Dramma lirico en trois actes, musique de Puccini, livret de Fontana, créé le 21 avril 1889 au Teatro alla Scala, Milan.
LES AUTEURS
Le compositeur
Giacomo Puccini, 08 avril 1908
Giacomo Puccini (1858-1924)
Giacomo Puccini naît à Lucques dans une famille de musiciens en 1858. Élève de Ponchielli, il connaît son premier grand succès avec Manon Lescaut (1893), et se consacre dès lors presque exclusivement à l’opéra. Après Manon Lescaut, il compose La bohème (1896), Tosca (1900) et Madama Butterfly (1904) qui remportent un immense succès et jouissent toujours aujourd’hui d’une très grande popularité. Outre ces ouvrages, il fait aussi représenter La fanciulla del West (1910), et Il trittico (1918). Atteint d’un cancer de la gorge, il s’éteint à Bruxelles en 1924 avant d’avoir pu achever son ultime chef-d’œuvre : Turandot, créé de façon posthume en 1926.
Malgré d’évidentes affinités avec d’autres compositeurs italiens du tournant du siècle, les musicologues refusent le plus souvent de le considérer comme appartenant au mouvement dit vériste, en raison des thèmes de ses livrets mais aussi d’une esthétique musicale très personnelle. Si l’on reproche parfois au musicien une supposée facilité, on oublie souvent qu’il suscita l’admiration de musicologues, musiciens ou compositeurs aussi aguerris et talentueux qu’Arnold Schoenberg (qui le considérait comme le plus grand harmoniste de son temps) ou René Leibowitz.
Le librettiste
Ferdinando Fontana (1850-1919)
Ferdinando Fontana naît à Milan en 1850 dans une famille où l’art occupe une place essentielle (son père et son frère sont artistes peintres). Il commence sa carrière comme copiste au Corriere di Milano, avant se tourner vers le journalisme et la littérature. Il publie des ouvrages ressortissant à des genres on ne peut plus variés (articles, guides de voyages, poèmes,…), avec une prédilection pour les livrets d’opéras : il en écrivit plus d’une quarantaine, le plus souvent pour des musiciens aujourd’hui plus ou moins oubliés. Il est surtout resté célèbre pour avoir écrit les livrets des deux premiers opéras de Puccini (Le Villi et Edgar), pour avoir adapté La Haine (Odio) de Victorien Sardou (Ponchielli, après Offenbach, aurait dû en composer la musique), et pour avoir traduit plusieurs livrets d’opérettes viennoises (La Veuve joyeuse, Le Comte de Luxembourg,…).
Socialiste passionné, il prend part aux manifestations milanaises contre la cherté de la vie en 1898. Devant la répression sanglante qui s’ensuit, il fuit en Suisse où il s’éteint près de Lugano en 1919.
Fontana et Puccini, vers 1885
L’ŒUVRE
La création
La genèse de l’œuvre fut longue (quatre années) et se solda par un échec lors de la création à la Scala de Milan le 21 avril 1889. Puccini tenait cependant à cet ouvrage, qu’il remettra sur le métier à trois reprises, la version définitive étant celle créée à Buenos Aires le 8 juillet 1905. La version définitive de l’ouvrage présente plusieurs différences importantes par rapport à celle de la création, à commencer par un nouveau découpage en 3 actes au lieu de 4 ; le rôle de Tigrana, par ailleurs, passe du registre de soprano colorature à celui de mezzo.
Le livret
Le livret est (très) librement inspiré de La Coupe et les Lèvres de Musset, poème dramatique en cinq actes et en vers, publié une première fois dans la Revue des deux mondes en 1831 puis dans le recueil Un Spectacle dans un fauteuil en 1833 (version en deux actes). Comme le Faust de Goethe, Franck, protagoniste de la pièce de Musset, manifeste orgueil, ambition, et est en quête de son identité… Comme le Tannhäuser de Wagner quelque quinze ans plus tard, il est partagé entre l’amour de la pure Déidama et les plaisirs sensuels procurés par la courtisane Monna Becolore. Mais il ne reste pas grand chose du drame de Musset dans le livret de Fontana, qui réduit la quête d’idéal de Franck (devenu Edgar) à un invraisemblable mélodrame, qui simplifie – voire caricature – les données de la pièce à l’extrême. Les nouveaux noms des personnages constituent en soi un signe tangible de cette adaptation, le héros étant déchiré non plus entre Déidama et Monna Belcolore, mais entre… Fidelia et Tigrana !
Oui, le jour va venir. — Ô ma belle maîtresse !
Je me meurs ; oui, je suis sans force et sans jeunesse,
Une ombre de moi-même, un reste, un vain reflet,
Et quelquefois la nuit mon spectre m’apparaît.
Mon Dieu ! si jeune hier, aujourd’hui je succombe.
C’est toi qui m’as tué, ton beau corps est ma tombe
Mes baisers sur ta lèvre en ont usé le seuil.
De tes longs cheveux noirs tu m’as fait un linceul.
Éloigne ces flambeaux, — entr’ouvre la fenêtre.
Laisse entrer le soleil, c’est mon dernier peut-être.
Laisse-le-moi chercher, laisse-moi dire adieu
À ce beau ciel si pur, qu’il a fait croire en Dieu.
La Coupe et les lèvres, Acte II scène 3
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[…] — Ah ! j’ai senti mon âme
Qui redevenait vierge à ton doux souvenir,
Comme l’onde où tu viens mirer ton beau visage
Se fait vierge, ma chère, et dans ta chaste image
Sous son cristal profond semble se recueillir !
