LES BRIGANDS, Offenbach (1869) – dossier

Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, créé le 10 décembre 1869 à Paris au Théâtre des Variétés.

Les auteurs

Le compositeur

Jacques Offenbach (1819-1880)

Né à Cologne en 1819, Offenbach se rend à Paris alors qu’il est adolescent, suit la classe de violoncelle du Conservatoire pendant un an, puis intègre l’orchestre de l’Opéra-Comique en tant que violoncelliste. Il obtiendra par la suite le poste de directeur de l’orchestre du Théâtre-Français, puis parallèlement à sa carrière de compositeur, sera directeur de salles de spectacles : Les Bouffes-Parisiens, le Théâtre de la Gaîté.

Il composa des œuvres de genres et de styles très variés : de la musique instrumentale (Concerto pour violoncelle et orchestre : « Concerto militaire », 1847-1848), de la musique de scène (pour La Haine, drame de Victorien Sardou, 1874), des mélodies, des opéras bouffes (Orphée aux Enfers, 1858 ;  La Belle Hélène, 1864 ; La Grande-Duchesse de Gérolstein, 1867, …), des opérettes, des opéras-comiques (Robinson Crusoé, 1867).
Ses œuvres, majoritairement bouffes, prennent parfois des teintes mélancoliques (Fantasio, 1872), voire graves (Die Rheinnixen, 1864). Son chef-d’œuvre est posthume : Les Contes d’Hoffmann, l’un des opéras français les plus joués au monde, fut créé le 10 février 1881, le compositeur étant mort à Paris le 4 octobre 1880.

Les librettistes

Henri Meilhac (1830-1897)

Ayant commencé sa carrière comme dessinateur satirique dans un journal, Meilhac devient célèbre en tant que dramaturge et librettiste, ses œuvres étant presque toutes écrites en collaboration avec d’autres auteurs : Halévy bien sûr, mais aussi Albert Millaud pour Mam’zelle Nitouche (1883) ou Philippe Gille pour Manon (1884). Au théâtre, il est l’auteur de L’Attaché d’ambassade (1861, pièce ayant inspiré le livret de La Veuve Joyeuse), Le Réveillon (1872, pièce écrite avec Halévy et ayant inspiré le livret de La Chauve-Souris), ou encore de Suzanne et les deux vieillards (1868) et  L’Homme à la clé (1869, écrit avec Halévy).

Ludovic Halévy et A. Boulanger Cavé, par Degas (Musée du Louvre)

Ludovic Halévy (1834-1908)

Si Halévy est surtout resté célèbre en tant que librettiste (outre ses livrets écrits avec Meilhac pour Offenbach, il est l’auteur de celui de Carmen d’après Mérimée, toujours en collaboration avec le même complice), il fut également célèbre en son temps comme romancier (L’Abbé Constantin, 1882) et dramaturge (Froufrou, 1869, écrit avec Meilhac). Il est le fils de l’écrivain Léon Halévy et le neveu du compositeur Jacques Fromental Halévy.

Liste des livrets écrits conjointement par Meilhac et Halévy pour Offenbach :

  • Le Brésilien (1863)
  • La Belle Hélène (1864)
  • Barbe-Bleue (1866)
  • La Vie parisienne (1866)
  • La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867)
  • Le Château à Toto (1868)
  • La Périchole (1868)
  • La Diva (1869)
  • Les Brigands (1869)
  • La Boulangère a des écus (1875)

Livrets écrits par Meilhac ou Halévy pour Offenbach :

  • Ba-ta-clan (Ludovic Halévy, 1855)
  • Orphée aux Enfers (Ludovic Halévy avec Hector Crémieux, 1858)
  • La Chanson de Fortunio (Ludovic Halévy avec Hector Crémieux, 1861)
  • Le Pont des Soupirs (Ludovic Halévy avec Hector Crémieux, 1861)
  • Le Roman comique (Ludovic Halévy avec Hector Crémieux, 1861)
  • Vert-Vert (Henri Meilhac avec Charles Nuitter, 1869)
  • Pomme d’api (Ludovic Halévy avec William Busnach, 1873)

