Tragedia lirica en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créée le 11 mars 1830 à Venise (Teatro la Fenice).
LES AUTEURS
Le compositeur
Portrait de Bellini par Giuseppe Tivoli (Museo internazionale e biblioteca della musica, Bologna)
Vincenzo Bellini (1801-1835)
Bellini naît à Catane en 1801 dans une famille de musiciens. À Naples, il bénéficie d’une formation musicale assurée par de grands maîtres de l’époque et de Zingarelli, directeur du conservatoire. La fin de sa formation est couronnée par les représentations de ses deux premiers opéras : Adelson e Salvini, représenté sur la scène du conservatoire en 1825 et, un an plus tard, Bianca e Fernando, sur la scène du San Carlo. Dès lors, les grands théâtres italiens ouvrent leurs portes au jeune compositeur : la Scala (Il pirata en 1827, La straniera en 1829, Norma et La sonnambula en 1831) ; Teatro Regio de Parme (Zaira, 1829) ; Fenice de Venise (I Capuleti e i Montecchi, 1830, Beatrice di Tenda, 1833). Il voyage également en Europe, notamment à Londres et Paris où il fait représenter son ultime chef-d’œuvre : I puritani e i cavalieri en 1835.
La disparition brutale de ce compositeur de 34 ans quelques mois après le triomphe de cette dernière création privera l’histoire de l’Opéra de possibles chefs-d’œuvre à venir… mais aussi Verdi du seul véritable rival qu’il eût pu connaître en Italie. Le charme prégnant des mélodies belliniennes fit l’admiration de compositeurs pourtant parfois assez éloignés de cette écriture et de cette esthétique, tels Chopin ou encore Wagner – qui dirigea Norma à Riga en 1837.
Le librettiste
Felice Romani (1788-1865)
Romani naît à Gênes en 1788. Il suit de brillantes études de lettres dans l’université de cette ville, et devient un spécialiste reconnu de la littérature française (de fait, plusieurs de ses livrets, tel celui de Norma, seront des adaptations d’œuvres françaises) ainsi que de l’Antiquité et de la mythologie. Poète et critique musical et littéraire, c’est en tant que librettiste qu’il acquiert sa plus grande renommée. Extrêmement prolifique (il est l’auteur de près d’une centaine de livrets !), il écrivit de nombreux textes pour :
- Rossini : Aureliano in Palmira, Il turco in Italia, Adina ;
- Bellini : Il pirata, La straniera, Zaira, I Capuleti e i Montecchi, La sonnambula, Norma, Beatrice di Tenda ;
- Donizetti : Chiara e Serafina, Alcina, regina di Golconda, Rosmonda d’Inghilterra, Anna Bolena, L’elisir d’amore, Lucrezia Borgia,…;
- et Verdi : Un giorno di regno.
L'ŒUVRE
La création et la fortune de l'œuvre
Giuditta Grisi et Amalia Schutz lors de la reprise des Capulet à la Scala en 1830
Après les triomphes du Pirata et de La straniera, Bellini avait essuyé un échec avec Zaira, créée à Parme en 1829. I capuleti e i Montecchi lui permettront de prendre une belle revanche, avec une œuvre qui, pourtant, emprunte beaucoup à Zaira… Créés à La Fenice de Venise le 11 mars 1830 avec, dans les rôles principaux, Rosalbina Caradori-Allan (Giulietta) et Giuditta Grisi (Romeo), l’œuvre triomphe et est rapidement reprise sur les principales scènes italiennes puis européennes. Sans atteindre tout à fait la renommée de Norma, Puritani ou Sonnambula, elle s’est maintenue au répertoire et fait régulièrement l’objet de reprises avec dans les deux rôles principaux, la participation des belcantistes les plus chevronnées : Renata Scotto, Mariella Devia, Katia Ricciarrelli, Cecilia Gasdia, Anna Netrebko, Patrizia Ciofi furent des Giulietta célèbres ; et Tatiana Troyanos, Martine Dupuy, Agnes Baltsa, Vesselina Kasarova, Karine Deshayes, Joyce DiDonato, Elīna Garanča remportèrent de grands succès en Romeo.
Rosalbina Carradori-Allan par Pierre Louis Grevedon en 1831
La créatrice de Giulietta, Maria Caterina Rosalbina Carradori-Allan (née de Munck en à Milan, décédée le à Surbiton) est une soprano française ayant connu de grands succès dans toute l’Europe en Cherubino, Zerlina, Vitellia, Cenerentola, Rosina, ou encore Palmide (Il crociato in Egitto).
Le livret
Les sources littéraires
Pour apprécier pleinement I Capuleti e i Montecchi, il faut impérativement s’affranchir du souvenir de la tragédie de Shakespeare – ce dont Berlioz, admirateur du grand Will devant l’Éternel, fut incapable. Le livret surprend et déçoit en effet les admirateurs du dramaturge anglais. C’est que Romani, dont le texte avait déjà été mis en musique par Vacai (Giulietta e Romeo, 1825), s’inspire moins de la pièce anglaise que de différentes versions italiennes l’ayant précédée, signées notamment Masuccio de Salerne (Novellino, 1476), ou encore Luigi da Porto (Historia novellamente ritrovata di due nobili amanti, 1535) et Matteo Bandello (Nouvelles, 1554-1573).
