Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner, créé à Weimar le 28 août 1850
L'AUTEUR
Le compositeur et librettiste
Richard WAGNER (1813-1883)
© Gallica / BnF
Richard Wagner naît à Leipzig le 22 mai 1813. C’est dans cette ville qu’il commence des études supérieures à la Nikolaischule (il étudiera la philosophie, l’esthétique), tout en découvrant les œuvres de Weber et de Beethoven – découvertes qui décideront en grande partie de sa vocation de musicien : Wagner étudie le piano, l’harmonie, commence à composer, devient maître de chœurs (à Würzburg) puis chef d’orchestre (à Magdebourg, Riga) et maître de chapelle à la cour de Saxe. Son existence est dans un premier temps marquée par des difficultés nombreuses et de natures diverses : son mariage avec la chanteuse Minna Planer est plus qu’orageux (le couple finira par se séparer). Ses premières œuvres scéniques sont, à quelques exceptions près (Rienzi à Dresde en 1842), des échecs.
Le musicien est fréquemment acculé financièrement. Acquis aux idées libérales, il soutient la révolution et participe aux combats du printemps 1849, à la suite de quoi il doit quitter l’Allemagne : Wagner voyagera dès lors en France, en Suisse, en Angleterre, en Hongrie, en Russie ou en Italie.
Louis II de Bavière par Ferdinand von Piloty
Cosima photographiée par Jacob Hilsdorf
Sa vie change radicalement dès lors que Louis II de Bavière l’appelle auprès de lui à Munich (1864) : le soutien du roi lui permettra non seulement de monter ses œuvres dans des conditions optimales (Tristan und Isolde est créé à Munich sous la direction de Hans von Bülow le 10 juin 1865), mais aussi de construire le théâtre dont il rêve pour monter sa Tétralogie, le Festspielhaus de Bayreuth, construit de telle sorte qu’aucune fosse ne sépare le public de la scène (l’orchestre, invisible, étant situé sous le plateau).
© Rico Neitzel
La femme de Hans von Bülow, Cosima (fille de Liszt) s’était éprise de Wagner dès 1863 : divorcée de son mari, elle épouse le compositeur en 1870. C’est à Cosima que Wagner dictera sa biographie, Mein Leben.
Après avoir vu triompher L’Anneau du Nibelung, Wagner voit sa santé décliner. Il meurt à Venise le 13 février 1883.
Musicalement, Wagner s’est principalement consacré à l’opéra : outre trois opéras « de jeunesse », rarement joués (Die Feen et Das Liebesverbot, composés en 1834 ; Rienzi, créé en 1842), on relève dans sa production trois premiers opéras romantiques où s’exprime déjà son idéal artistique (Der fliegende Holländer – 1843, Tannhäuser – 1845 et Lohengrin – 1850). Viennent ensuite deux opéras « de la maturité », Tristan und Isolde (1865) et Die Meistersinger von Nürnberg (1868). Enfin, il faut accorder une place spécifique à la Tétralogie (Der Ring des Nibelungen), dont la composition s’étendit sur une trentaine d’années.
Wagner est également l’auteur de nombreux textes : outre ses livrets, il écrivit des essais théoriques dont les plus célèbres sont Das Kunstwerk der Zukunft (L’Œuvre d’art de l’avenir, 1849) et Oper und Drama (Opéra et Drame, 1851).
Wagner est probablement l’un des plus importants réformateurs de la musique. Opposé à toute forme de tradition, il s’attacha à renouer avec un idéal propre à la Grèce antique, selon lequel le drame devait opérer une forme de synthèse de tous les arts. Son langage musical, éminemment personnel, accorde une importance extrême à l’orchestre, aux recherches harmoniques, à la continuité et à la fluidité du discours. Il a notamment porté l’usage du leitmotiv à son plus haut degré d’intensité poétique et dramatique.
