IDOMENEO, Mozart (1781) – dossier

Dramma per musica en 3 actes de Wolfgang Amadeus Mozart, créé à Munich en 1781

LES AUTEURS

Le compositeur

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Mozart est non seulement un compositeur majeur de l’histoire de la musique, mais aussi sans aucun doute l’un des génies les plus étonnants de l’histoire de l’art : pour sa précocité (virtuose du clavier et du piano, il entreprend dès 6 ans une tournée européenne ; il compose son premier ouvrage lyrique, Die Schuldigkeit des ersten Gebotes, à l’âge de 11 ans) ; la diversité extrême de son talent (il composa avec un talent égal dans absolument tous les genres musicaux : musique sacrée, musique de chambre, musique symphonique, opéra, mélodies, …) ; 

et surtout, le ton très personnel de ses œuvres, qui se caractérisent tout à la fois par une apparente simplicité, une forme de limpidité ou d’harmonie sereine, mais aussi une profondeur de sentiment souvent exceptionnelle. Dans le genre lyrique, Mozart laisse quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre de l’opéra : Les Noces de Figaro (1786), Cosi fan tutte (1790), Don Giovanni (1788)… Son génie s’illustra aussi bien dans la comédie (La Finta Giardiniera, Les Noces de Figaro) que dans l’opéra pastoral (Ascanio in Alba), l’opera seria (Lucio Silla, Mithridate, Idoménée, La Clémence de Titus) ou le singspiel (Zaide, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée). 

Le librettiste

Giambattista Varesco (né à Trente en 1735, mort à Salzbourg en 1805) était un abbé italien, musicien, poète et librettiste de Wolfgang Amadeus Mozart pour lequel il rédigea les livrets d’Idomeneo, re di Creta (1781) et de L’oca del Cairo, dont Mozart commença à composer la partition en 1783 sans jamais l’achever. À partir de 1766, Varesco fut employé à Salzbourg comme poète, chapelain de l’archevêque, mais aussi comme instrumentiste.
D’après les documents écrits qui nous sont parvenus, la collaboration ne fut guère aisée entre le musicien et son librettiste, Mozart se plaignant de la longueur du texte de Varesco et de l’inexpérience de celui-ci dans le domaine dramatique. 

L’ŒUVRE

La création

La famille Mozart à l’époque d’Idomeneo (1780-1781), par Johann Nepomuk Della Croce.

Durant l’été 1780, Mozart reçoit la commande d’un opera seria destiné à être représenté l’année suivante à Munich pendant le Carnaval. Mozart s’attelle à la composition d’Idomeneo, re di Creta dès l’automne 1780. Les conditions de la création s’annoncent assez prometteuses : le décorateur Lorenzo Quaglio a été sollicité, de même que le maître de ballet Pierre le Grand. Les Wendling feront partie de la distribution (Dorothea en Ilia, Elisabeth en Elettra), et le rôle-titre sera interprété par le célèbre ténor Anton Raaff, aux moyens hélas assez usés (il est alors âgé de 66 ans). Le rôle d’Idamante sera quant à lui tenu par le castrat Vincenzo Dal Prato.

Anton Raaff (1714-1797) par C.A.J. Philippart.

Un des décors imaginés par Lorenzo Quaglio pour la création d’Idomeneo.

La création d’Idomeneo, re di Creta eut lieu le 29 janvier 1781 à Munich, au théâtre Cuvilliés, en présence de Leopold et de Nannerl. L’accueil est triomphal. Elle fut suivie de trois autres représentations. L’opera seria sera par la suite proposé au public viennois en 1786. 

Le livret

Les sources

Petit-fils de Minos et de Pasiphaé, le roi de Crète Idoménée fut l’un des prétendants d’Hélène et l’un des héros de la guerre de Troie. Après la guerre, lors de son retour en Crète, il fut pris dans une violente tempête et fit alors le vœu, s’il en réchappait, d’offrir à Poséidon le premier homme qu’il rencontrerait sur la terre ferme : ce fut hélas son fils Idamante, qu’il fut contraint de sacrifier pour accomplir sa promesse…

Varesco s’inspire de cette légende via le livret qu’Antoine Danchet rédigea pour l’Idoménée de Campra (1712). Si son livret fut souvent critiqué (suite, peut-être, aux remarques négatives faites par Mozart lui-même notamment dans sa correspondance avec son père), on doit cependant admettre que le thème du serment imprudemment fait à un dieu (thème on ne peut plus classique, présent dans maintes légendes – celle du Hollandais volant – ou maints contes – Les sept corbeaux de Grimm – confère à l’œuvre une tension dramatique et un poids tragique on ne peut plus efficaces, le personnage éponyme étant amené à se débattre entre son amour filial et le respect de la promesse inconsidérée faite à Neptune. Mais Varesco ne se contente pas de traduire le livret de Danchet : comme il le dit lui-même dans sa préface, il l’adapte en lui conférant une fin heureuse (lieto fine), et certains commentateurs ont également décelé dans son texte une présence plus marquée de l’antiquité grecque et de l’humanisme chrétien.