L’intrigue
À Vérone, au XIIIe siècle.
Luigi da Porto (1485-1529)
Luigi da Porto, Roméo et Juliette, nouvelle traduite en français par M. É.-J. Delécluze (1827)
ACTE I
Les deux familles des Capuleti (appartenant à la faction des Guelfes) et des Montecchi (appartenant aux Gibelins) se vouent une haine ancestrale, ravivée par la récente mort du fils de Capellio, tué par Romeo au cours d’une bagarre.
Capellio (basse) a promis à Tebaldo (ténor) la main de Giulietta (soprano). Mais la jeune fille est secrètement éprise de Romeo (mezzo-soprano). Celui-ci, déguisé, se présente au palais des Montecchi en tant qu’ambassadeur de paix : il propose que les noces de Romeo et Giulietta scellent la réconciliation des deux familles. Capellio refuse : le mariage de Giulietta et de Tebaldo est imminent, au désespoir de la jeune fille. Romeo s’introduit secrètement dans les appartements de Giulietta et lui propose de s’enfuir avec lui. La jeune fille refuse, n’osant désobéir à son père. Romeo tente alors d’enlever sa bien-aimée le jour même de son mariage avec Tebaldo, mais il est démasqué et doit s’enfuir. Le mariage est reporté.
ACTE II
Lorenzo (basse), médecin des Capuleti favorable aux deux amants, propose à Giulitetta de boire un puissant narcotique : on la croira morte, on déposera son corps dans le tombeau familial, Romeo viendra l’y rejoindre et les deux jeunes gens pourront alors s’enfuir loin de Vérone. Giulietta accepte et boit le somnifère. Hélas, Romeo n’a pu être prévenu à temps : alors qu’il se bat en duel avec Tebaldo près du palais des Capuleti, il entend les accents d’un convoi funèbre et assiste, désespéré, aux funérailles supposées de sa bien-aimée. Il pénètre alors dans le tombeau des Capuleti et s’empoisonne. Lorsque Giulietta reprend ses esprits, c’est pour découvrir Romeo agonisant: se saisissant du poignard du jeune homme, elle se donne la mort.
Luigi da Porto (1485-1529)
Luigi da Porto, Roméo et Juliette, nouvelle traduite en français par M. É.-J. Delécluze (1827)
La partition
L’œuvre n’atteint peut-être pas les sommets qui seront ceux de Norma ou des Puritani quelques années plus tard : l’urgence dans laquelle elle fut composée se ressent parfois dans certaines pages musicales, et surtout le livret peine à maintenir la tension tragique qu’on est en droit d’attendre de la légende des amants de Vérone. Cette tragedia lirica n’en demeure pas moins très attachante, et son maintien au répertoire s’explique par plusieurs raisons : à Giulietta échoient de longues et belles cantilènes typiquement belliniennes, tels l’air d’entrée « Oh ! quante volte… », précédé d’un très beau récitatif et d’une superbe introduction orchestrale, et surtout la supplique à Capulet (Acte II, scène 3 : « Ah ! non poss’io partire… »), où Giulietta trouve des accents dont l’émotion préfigure celle de Norma, Amina ou Elvira.
Les deux amants, à l’acte I, chantent un duo (« Si, fuggire ») dont le lyrisme tendre est irrésistible.
Quant au rôle de Romeo, c’est sans doute l’un des plus intéressants et des plus touchants du répertoire de mezzo belcantiste : ardent, amoureux, impulsif, désespéré, le personnage offre à l’interprète un large registre d’émotions et la possibilité de briller vocalement dans la fougue comme dans l’élégie. Plus encore que la cavatine et la cabalette par lesquelles il se présente à l’acte I, on retiendra le duo avec Tebaldo à l’acte II, interrompu par la procession funèbre de Giulietta, et surtout l’admirable scène du tombeau, avec un récitatif et une aria (« Deh ! tu, bell’anima ») qui comptent parmi les pages les plus émouvantes de tout le répertoire bellinien.
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
CD
Aragall, Scotto, Pavarotti – Abbado / Scala de Milan, 1967 (Opera d’Oro)
Troyanos, Sills, Evans – Caldwell / Opera Company of Boston, 1975 (VAI)
Baker, Sills, Gedda – Patané / New Philharmonia, 1976 (EMI)
Baltsa, Gruberova, Raffanti – Muti / Covent Graden, 1984 (EMI)
Larmore, Hong, Groves – Runnicles / Scottish Chamber Choir, Scottish Chamber Orchestra, 1998 (Warner/Teldec)
Kasarova, Mei, Vargas – R. Abbado / Münchner Rundfunkorchester, 1998 (RCA)
Garanča, Netrebko, Joseph Callej – Luisi / Wiener Symphoniker, 2009 (DG)
DVD et Blu-ray
Mianiti, Mazzavillani Muti / Gardina, Farcas, Patti – Ravenna, VAI, 2005
Accocella, Krief / Polito, Ciofi, Formaggia – Festival della Valle d’Istria, Dynamic, 2006
Frizza, Boussard / DiDonato, Cabell, Pirgu – San Francisco Opera, 2014
Luisi, Loy / DiDonato, Kulchynska – Zurich , Accentus Music, 2015
Meir Wellber, Bernard / Ganassi, Pratt, Amoretti –La Fenice, Naxos, 2022