fonè (1997).
Daniel Galvez-Vallejo, Susan Neves, Frédéric Vassar. Netherlands Radio Symphony Orchestra, Netherlands Radio Choir, dir. Kees Bakels, 1992. 2CD Bongiovanni (1994).
Streaming
Bologne, 1962, Ziino / Gismondo, Zeani, Rossi-Lemeni (bande son seulement)
Trieste, 1963, De Fabritiis /Jaia, Zeani, Rossi-Lemeni (bande son seulement)
Livourne, 2021, Menicagli, Schinasi / Simoncimi, Boi, Silvestrelli (sous-titres italiens)
COMPTES RENDUS DE PRODUCTIONS DU PICCOLO MARAT
A venir…
Dossier réalisé par Stéphane Lelièvre