LES AUTEURS
Le compositeur, le librettiste
Alban Berg en 1927, par Emil Stumpp (Deutsches Historisches Museum)
Alban Berg (1885-1935)
Né à Vienne en 1885, Berg y est, avec Anton Webern, l’élève d’Arnold Schönberg. Dans ses premières compositions, le musicien respecte l’écriture tonale, avant de s’en éloigner à partir des années 1910. Ayant assisté à une représentation du drame de Büchner Woyzeck, il décide d’en tirer un opéra (Wozzeck, 1925), genre auquel il reviendra à la fin de sa vie avec Lulu, œuvre malheureusement demeurée inachevée.
Pour la voix, Berg composa également Quatre Mélodies (1908-1909) et une cantate pour soprano et orchestre, Le Vin (1927) sur des poèmes de Charles Baudelaire. Il est aussi l’auteur d’un concerto de chambre (Kammerkonzert, 1923-1925), et de la Suite lyrique pour quatuor à cordes (1926), œuvre dans laquelle il utilise exclusivement le dodécaphonisme. Berg meurt à Vienne en 1935.
L’ŒUVRE
La création
Wozzeck fut créé 14 décembre 1925 au Staatstheater (Unter den Linden) de Berlin, sous la direction d’Erich Kleiber. Si les critiques, dans leur ensemble, ne comprirent guère l’importance de cette œuvre pour le moins novatrice, la création n’en demeura pas moins couronnée de succès, au point que Wozzeck fut rapidement donné à Vienne (1930) et traversa très vite l’Atlantique (premières représentations à Philadelphie et New York en 1931). La carrière allemande de l’œuvre fut cependant stoppée par l’antisémitisme grandissant qui fit interdire la musique de Berg jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. En France, il faudra attendre 1950 pour qu’une première exécution ait lieu en version de concert, et 1952 pour que l’opéra soit donné en représentation scénique (au Théâtre des Champs-Élysées). Wozzeck n’entre au répertoire de l’Opéra de Paris qu’en 1963, dans une production signée Jean-Louis Barrault/Pierre Boulez.
Le livret
Le livret, rédigé par Berg lui-même, est tiré d’une pièce que Georg Büchner (1813-1837) écrivit en 1836, mais restée inachevée après la mort de l’auteur. Elle est inspirée d’un fait divers : en 1821, un certain Johann Christian Woyzeck, ancien soldat, fabricant de perruques et coiffeur, est accusé d’avoir poignardé sa maîtresse, la veuve du chirurgien Woost, à Leipzig.
L’argument de la pièce est d’une grande modernité, surtout si l’on songe que Büchner l’a écrite dans la première moitié du XIXe siècle. Il nous conte l’histoire d’un homme du peuple sans envergure, loin des dieux et déesses ou des personnages nobles des livrets d’opéra traditionnels. Cet homme, Wozzeck, militaire de son état, est un homme que tous qualifient d’« honnête ». Il est l’honnêteté incarnée. Il dit les choses comme il les pense au moment où il les pense. Il est victime d’hallucinations qu’il décrit sans fard et sans filtre, ce qui le fait passer pour fou auprès de son entourage. Mais il est aussi moqué par ses pairs car considéré comme « sans morale » pour avoir fait un enfant à sa maîtresse en dehors du mariage. Pour subvenir à leurs besoins, il participe à des expériences médicales pour améliorer sa maigre solde qu’il remet à Marie. Celle-ci vit pauvrement et se laisse séduire par le beau tambour-major qui lui offre des bijoux. Lorsque Wozzeck s’en rend compte, sa folie s’accentue et il finira par tuer Marie et se tuer ensuite.
Berg mêle à l’intrigue initiale de Büchner les traumatismes de la Première Guerre mondiale : le thème essentiel de son opéra est l’exploitation de l’homme par l’homme, jusqu’à l’absurde comme la guerre qui venait de se terminer l’avait mis en évidence de manière si terrible au travers de boucheries insensées.
