LE VILLI, Puccini (1884) – dossier
LES AUTEURS
Le compositeur
Giacomo Puccini, 08 avril 1908
Giacomo Puccini (1858-1924)
Giacomo Puccini naît à Lucques dans une famille de musiciens en 1858. Élève de Ponchielli, il connaît son premier grand succès avec Manon Lescaut (1893), et se consacre dès lors presque exclusivement à l’opéra. Après Manon Lescaut, il compose La Bohème (1896), Tosca (1900) et Madama Butterfly (1904) qui remportent un immense succès et jouissent toujours aujourd’hui d’une très grande popularité. Outre ces ouvrages, il fait aussi représenter La fanciulla del West (1910), et Il trittico (1918). Atteint d’un cancer de la gorge, il s’éteint à Bruxelles en 1924 avant d’avoir pu achever son ultime chef-d’œuvre : Turandot, créé de façon posthume en 1926.
Malgré d’évidentes affinités avec d’autres compositeurs italiens du tournant du siècle, les musicologues refusent le plus souvent de le considérer comme appartenant au mouvement dit vériste, en raison des thèmes de ses livrets mais aussi d’une esthétique musicale très personnelle. Si l’on reproche parfois au musicien une supposée facilité, on oublie souvent qu’il suscita l’admiration de musicologues, musiciens ou compositeurs aussi aguerris et talentueux qu’Arnold Schoenberg (qui le considérait comme le plus grand harmoniste de son temps) ou René Leibowitz.
Le librettiste
Ferdinando Fontana (1850-1919)
Ferdinando Fontana naît à Milan en 1850 dans une famille où l’art occupe une place essentielle (son père et son frère sont artistes peintres). Il commence sa carrière comme copiste au Corriere di Milano, avant de se tourner vers le journalisme et la littérature. Il publie des ouvrages ressortissant à des genres on ne peut plus variés (articles, guides de voyages, poèmes,…), avec une prédilection pour les livrets d’opéras : il en écrivit plus d’une quarantaine, le plus souvent pour des musiciens aujourd’hui plus ou moins oubliés. Il est surtout resté célèbre pour avoir écrit les livrets des deux premiers opéras de Puccini (Le Villi et Edgar), pour avoir adapté La Haine (Odio) de Victorien Sardou (Ponchielli, après Offenbach, aurait dû en composer la musique), et pour avoir traduit plusieurs livrets d’opérettes viennoises (La Veuve joyeuse, Le Comte de Luxembourg,…).
Socialiste passionné, il prend part aux manifestations milanaises contre la cherté de la vie en 1898. Devant la répression sanglante qui s’ensuit, il fuit en Suisse où il s’éteint près de Lugano en 1919.
Fontana et Puccini, vers 1885
L’ŒUVRE
La création
L’œuvre fut composée dans le cadre d’un concours de composition, organisé par le propriétaire du Teatro Lirico de Milan : il s’agissait de proposer au jury un opéra en un acte, qui s’inscrive « dans les meilleures traditions de l’opéra italien, mais sans renier les avancées récentes de la science musicale, qu’elles viennent d’Italie aussi bien que de l’étranger ». Puccini obtient le livret de Fontana en septembre 1883. La date de rendu des partitions ayant été fixée au 31 décembre, c’est donc en moins de quatre mois que Puccini compose son premier opéra.
Le jury ne distingua pas l’œuvre de cet inconnu (mais récompensa deux musiciens dont la notoriété ne décolla jamais vraiment : Luigi Mapelli et Guglielmo Zuelli). Elle n’en fut pas moins remarquée par Boito grâce à qui elle fut créée triomphalement au Teatro del Verme à Milan.
Le livret
En 1835, Henrich HEINE (qui s’était installé à Paris dès 1831) fait paraître De l’Allemagne. Dans le chapitre consacré aux « Traditions populaires », voici ce qu’il dit des Willis, fantômes de jeunes femmes mortes avant leur mariage :
Dans une partie de l’Autriche, il y a une légende qui offre certaines similitudes avec les antérieures, bien que celle-ci soit d’une origine slave. C’est la légende de la danseuse nocturne, connue dans les pays slaves sous le nom de « willi ». Les willis sont des fiancées qui sont mortes avant le jour des noces, pauvres jeunes filles qui ne peuvent pas rester tranquilles dans la tombe. Dans leurs cœurs éteints, dans leurs pieds morts reste encore cet amour de la danse qu’elles n’ont pu satisfaire pendant leur vie ; à minuit, elles se lèvent, se rassemblent en troupes sur la grande route, et, malheur au jeune homme qui les rencontre ! Il faut qu’il danse avec elles ; elles l’enlacent avec un désir effréné, et il danse avec elles jusqu’à ce qu’il tombe mort. Parées de leurs habits de noces, des couronnes de fleurs sur la tête, des anneaux étincelants à leurs doigts, les willis dansent au clair de lune comme les elfes. Leur figure, quoique d’un blanc de neige, est belle de jeunesse ; elles rient avec une joie si effroyable, elles vous appellent avec tant de séduction, leur air a de si doucettes promesses ! Ces bacchantes mortes sont irrésistibles.
En 1841, Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier s’inspirent de ces légendes pour écrire le livret du ballet Giselle d’Adolphe Adam. Et en 1856, c’est Alphonse KARR qui, sur le même canevas, écrit la nouvelle des Willis dont s’inspire Ferdinando Fontana pour l’opéra de Puccini.
L’intrigue des Villi est très simple :
ACTE I :
Dans un village de la Forêt noire, on célèbre les fiançailles de Roberto et Anna. Anna est triste cependant : Roberto, avant leur mariage, doit se rendre à Mayence et la jeune femme a un sombre pressentiment : Roberto l’oubliera et elle mourra avant son retour. Roberto tente de la rassurer et quitte le village après avoir reçu la bénédiction de Guglielmo, le père d’Anna.