L’œuvre

La création

Les Brigands sont créés au Théâtre des Variétés le 10 décembre 1869. Le succès est immense, et l’œuvre ne sera retirée de l’affiche que le 25 mars 1870, après 107 représentations.  Plusieurs fidèles d’Offenbach faisaient partie de la distribution : José Dupuis (créateur de Pâris, Barbe-Bleue, Fritz, Piquillo) chantait Falsacappa ; Zulma Bouffar était Fragoletto et le célèbre Léonce (créateur d’Aristée-Pluton) chantait le caissier Antonio.

José Dupuis en Pâris
Zulma Bouffar photographiée par Nadar
Léonce en Aristée-Pluton

C’est Marie Aimée qui créa le rôle de Fiorella. Cette soprano fit beaucoup pour la connaissance d’Offenbach aux Etats-Unis : elle créa le rôle de Boulotte dans Barbe-Bleue à New York, puis fonda sa propre compagnie et fit ainsi connaitre La Vie parisienne, La Belle Hélène, La Périchole ou La Grande-Duchesse de Gérolstein au public américain, avant que la maladie ne l’emporte prématurément à l’âge de 35 ans. 

Après le succès de la création parisienne, l’œuvre sera rapidement créée à Vienne, Berlin, New York, Prague, Stockholm, Berlin, Budapest, Madrid, Londres ou Milan.
Les Brigands seront repris à Paris en 1878 dans une version révisée en 4 actes.

Le livret

Si Meilhac et Halévy s’inspirent presque toujours d’œuvres pré-existantes pour l’écriture de leurs livrets, celui des Brigands semble être né de leur seule imagination. Il ne constitue en tout cas nullement une parodie de la célèbre pièce homonyme de Schiller !

ACTE I
« Un site d’une sauvagerie étrange, — paysage à la Salvator Rosa. — D’énormes rochers ».

Salvator Rosa – « Paysage le soir », 1640-1643

Les bandits de Falsacappa, (ténor) règnent sur les montagnes d’Italie, d’autant que les carabiniers, chargés de maintenir l’ordre et la tranquillité des honnêtes gens arrivent toujours « trop tard » sur les lieux de leurs méfaits.

Le Prince de Mantoue (ténor) s’est perdu dans la montagne et arrive par hasard près du camp de Falsacappa. Au lieu de livrer le jeune homme aux brigands, Fiorella (soprano), la fille de Falsacappa, lui indique le chemin de la ville et permet ainsi au Prince reconnaissant (et séduit par la grâce de la jeune fille) de s’échapper.

Falsacappa, – Dessin de Draner (1869) © Gallica / BnF
Fiorella – Dessin de Draner (1869) – © Gallica / BnF

Fiorella est amoureuse du chocolatier Fragoletto (mezzo-soprano), qu’elle souhaiterait épouser – ce qui est impossible tant que le jeune homme n’aura pas « fait ses preuves ». Le voici  justement qui arrive : il a fait prisonnier un jeune homme chargé de porter un courrier officiel de la plus haute importance. Falsacappa s’en saisit et apprend ainsi que le Prince de Mantoue doit épouser la Princesse de Grenade. Ce mariage permettra au Prince de réduire à trois millions seulement la somme d’argent qu’il doit à la cour espagnole.

Une délégation espagnole accompagnant la princesse doit arriver de façon imminente en Italie. Après les noces de la Princesse de Grenade et du Prince de Mantoue, elle rentrera à Grenade avec les trois millions… Une idée germe alors dans l’esprit de Falsacappa : et si ses brigands parvenaient à faire prisonniers les membres de la délégation espagnole et à remplacer la princesse de Grenade par Fiorella? Ils pourraient ainsi s’emparer sans peine des trois millions !