La musique
Le langage musical qu’utilise Alban Berg dans cette œuvre fait ressortir la force, la violence mais aussi la beauté de ce texte sans artifice…
Wozzeck ne diffère pas, dans sa structure, des opéras classiques, et l’œuvre se réfère à un héritage musical plus ou moins explicitement revendiqué, avec des références précises à des formes anciennes (sarabande, gavotte, gigue, marche, berceuse,…). Pourtant, cet opéra n’en apparaît pas moins comme un parangon de la modernité musicale au XXe siècle. Berg y utilise le leitmotiv dans une structure sérielle, et déploie dans sa partition l’ensemble des techniques vocales connues, de la voix parlée, du Sprechgesang, à la voix lyrique en passant par le chant colorature, la voix de fausset ou les sifflements. La mise en musique exclusivement syllabique, propre à cette esthétique, permet une vivacité de l’action et un réalisme cru des scènes. L’écriture vocale, ni tonale, ni tout à fait atonale ni même dodécaphonique, présente de très grandes difficultés qui font dire aux spécialistes qu’il est impossible de rendre rigoureusement ce qui figure sur la partition et que chaque interprète apporte sa marque. Les parties d’orchestre sont quant à elles d’une telle complexité qu’elles ont nécessité pas moins de 130 répétitions lors de la création.
En dépit de sa difficulté, la musique de Wozzeck possède une grande puissance d’émotion et une intensité dramatique exceptionnelle qui, liées à la force du livret, assurent à l’œuvre une place incontournable dans le répertoire lyrique.
LES ENREGISTREMENTS Notre sélection pour voir et écouter l'œuvre
LP et CD
Dimitropoulos / Adolph Anderson, Edwina Eustis, New York Philharnomic Orchestra – Naxos, (1951)
Böhm / Dietrich Fischer-Dieskau, Evelyn Lear, Orchester Der Deutschen Oper Berlin – DG (1965)
Pierre Boulez / Walter Berry, Isabel Strauss, orchestre de l’Opéra de Paris – CBS (1966)
Christoph von Dohnányi / Eberhard Wächter, Anja Silja, Wiener Philharmoniker – Decca (1981)
Daniel Barenboim / Franz Grundheber, Waltraut Meier – Staatskapelle Berlin, – Teldec (1996)
Claudio Abbado / Franz Grundheber, Hildegard Behrens, Orchestre philharmonique de Vienne – DG (1987)
Ingo Metzmacher / Bo Skovhus, Angela Denoke, Philharmonisches Staatsorchester Hamburg – EMI/Warner (1998)
DVD et Blu-ray
Claudio Abbado ; Adolf Dresen / Franz Grundheber, Hidegard Behrens – Vienne – ArtHaus (1987)
Sebastian Weigle ; Calixto Bieito / Franz Hawlata, Angela Denocke – Liceu de Barcelone – Opus Arte (2008)
Fabio Luisi ; Andreas Homoki / Christian Gerhaher, Gun-Brit Barkmin – Zurich – Accentus Music (2016)
Vladimir Jurowski ; William Kentridge et Luc De Wit / Mathias Goerne, Asmik Grigorian – Salzbourg – Harmonia Mundi (2017)
3 commentaires
Merci!Ce dossier m’a beaucoup aidé avant de visionner l’opéra sur Arte Concert .Plutôt réticente,vous m’avez donné envie de le voir et j’ai bien fait.Une belle découverte pour moi!
Merci à vous Jacqueline ! Nous avons ainsi atteint notre objectif. Bien à vous, Laure C. et Stéphane L.
Je l’avais vu à Toulouse y a quelques années et j’avais été frappé par ces décors au perspectives étranges rappelant immédiatement Le Cabinet du docteur Caligari sorti en 1922 chef d’oeuvre du cinéma expressioniste muet avec ses fabuleux décors en toiles peintes de Hermann Warm.