L’ŒUVRE
La création
Le Weimar Hoftheater, avant 1907
La création de Lohengrin était initialement prévue à Dresde. Mais la direction de l’Opéra y renonça, suite aux récents engagements politiques du compositeur. C’est finalement à Weimar que l’œuvre sera créée, le 28 août 1850, au Grosses Fürstliches Hoftheater. Si Liszt ou Nerval sont conquis, la réception de l’œuvre, globalement, est tiède, parfois hostile. Mais rapidement, Lohengrin gagne les faveurs du public : l’opéra est très vite créé dans de nombreux théâtres allemands, puis dans toute l’Europe (Prague et Vienne en 1856, Saint-Pétersbourg en 1868, Bruxelles en 1870, Bologne en 1871, Londres en 1875, Nice en 1881, Paris en 1887). New York accueille Lohengrin dès 1871.
Le livret
Les sources
Le nom de Lohengrin signifie, en ancien français, Garin le Lorrain. Il provient d’une chanson de geste du XIIe siècle homonyme faisant partie de la Geste des Lorrains (cycle de cinq chansons de geste anonymes datant des XIIe et XIIIe siècles). Les sources auxquelles Wagner puisa pour rédiger son livret sont diverses : Sur la guerre de la Wartbourg de Christian Theodor Lucas, dans lequel il trouve les références d’un poème anonyme du XIIIe siècle intitulé précisément Lohengrin, qu’il s’empresse de lire ; le Parzival de Wolfram von Eschenbach (première décennie du XIIIe siècle) ; Der Schwanritter (Le Chevalier au cygne, vers 1258) de Konrad von Würzburg, dans lequel se lit l’essentiel des éléments constitutifs du livret de Wagner, à l’exception du couple Ortrud/Telramund ; la Deutsche Mythologie (Mythologie germanique, 1835) de Grimm ; les cinq volumes de la Geschichte der poetischen National-Literatur der Deutschen (Histoire de la poésie nationale des Allemands, 1835-1842) de Gervinius.
Résumé de l'intrigue
À Anvers, au Xe siècle.
ACTE I
Le roi Heinrich der Vogler (basse), redoutant l’invasion du pays par les Hongrois, vient lever une armée dans le Brabant. Mais il trouve un pays divisé depuis la mort de l’ancien duc.
Celui-ci, avant de mourir, a confié la garde de ses deux enfants, Elsa (soprano) et Godefroid, à Friedrich von Telramund (baryton). Telramund aurait par ailleurs dû prendre pour femme Elsa, laquelle a refusé sa main. Telramund a depuis épousé Ortrud (soprano), dernière descendante d’un ancien prince païen, et accusé Elsa d’avoir assassiné son frère Godefroid.
Lorsque le roi Heinrich demande à Elsa de se disculper, elle répond que Dieu s’apprête à envoyer un chevalier qui la défendra et prouvera son innocence.
"Einsam in trüben Tagen" (Régine Crespin, Orchestre National de la Radiodiffusion Française, dir. Georges Prêtre, 1961)
Telramund accepte de se soumettre au jugement de Dieu et de se battre en duel contre le chevalier qui osera prendre la défense d’Elsa. Arrive alors, tirée sur les flots de l’Escaut par un cygne à la blancheur immaculée, une nacelle portant un chevalier inconnu, lequel déclare vouloir se battre pour Elsa à condition qu’elle ne cherche jamais à connaître son identité. La jeune fille accepte. Le chevalier sort vainqueur du combat (mais laisse la vie sauve à Telramund). Le Roi, ses hommes et le peuple acclament le chevalier, tandis qu’Ortrud s’interroge sur l’identité du mystérieux vainqueur…
ACTE II
Telramund fait à sa femme Ortrud d’amers reproches : ne lui a-t-elle pas assuré avoir vu de ses propres yeux le meurtre de Godefroid ? Ne l’a-t-elle pas convaincu de la prendre pour femme, après lui avoir assuré que sa lignée devait de nouveau régner sur le Brabant ? Ortrud déclare cependant que rien n’est perdu si les deux époux parviennent à percer le secret de l’identité du mystérieux chevalier…
Ortrud attendrit Elsa sur son sort en lui expliquant qu’elle est bannie de la société depuis que son époux a été défait par le chevalier inconnu. Se réjouissant de voir Elsa sensible à ses plaintes, elle prie les anciens dieux païens de l’assister dans la terrible vengeance qu’elle prépare. Telramund seconde ses plans : il laisse entendre à Elsa que rien ne permet d’affirmer que le mystérieux chevalier restera définitivement auprès d’elle, distillant le doute dans l’esprit de la jeune femme.