Ce projet est célébré par une grande fête au cours de laquelle le jeune Fragoletto intègre officiellement la troupe des brigands.

ACTE II
Une auberge, située très exactement à la frontière italo-espagnole (!)

Les aubergistes s’apprêtent à recevoir les délégations italienne et espagnole, mais sont arrêtés dans leurs préparatifs par les brigands de Falscappa (déguisés en mendiants) qui les enferment dans la cave et revêtent leurs habits. Les brigands ont ainsi tôt fait de faire prisonniers les membres de la délégation italienne (conduite par le baron de Campotasso – ténor – et le chef des carabiniers – baryton) et de les enfermer dans la cave. Arrivent alors les Espagnols, conduits par le Comte de Gloria-Cassis (ténor) : ils ne montrent guère plus de résistance, et ce ne sont pas les carabiniers, appelés à la rescousse mais fort enivrés après leur petit séjour à la cave, qui peuvent leur venir en aide… Les brigands revêtent les habits des Espagnols, Fiorella s’habille en Princesse de Grenade, et tous prennent la route de Mantoue.

Gloria-Cassis – Dessin de Draner (1869) – © Gallica / BnF
Campotasso – Dessin de Draner (1869) – © Gallica / BnF
Le Capitaine des carabiniers – Dessin de Draner (1869) – © Gallica / BnF

 

ACTE III
Le Palais du Prince de Mantoue.

Antonio – Dessin de Draner (1869) – © Gallica / BnF© Gallica / BnF

Antonio (ténor), le caissier de la Cour, se morfond car il a dépensé les trois millions dont il avait la charge (et qui doivent permettre de régler la dette du Prince) en les donnant à ses différentes maîtresses. Arrivent la fausse délégation espagnole (les brigands de Falsacappa) et la fausse Princesse de Grenade (Fiorella) : Falsacappa exige que lui soient versés les trois millions, et devient furieux lorsque le caissier ne lui tend qu’un misérable petit billet de mille, représentant tout ce qui reste d’économies dans les caisses de la Cour de Mantoue…

Entretemps, les véritables délégations italiennes et espagnoles sont parvenues à se libérer et pénètrent à leur tour dans le Palais. Pour une fois, le chef des carabiniers n’arrive pas trop tard et arrête Falsacappa. Mais Fiorella rappelle au Prince de Mantoue qu’elle lui a jadis sauvé la vie en lui indiquant son chemin dans la montagne. Le Prince reconnaît la jeune fille, accorde son pardon aux brigands (à condition qu’ils renoncent à leurs activités criminelles). Falsacappa accorde à Fragoletto la main de sa fille, et le chef de la délégation espagnole, le Comte de Gloria-Cassis, retrouve tout son calme quand le caissier glisse dans sa main le petit billet, unique rescapé de la banqueroute de la Cour…

La partition

Comme La Princesse de Trébizonde ou La Vie parisienne, Les Brigands sont une œuvre « d’équipe », ne gravitant pas autour d’une figure centrale charismatique (La Belle Hélène, La Grande-Duchesse de Gérolstein, Les Contes d’Hoffmann). L’œuvre ne comporte pas de personnage principal (ni Falsacappa, ni Fiorella, ni Fragoletto ne peuvent revendiquer ce titre) et brille moins par ses couplets isolés que pas ses grands ensembles, notamment ses trois finales, étonnamment riches et élaborés pour un opéra-bouffe ! En fait de couplets, certains sont cependant absolument irrésistibles, d’élégance (la romance de Fiorella : « Vraiment, je n’en sais rien »), d’entrain (le « Falsacappa, voici ma prise » de Fragoletto) et surtout de drôlerie : les couplets du caissier, ou encore ceux de Gloria-Cassis (« Y a des gens qui se disent espagnols ! »)