Résumé de l’intrigue

ACTE I

Idoménée, roi de Crète, ayant participé à la guerre de Troie, est sur le point de rentrer chez lui.  La princesse troyenne Ilia, fille du roi Priam, est retenue prisonnière en Crète. Elle est tombée amoureuse du fils du roi, Idamante, qui partage ses sentiments. Mais Idamante est également aimé d’Électre, fille d’Agamemnon, venue de Mycènes après le meurtre de sa mère par son frère Oreste. Électre est dévorée par la jalousie et espère désespérément pouvoir se faire aimer d’Idamante…

https://www.youtube.com/watch?v=xLtiNLyF3uk

Anja Harteros – « Tutte nel cor vi sento« – Salzbourg, 2006

Idoménée, alors qu’il s’apprêtait à débarquer en Crète, est pris dans une effroyable tempête. Il promet à Neptune de lui sacrifier le premier être vivant qu’il rencontrera s’il parvient à débarquer sain et sauf. Les flots s’apaisent. Idoménée débarque… et est aussitôt accueilli et salué par son fils Idamante. Désespéré et terrifié à l’idée de devoir tuer son propre fils, Idoménée s’enfuit.

ACTE II

Idoménée est déchiré entre son obligation de respecter la promesse faite à Neptune et l’amour qu’il porte à son fils Idamante : « À peine ai-je échappé aux fureurs de la mer que mon cœur est dévasté par une nouvelle tempête, encore plus meurtrière que la première ! »

https://www.youtube.com/watch?v=sxqtTQ2CUqQ

Michael Spyres : « Fuor del mar« , Aix-en-Provence, 2022

Afin de protéger Idamante du sort funeste qui pèse sur lui, Idoménée demande à son fils de quitter la Crète : il gagnera Mycènes en compagnie d’Électre qu’il raccompagnera chez elle. Les fureurs d’Électre s’apaisent à cette nouvelle, tandis qu’Idamante souffre de devoir quitter son pays et sa bien-aimée Ilia. Mais la cérémonie du départ est vite interrompue par le surgissement d’un monstre marin envoyé par Neptune. Idoménée propose alors au dieu des Mers de s’offrir lui-même en sacrifice afin de l’apaiser, tandis que la foule épouvantée s’enfuit.

ACTE III

Seule dans les jardins du palais, Ilia chante son amour pour Idamante : « Doux zéphyrs, rejoignez mon bien-aimé; dites-lui que je l’aime et demandez-lui de me rester fidèle »…

https://www.youtube.com/watch?v=EDyafya1QVk

Nadine Sierra : « Zeffiretti lusinghieri » – Metropolitan Opera, 2017

Idamante annonce à Ilia qu’il a décidé d’aller combattre le monstre marin qui sème la terreur et la mort sur l’île de Crète, mais les amoureux sont rejoints par Idoménée qui enjoint une nouvelle fois son fils de quitter l’île. C’est alors qu’Arbace, le confident du roi, lui annonce qu’une foule immense s’est rassemblée devant son palais. Idoménée se rend au palais et y affronte non seulement la foule, mais aussi le Grand Prêtre de Neptune : tous veulent connaître le nom de celui qui suscite la colère du dieu des Mers. Idoménée est alors contraint de révéler la vérité. Arrive Idamante qui, après avoir vaincu le monstre marin, accepte de d’offrir sa vie afin d’apaiser le dieu…mais au moment où Idoménée, au comble du désespoir, s’apprête à le frapper, Ilia, pour sauver son bien-aimé, propose de mourir à sa place. Une voix se fait alors entendre : il s’agit de l’oracle de Neptune, lequel annonce : « L’Amour a vaincu. Qu’Idoménée cesse d’être roi, qu’Idamante le devienne à sa place, et qu’Ilia soit sa femme. Ainsi seront satisfaits la volonté de Neptune et le ciel, et l’innocence sera récompensée ». Idoménée obtempère : la paix règne de nouveau en Crète – sauf pour Électre : la princesse grecque, prenant conscience que l’homme qu’elle aime lui échappe pour toujours, laisse éclater sa fureur et disparait, désespérée.