Dans la cathédrale sont célébrées les noces d’Elsa et du chevalier, lequel est dorénavant chargé par le roi de conduire l’armée contre les Hongrois. Mais Ortrud ironise sur les origines douteuses du futur mari d’Elsa, et Telramund renchérit en accusant le chevalier de sorcellerie. Il lui enjoint de révéler son identité. Le chevalier inconnu déclare qu’il ne la révèlera qu’à sa femme, si toutefois celle-ci la lui demande. Elsa est de plus en plus saisie par le doute… Telramund lui confie qu’il se tiendra la nuit suivante près de ses appartements : sur l’ordre de la jeune femme, il surgira, coupera un morceau du doigt du chevalier, ce qui aura pour effet de lui ôter son pouvoir magique et de le contraindre à rester auprès de son épouse.
ACTE III
Lorsqu’Elsa se retrouve seule avec son époux dans la chambre nuptiale, elle ne peut s’empêcher de l’assaillir de questions : d’où vient-il ? Qui est-il ? Ne risque-t-il pas de disparaître aussi mystérieusement qu’il est venu ? Le chevalier tente en vain de la rassurer, Elsa se fait de plus en plus pressante… jusqu’à ce qu’elle aperçoive la silhouette de Telramund, debout derrière son époux, une épée à la main. Elsa avertit son mari du danger et l’enjoint de prendre son arme. Telramund s’écroule mort aux pieds des deux époux, frappé par le chevalier inconnu qui déclare alors à sa femme : « Malheur… C’en est fait désormais de tout bonheur pour nous… »
Le lendemain, les soldats se rassemblent devant le roi, prêts à aller combattre les Hongrois. Paraît le chevalier, qui déclare qu’Elsa a rompu sa promesse et qu’il va donc révéler son identité : il n’est autre que Lohengrin, fils de Parsifal, et appartient à la confrérie des Chevaliers de la Table ronde chargés par Arthur de mener la quête du Graal et d’assurer la paix du royaume. Ayant révélé son nom, Lohengrin a désormais perdu ses pouvoirs et s’apprête à partir malgré les suppliques d’Elsa. Avant de monter dans sa nacelle, il laisse à Elsa son cor, son épée et son anneau, afin qu’elle les remette à son frère Godefroid qui, contrairement à ce qu’elle croyait, n’est pas mort.
"Mein lieber Schwan!", Jonas Kaufmann - Mahler Chamber Orchestra, dir. Claudio Abbado (2009)
Ortrud jubile : grâce à elle, Lohengrin quitte le pays, et elle voit dans ce départ un signe du retour triomphal des anciens dieux. Mais Lohengrin se met à prier : une colombe descend du ciel, le cygne disparaît dans les eaux de l’Escaut et à sa place se dessine la silhouette de Godefroid, libéré de l’ensorcellement que lui avait jeté Ortrud, laquelle s’effondre sur le sol. Lohengrin présente Godefroid comme le nouveau Comte du Brabant. Elsa se précipite pour embrasser son frère qui la prend dans ses bras : elle regarde tristement disparaître son époux avant de glisser lentement à terre, sans vie.
La partition
Plus que les velléités belliqueuses du peuple du Brabant ou la volonté plus d’une fois affichée d’une hégémonie germanique, ce sont bien sûr les dimensions à la fois fantastico-mythiques mais aussi humaines du livret qui inspirent à Wagner ses plus belles pages.