C’est bien toi ! — je te tiens, — toujours fraîche et jolie,
Toujours comme un oiseau, prête à tout oublier.
Voilà ton petit lit, ton rouet, ton métier,
Œuvre de patience et de mélancolie.
Ô toi, qui tant de fois as reçu dans ton sein
Mes chagrins et mes pleurs, et qui m’as en échange
Rendu le doux repos d’un front toujours serein ;
Comment as-tu donc fait, dis-moi, mon petit ange,
Pour n’avoir rien gardé de mes maux, quand mon cœur
A tant et si souvent gardé de ton bonheur ?
La Coupe et les lèvres, Acte V scène 3
ACTE I
En Flandres, au XIVe siècle. Edgar, aimé de Fidelia, cède aux charmes de la séductrice Tigrana. Il s’enfuit avec elle après avoir blessé Frank, le frère de Fidelia, également amoureux de Tigrana.
ACTE II
Lassé par sa vie de débauche, Edgar quitte Tigrana et s’engage dans l’armée. Il y retrouve Frank : les deux hommes se réconcilient.
ACTE III
Edgar est mort en héros au combat. Fidelia et les soldats assistent à ses funérailles, mais un moine trouble la cérémonie en rappelant les fautes passées d’Edgar. Fidelia défend la mémoire du jeune homme, mais Tigrana, soudoyée par le moine, accuse Edgar de trahison. La foule décide alors de jeter le corps d’Edgar aux corbeaux, mais le cercueil ne contient en réalité qu’une armure vide… Le moine montre alors son visage : il s’agit d’Edgar lui-même, lequel a échappé à la mort contrairement aux bruits colportés par la rumeur. Fidelia n’a guère le temps de se réjouir : à peine s’est-elle jetée dans les bras de son fiancé que Tigrana, folle de jalousie, la poignarde.
La partition
Loin d’être indigne, force est de constater que la partition n’est pas du meilleur Puccini. Le compositeur lui-même, après avoir tenté de remanier son opéra à trois reprises, se détourna de cette œuvre de jeunesse, qui ne retrouva jamais le chemin de la scène de façon durable. Ne suggéra-t-il pas à Sybil Seligman de lire ainsi le titre de son deuxième opéra : « E Dio ti GuARdi da quest’opera! » (« Et que Dieu te garde de cet opéra ! »)
Plusieurs pages retiennent cependant l’attention : le contraste entre le chant de Tigrana et la prière des paysans au premier acte (« Iddio non benedice / Tu il cuor mi strazii… Io muoio! ») préfigure dans une certaine mesure le Te Deum qui clôt le premier acte de Tosca, où le chant blasphématoire de Scarpia se superpose au chant religieux. Le dernier acte comporte une émouvante marche funèbre, que Toscanini jouera lors des obsèques du compositeur.
Lorsque Puccini remania son œuvre, il fusionna les actes III et IV, ce qui eut entre autres conséquences de faire disparaître une fort belle page, que le compositeur réutilisera quelques années plus tard dans Tosca : elle deviendra l’air que chante Mario au troisième acte : « O dolci mani ». Deux airs, enfin, ont gardé une certaine notoriété et sont parfois intégrés aux programmes de récitals : l’air d’Edgar au 2e acte, lorsque le jeune homme regrette la vie qu’il mène et se rappelle Fidelia avec nostalgie (« O soave vision« ) ; enfin, l’air que chante Fidelia au 3e acte, alors qu’elle croit qu’Edgar est mort (« Addio, mio dolce amor« ).
Acte I : "Dio non benedice" - Leandra Overmann (Tigrana) Orquestra de València, Cor de la Generalitat Valenciana dir. Miguel Ángel Gómez Martínez (2009)
Acte I : Questo amor, vergogna mia (air de Frank, Valdis Jansons , 2019)
Acte II: "Orgia, chimera dall'occhio vitreo... O soave vision" (Jonas Kaufmann, 2015)
Acte III : ''Addio, mio dolce amor'' (Kristine Opolais, 2011)
LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l'œuvre
LP et CD
- Mietta Sighele, Bianca Maria Casoni, Renzo Scorsoni, Veriano Luchetti, Chœur de la Radio Italienne & Orchestre Symphonique de Turin, Carlo Felice Cillario (dir.), Opera d’Oro (1971)
- Renata Scotto, Gwendolyn Killebrew, Carlo Bergonzi, Schola Cantorum of New York, New York City Opera Children’s Chorus, Opera Orchestra Of New York, Eve Queler (dir.), CBS Masterworks (1977)
- Julia Varady, Mary-Ann McCormick, Carl Tanner, Dalibor Jenis, Maîtrise de Radio France, Orchestre National de France, Yoel Levi (dir.), Naïve (2002)
- Placido Domingo, Adrianna Damato, Marianne Cornetti Frank, Juan Pons, Rafal Siwek, Coro e Orchestra dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia, Alfredo Veronesi (dir.), Deutsche Gramophon (2006)
DVD et Blu-ray
Dario Balzanelli, Montserrat Marti, Halla Margret, Andrea Rola, Giovanni Tarasconi / Chœur & Orch. Philhar. de Méditerranée, dir. Tamas Pal, mise en scène : Enrico Castiglione, Kultur (2005)
- José Cura, Amarilli Nizza, Julia Gertseva, Marco Vratogna, Orchestre et Chœur du Teatro Regio de Turin, Yoram David (dir.), DVD Arthaus Musik (2009)