https://www.youtube.com/watch?v=ajlXELP0dMY

Nicole Chevalier : « Oh, smania! Oh, furie!…D’Oreste, d’Aiace – Salzbourg, 2019

La partition

Avec Idomeneo, Mozart apporte un vent de fraîcheur, de nouveauté, de modernité au genre séculaire de l’opera seria – réputé plutôt « statique » -, et laisse présager la profondeur qui sera celle des opéras de la maturité. L’œuvre comporte des pages d’une grande beauté : les trois airs d’Électre (le premier et le troisième sont des quasi « scènes de folie », le second, « Idol mio », une tendre plainte amoureuse), l’éblouissant « Fuor del mar » du rôle éponyme, le mélancolique « Zeffiretti lusinghieri » d’Ilia, le sublime quatuor « Andro rammingo e solo » du dernier acte, dans lequel chaque personnage exprime un sentiment différent, … Mais ce qui frappe surtout, c’est la formidable construction de l’œuvre, chaque acte donnant l’impression d’avancer vers un point d’orgue dramatique et musical : le désespoir d’Idoménée contrastant avec l’hymne à Neptune au finale du premier acte ; l’apparition du monstre marin par laquelle s’achève le II (avec le superbe chœur « Corriamo, Fuggiamo »); la folie d’Électre et la paix retrouvée à la fin de l’œuvre. Cette continuité dramatique est notamment assurée par les transitions ménagées par Mozart entre airs et récitatifs, les habituelles cadences conclusives étant remplacées par des phrases de liaison empêchant toute interruption du drame (écoutez, par exemple, l’étonnante transition entre le premier air d’Électre -« Tutto nel cor vi sento » – et le chœur « Pietà! Numi, pietà! » au premier acte).
Enfin, le portrait psychologique des personnages présente une finesse rarement atteinte dans les œuvres antérieures du compositeur, la musique permettant de donner une couleur et des prolongements particulièrement profonds aux conflits qui agitent les personnages : conflit, pour Ilia, entre la tendresse qu’elle éprouve envers un étranger, ennemi de sa patrie, et la fidélité qu’elle doit à son peuple et à son pays (« Padre, germani... ») ; entre son amour et son devoir d’obéissance à son père pour Idamante ; entre la soumission aux dieux et son amour filial pour Idoménée. 

Il existe plusieurs versions d’Idomeneo : la partition originale doit être distinguée de celle de la création, l’œuvre ayant fait l’objet de coupures avant la première. Enfin, à l’occasion des représentations viennoises de 1786, la partition subira de nouvelles transformations, avec notamment la composition par Mozart de deux pages alternatives : pour l’air d’Arbace (acte II) et pour le duetto Idamante/Ilia (acte III). Le rôle d’Idamante sera par ailleurs réécrit pour une voix de ténor, et se verra enrichi d’un nouvel air avec violon obligé – qui deviendra un peu plus tard le sublime air de concert avec orchestre et piano obbligato : « Ch’io mi scordi di te« . Aujourd’hui, les chefs puisent dans les différentes versions existantes en fonction de choix philologiques ou esthétiques ; le rôle d’Idamante est confié soit à un mezzo, soit à un ténor.

https://www.youtube.com/watch?v=MI-qpiX_Vcs

L’air de concert « Ch’io mi scordi di te » par Teresa Berganza (Geoffrey Parsons, piano ; Orchestre symphonique de Londres, dir. John Pritchard – 1962)

LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l’œuvre

LP et CD

Pritchard / Lewis, Simoneau, Jurinac, Udovick. Glyndebourne Festival Chorus and Orchestra, EMI, 1956.

Böhm / Ochman, Schreier, Mathis, Varady. Rundfunkchor Leipzig, Staatskapelle Dresden, DG, 1971

 

Hollweg, Schmidt, Yakar, Palmer.  Mozartorchester, Chor des Opernhauses Zürich, Telefunken, 1980.

Pritchard / Pavarotti, Baltsa, Popp, Gruberova. Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, Decca, 1987.

 

Gardiner / Rolfe-Johnson, von Otter, McNair, Martinpelto. The Monteverdi Choir, The English Baroque Soloists, Archiv Produktion, 1990.

 

Levine / Domingo, Bartoli, Grant Murphy, Vaness. Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera de New York, DG, 1994.

 

Mackerras / Bostridge, Hunt, Milne, Frittoli. Edinburgh Festival Chorus, Scottish Chamber Orchestra, EMI, 2001.

 Jacobs / Croft, Fink, Im, Pendachanska. RIAS Kammerchor, Freiburger Barockorchester, Harmonia mundi, 2009.

Streaming

Salzbourg 2006 – Norrington ; Herrmann / Vargas, Kozena, Siurina, Harteros.

Milan 2006 – Harding ; Bondy / Davislim, Bacelli, Tilling, Bell (sous-titres anglais et italiens)

DVD et Blu-ray

Pritchard ; Cox / Lewis, Goeke, Betley, Barstow. The Glyndebourne Chorus, The London Philharmonic Orchestra, ArtHaus Musik, 2013 (capté en 1974).

Levine ; Ponnelle / Pavarotti, von Stade, Cotrubas, Behrens. Chœurs et orchestre du Metropolitan Opera de New York, DG, 1982.

Guidarini ; Pizzi / Streit, Blancas Gulin, Ganassi, Tamar. Chœurs et Orchestre du Teatro San Carlo (Naples), Dynamic, 2005.

Norrington ; Herrmann / Vargas, Kozena, Siurina, Harteros. Salzburger Bachchor, Camerata Salzburg, Decca, 2006.

Nagano ; Dorn / Ainsley, Breslik, Banse, Dasch. Bayerisches Staatsorchester, Unitel, 2008.

Bolton ; Carsen / Cutler, Portillo, Fritsch, Buratto. Teatro Real Chorus and Orchestra, Opus Arte, 2020.

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