Prélude de Lohengrin (dir. Simon Rattle)
Aux premières ressortissent les merveilleuses premières mesures du prélude (elles illlustrent l’apparition de Lohengrin dans sa nacelle tirée par un cygne), à la fois lumineuses et empreintes d’une nostalgie prégnante, à la douceur diaphane et quasi irréelle ; le célèbre « Einsam, in trüben Tagen », dans lequel la jeune femme, dans une page d’abord extatique puis de plus en plus exaltée, évoque le rêve d’un sauveur qui viendra la défendre et prouver son innocence ; les tendres et douloureux adieux de Lohengrin au cygne (« Mein lieber Schwan ») ; ou encore, dans un registre tout opposé, les terribles imprécations d’Ortrud, un rôle en or pour tout soprano dramatique – ou mezzo-soprano – au tempérament de feu, avec l’invocation des anciens dieux (« Entweihte Götter ! ») ou le « Far heim ! » final.
Mais Lohengrin est aussi un drame humain où coexistent deux couples que tout oppose. D’une part, les terribles Telramund et Ortrud (qui évoquent les Macbeth par les noirs projets qu’ils ourdissent mais aussi dans la manipulation d’un homme finalement relativement faible par une femme ambitieuse et dépourvue de scrupules), mus par l’ambition, la jalousie et la vengeance (le duo « Der Rache Werk » du deuxième acte). D’autre part, le couple Elsa/Lohengrin, dont la confrontation du troisième acte traduit tout à la fois la puissance et la fragilité de l’amour, qu’un simple doute suffit à ébranler.
L’œuvre comporte encore des numéros très nettement identifiables et « isolables » ; elle déploie pourtant une remarquable continuité narrative musicale, assurée notamment par la présence de thèmes dont l’entrelacement est peut-être moins abouti, moins riche de sens que dans le Ring ou dans Tristan, mais qui n’en sont pas moins tous porteurs d’une forte teneur poétique (motifs du Graal, de Lohengrin, d’Ortrud, de la Question…).
LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l’œuvre
LP et CD
- Leinsdorf / Melchior, Rethberg, Thorborg, Huehn – MET live, 1940 – Arkadia
- Cluytens / Konya, Rysanek, Varnay, Blanc – Bayreuth live, 1958 – Walhall
Kempe / Thomas, Grümmer, Ludwig, Fischer-Dieskau – Vienne, 1964 – EMI/Warner Classics
- Schneider / Frey, Studer, Schnaut, Wlaschiha – Bayreuth live, 1990 – Philips
- Solti / Domingo, Norman, Randova, Nimsgern – Vienne, 1987 – Decca
Abbado / Jerusalem, Studer, Meier, Welker – Vienne, 1991 (DG)
Barenboim / Seiffert, Magee, Polaski, Struchmann – Berlin, 1998 (Teldec)
Streaming
Nelsson, Friedrich / Hofmann, Armstrong, Connell, Roar – Bayreuth, 1982 (sous-titres italiens)
Abbado, Weber / Domingo, Studer, Vejzovic, Welker – Vienne, 1990 (sous-titres italiens)
Weigle, Konwitschny / Treleaven, Magee, DeVol, Ketelsen, Barcelone, 2006
Thielemann, Mielitz / Beczala, Netrebko, Herlitzius, Konieczny – Dresde, 2016 (sous-titres allemands)
DVD et Blu-ray
Nelsson, Friedrich / Hofmann, Armstrong, Connell, Roar – Bayreuth, 1980 (Unitel)
Levine, Everding / Hofmann, Marton, Rysanek, Roar – Metropolitan, New York, 1986 (DG)
Scheinder, Herzog / Frey, Studer, Schnaut, Wlashiha – Bayreuth, 1991 (DG)
Nagano, Jones / Kaufmann, Harteros, Schuster, Koch – Munich, 2009 (Decca)
Thielemann, Mielitz / Beczala, Netrebko, Herlitzius, Konieczny – Dresde, 2016 (DG)
Thielemann, Sharon / Beczala, Harteros, Meier, Konieczny – Bayreuth, 2018 (DG)