ACTE II
La prédiction d’Anna s’est réalisée : Roberto a oublié sa fiancée dans les bras d’une courtisane. Anna, se sentant abandonnée, est morte de désespoir. Lorsque Roberto revient au village, dévoré par le remords, Anna, qui a rejoint la cohorte des Willis, l’aborde et l’entraîne dans une danse infernale à laquelle le jeune homme succombe.
[Henry] se tapit dans un buisson, et put contempler un étrange spectacle. Des jeunes filles, vêtues de robes blanches et couronnées de fleurs, valsaient en chantant sur la mousse ; mais leurs robes blanches étaient plus blanches qu’aucune étoffe qu’on eût jamais vue, leurs couronnes de fleurs semblaient lumineuses ; leurs pas étaient si légers qu’on ne savait s’ils touchaient réellement la terre ; leurs voix suaves et mystérieuses ne paraissaient nullement gênées par le mouvement de la valse ; leurs visages surtout étaient d’une effrayante pâleur.
Henry alors se rappela la tradition de la ronde des willis, jeunes filles abandonnées par leurs promis et mortes sans époux, qui, la nuit, dans les bois, dansent entre elles au clair de la lune ; la valse s’arrêta un moment, et Henry entendait le bruit des battements de son cœur. Quelques instants se passèrent à rajuster les couronnes de fleurs, puis on reprit les chants, et c’était encore la valse de Henry que l’on chantait.
Les blanches filles s’enlacèrent deux à deux pour la valse ; une resta seule et jeta autour d’elle un long regard pour chercher une compagne ; sa taille était souple et élancée ; ses cheveux noirs étaient appliqués en bandeau sur son front ; ses yeux d’un bleu sombre avaient un regard tendre et mélancolique ; elle était couronnée de bruyères blanches.
C’était Anna !
Henry crut qu’il allait mourir.
Anna s’avança vers le buisson qui cachait Henry, et le prit par la main ; la main d’Anna était froide comme un marbre.
Henry n’avait pas la force de la suivre ; mais une puissance surnaturelle le portait.
On chanta ; la valse recommença, et Henry, toujours entraîné malgré lui, valsa avec sa fiancée.
Alphonse Karr, Les Willis (1856)
La partition
L’œuvre est d’autant plus étonnante qu’elle a donc été composée en quatre mois par un musicien inexpérimenté à peine âgé de 26 ans ! Si elle ne fut nullement distinguée par le jury, elle correspond tout à fait aux impératifs du concours : italianissime dans le lyrisme passionné des personnages, elle témoigne d’une parfaite inscription dans la musique de son temps, avec notamment une grande importance accordée à l’orchestre (l’œuvre est sous-titrée : « Opera-ballo » et comporte un double interlude orchestral) et la mise en œuvre d’un discours musical sans rupture, dans lequel les grandes scènes des protagonistes s’insèrent naturellement. La richesse et l’originalité orchestrales surprennent, avec déjà des couleurs très personnelles (le début de la seconde partie préfigure nettement la barrière d’Enfer de La Bohème !), des recherches harmoniques subtiles, une orchestration extrêmement soignée, une sensibilité mélodique tout à fait personnelle.
Après le succès remporté par Le Villi lors de leur création, Puccini retouche sa partition et transforme l’œuvre (composée initialement d’un acte unique en deux parties) en un opéra en deux actes. Plusieurs pièces nouvelles sont composées à l’occasion, dont deux airs qui deviendront les pages les plus célèbres de la partition : le « Se come voi piccina io fossi » d’Anna et le « Torna al felici di » de Roberto. Si la première page, dans laquelle Anna demande à son fiancé s’apprêtant à partir pour Mayence de ne pas l’oublier, offre à l’héroïne une scène au lyrisme tendre légèrement sucré dont Puccini a le secret, la seconde, précédant directement la mort de Roberto, portée par une mélodie ample et puissamment dramatique, est digne des plus belles pages pour ténor que le musicien composera ultérieurement.
document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});
« Se come voi piccina io fossi », Sonya Yoncheva
document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});
« Torna al felici di », Plácido Domingo
LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l’œuvre
LP et CD
Fusco, Dal Ferro, Verlinghieri / Chœur et orchestre de la RAI de Turin, dir. A. Basile. Warner Fonit Cetra (1954)
Maliponte, Morell, Manuguerra / Chœur de chambre de l’Académie de Vienne, orchestre de l’Opéra populaire de Vienne, dir. Anton Guadagno. RCA (1971)
Richardson, Parker, Christiansen / Adelaide Festival Chorale, Adelaide Symphony Orchestra, dir. Myer Fredman – Chandos (1979)
Scotto, Domingo, Nucci / Ambrosian Opera Chorus, National Philharmonic Orchestra, dir. Lorin Maazel – Sony Classical (1979)
Gordaze, Cura, Antonucci / Orchestra Internazionale d’Italia, dir. B. Aprea – Nuova Era (1994)
Cauchi, Torriani, Stragapede / The Classique Chorus, Orkestra Nazzjionali, dir . J. Debrincat – Cameo Classics (2015) (+ un DVD comportant un reportage sur l’œuvre)
DVD et Blu-ray
Rola, Montserrat, Margret / Orchestre et Chœur Filarmonica Mediterranea, dir. Tamás Pál, mise en scène E. Castiglione – Kultur (2006)
Leva, Caimi, Fabbian / Orchestre et chœur du Mai Musical Florentin, dir. M. Angius, mise en scène F. Saporano – Dynamic (2018)
Streaming
document.addEventListener('DOMContentLoaded', function() {(tarteaucitron.job = tarteaucitron.job || []).push('youtube');});