https://www.youtube.com/watch?v=Gra7sbuYT8c

Fiorella : « Vraiment, je n’en sais rien Madame… » par Germaine Corney

On trouve en outre dans la partition certains procédés qui ont fait la gloire du musicien, constamment portés à un degré d’excellence : références culturelles amusantes (Falsacappa est clairement un alter ego du Fra Diavolo d’Auber) ; parodies musicales (du grand opéra notamment, dans le finale du I) ; jeux sonores basés sur la répétition de phonèmes inattendus (« J’entends un bruit de bot/tes/de bo/tes/de/bot/tes/de/bo/te/de/bo/tes ! »). Certaines pages enfin, telle la profession de foi des brigands chantée au finale du I lors de l’intronisation de Fragoletto (« Vole, vole, pille, vole, / Vole autant que tu pourras! ») sont d’un entrain absolument irrésistible, tandis que la canon des Mendiants (« Soyez pitoyables », deuxième acte) surprend par sa gravité.

Bref, Les Brigands sont un grand Offenbach, d’une inspiration extrêmement riche, à l’humour dévastateur. Sa grande rareté sur les scènes lyriques est tout bonnement incompréhensible – à moins que les directeurs ne soient effrayés par l’absolue nécessité de trouver, pour monter l’œuvre dans de bonnes conditions, une très solide troupe de chanteurs-comédiens ? Quoi qu’il en soit, on ne garde guère en mémoire, au XXe siècle ( à l’exception de quelques productions d’amateurs au demeurant parfois très réjouissantes) que la production lyonnaise de 1988 (Louis Erlo / Alain Maratrat – une production scéniquement très peu drôle et avec un Falsacappa baryton (?), ayant donné lieu au seul enregistrement discographique de studio – dirigé par Gardiner – réalisé à ce jour : voyez ci-dessous notre rubrique « Pour voir et écouter l’œuvre ») et celle, beaucoup plus réussie, de Jérôme Deschamps, créée à La Haye en 1991 et proposée à diverses reprises en France, notamment à l’Opéra de Paris, à l’Opéra Comique ou à l’Opéra de Toulon. Retenons également la belle version de concert dirigée par Jacques Mercier il y a maintenant quarante ans (en mai 1984) pour Radio-France, avec les excellents Michel Sénéchal et Pierrette Delange.

Pour voir et écouter l’œuvre

CD

Willy Clément,  Denise Duval, René Lenoty. Direction musicale Jules Gressier, 2 CD Malibran (version comportant des coupures), 1953.

Dominique Tirmont, Eliane Manchet, Micael Pieri. Orchestre Lyrique de L’ORTF, Chœur National, dir. Jean Doussard. 1 LP Decca (extraits), 1970.

Robert Manuel, Danièle Perriers, Christophe Kotlarski. Orchestre Les Récréations lyriques, dir. Daniel Mourruau. 1 CD BOURG (extraits), enregistré en 1980.

 Hubert Möhler, Eva Csapó, Jean van Ree. Rundfunk-Sinfonie-Orchester Köln, Kölner Rundfunkchor, dir. Pinchas Steinberg. 2 CD Capriccio, enregistré en 1981.

Tibère Raffali, Ghislaine Raphanel, Colette Alliot-Lugaz. Choeur et orchstre de l’Opéra de Lyon, dir. John Eliot Gardiner. 2 CD EMI, 1989.

Nicholas Wuehrmann, Arlene Simmonds, Grant Knox. Chœur et orchestre de l’Ohio Light Opera, dir. J. Lynn Thomson, Albany records (version anglaise de W.S. Gilbert), 2004.

DVD et Blu-rays

Michel Trempont, Valérie Chevalier, Colette Alliot-Lugaz. Chœurs et orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Claire Gibault, mise en scène Louis Erlo et Alain Maratrat. 1 DVD. Capté en 1988.

Comptes rendus de spectacle