Tragedia giapponese en trois actes de Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, créée le 17 février 1904 à la Scla de Milan
LES AUTEURS
Le compositeur
Giacomo Puccini , 08 avril 1908
Giacomo Puccini (1858-1924)
Giacomo Puccini naît à Lucques dans une famille de musiciens en 1858. Élève de Ponchielli, il connaît son premier grand succès avec Manon Lescaut (1893), et se consacre dès lors presque exclusivement à l’opéra. Après Manon Lescaut, il compose La bohème (1896), Tosca (1900) et Madama Butterfly (1904) qui remportent un immense succès et jouissent toujours aujourd’hui d’une très grande popularité. Outre ces ouvrages, il fait aussi représenter La fanciulla del West (1910), et Il trittico (1918). Atteint d’un cancer de la gorge, il s’éteint à Bruxelles en 1924 avant d’avoir pu achever son ultime chef-d’œuvre : Turandot, créé de façon posthume en 1926.
Malgré d’évidentes affinités avec d’autres compositeurs italiens du tournant du siècle, les musicologues refusent le plus souvent de le considérer comme appartenant au mouvement dit vériste, en raison des thèmes de ses livrets mais aussi d’une esthétique musicale très personnelle. Si l’on reproche parfois au musicien une supposée facilité, on oublie souvent qu’il suscita l’admiration de musicologues, musiciens ou compositeurs aussi aguerris et talentueux qu’Arnold Schoenberg (qui le considérait comme le plus grand harmoniste de son temps) ou René Leibowitz.
Les librettistes
Luigi Illica (1857-1919)
Luigi Illica fut l’un des plus célèbres librettistes italiens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il travailla le plus souvent en duo avec Giuseppe Giacosa, notamment pour Puccini (Manon Lescaut, La bohème, Tosca, Madama Butterfly). Parmi les livrets qu’il rédigea seul, il y eut celui de La Wally pour Catalani (1892), d’Iris pour Mascagni (1898) ou de Siberia pour Giordano (1903)
Giuseppe Giacosa (1947-1906)
Giacosa connaît une certaine notoriété grâce à des pièces de théâtre, d’inspiration tout d’abord post romantiques, avec leur reconstitution plus ou moins fantaisiste d’un passé (le Moyen Âge, le seicento) revisité au prisme de la sensibilité fin de siècle : La partita a scacchi (La Partie d’échecs, 1871) ; Il marito amante della moglie (Le Mari amant de la femme, 1871). Il subit par la suite l’influence du naturalisme et s’oriente alors vers le drame bourgeois.
Mais il est surtout passé à la postérité pour sa collaboration, en tant que librettiste, avec Luigi Illica avec qui il rédige pour Puccini les livrets de La bohème, Tosca ou Madama Butterfly.
L'ŒUVRE
La création
Madama Butterfly par Leopoldo Metlicovitz (1904)
Avec Madama Butterfly, créée dans sa version originale en 2 actes à la Scala le 17 février 1904, Puccini connut le plus grand échec de sa carrière: un véritable fiasco (peut-être une cabale orchestrée par le rival de l’éditeur Ricordi ?), qui contraignit le théâtre milanais à retirer l’œuvre de l’affiche. Remaniée (en 3 actes, avec certaines coupures et quelques modifications), l’opéra fut de nouveau présenté au public, à Brescia, le 28 lai 1904 : ce fut un triomphe qui, depuis, ne s’est jamais démenti. L’œuvre fut créée à l’Opéra-Comique le 28 décembre 1906.
Le livret
le livret s’inspire d’une pîèce de David Belasco (auteur de The Girl o the Golden West dont Puccini tirera La Fille du Far West), Madame Butterly, tirée d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même fortement inspirée de la Madame Chrysanthème de Pierre Loti (1887).
Acte I
À Nagasaki.
Le lieutenant américain F.B. Pinkerton (ténor) se réjouit de la bonne affaire qu’il vient de conclure : le voici tout à la fois propriétaire d’une maison japonaise, et époux d’une jeune japonaise tout juste âgée de quinze ans : Cio-Cio-San (ou, en anglais, Madame Butterfly, soprano). Son récent mariage ne prête pour lui nullement à conséquence : il est déjà fiancé à Kate (mezzo-soprano), qui l’attend sur le sol américain.
Pierre Loti, Madame Chrysanthème (Calmann Lévy, 1888) © BnF / Gallica
Sharpless (baryton), le consul des États-Unis, met cependant Pinkerton en garde : si Pinkerton prend son mariage à la légère, ce n’est pas le cas de Cio-Cio-San, que la vie n’a pas épargnée. Orpheline de père (sur ordre de l’Empereur, son père s’est jadis fait hara-kiri), Cio-Cio-San vit désormais avec sa suivante Suzuki (mezzo-soprano), est désormais geisha et gagne tant bien que mal de quoi entretenir sa vieille mère.
Arrive l’oncle de Butterfly, un bonze (basse) qui maudit sa nièce, horrifié de constater qu’elle a renié sa religion pour embrasser celle de son époux. Les invités de la noce la renient à leur tour et quittent la maison, laissant Butterfly désespérée. Pinkerton la prend dans ses bras pour la consoler. Les deux nouveaux époux s’apprêtent à passer leur première nuit d’amour… (« Bimba non piangere« )
Acte II
Pinkerton est reparti aux États-Unis, laissant sa femme seule avec Suzuki, qui s’inquiète pour l’avenir : depuis trois ans que Pinkerton est parti, l’argent commence à manquer, et Suzuki craint que Pinkerton ne revienne jamais… Mais Butterfly reste convaincue de la fidélité de son mari : « Un beau jour, nous verrons une fumée s’élever aux confins de la mer, et son navire apparaîtra… » (« Un bel di…« ). Arrive Sharpless, que Butterfly s’empresse de recevoir « à l’américaine ». Sharpless a reçu une lettre de Pinkerton et veut préparer Butterfly à une mauvaise nouvelle… Butterfly croit que le consul est venu lui annoncer le retour de son mari. Il n’en est rien : « Que feriez-vous, Madame Butterfly, si votre mari devait ne jamais revenir ?… » Il rappelle alors à Butterfly qu’au Japon, l’abandon équivaut à un divorce, et il lui conseille de répondre favorablement à la demande en mariage que lui a faite le riche prince Yamadori. « C’est vous qui osez me dire cela ? », s’exclame Butterfly horrifiée. Elle demande alors à Suzuki de reconduire Sharpless, puis se ravise : s’éclipsant un instant, elle revient, portant fièrement dans ses bras un garçonnet de trois ans : « Et lui? Pourra-t-il l’oublier aussi? » Quoi qu’il en soit, Butterfly déclare préférer mourir plutôt que de reprendre son ancien métier de geisha. Bouleversé, Sharpless quitte Butterfly en lui promettant de prévenir Pinkerton qu’il est le père d’un petit garçon. (« Ora a noi… Sai cos’ebbe cuore di pensar quel signore? / Che tua madre... »).
Soudain, un coup de canon retentit… On annonce l’arrivée dans le port de l’Abraham Lincoln, le navire de Pinkerton ! Radieuse, Butterfly se moque de tous ceux qui ne croyaient pas possible le retour de son mari. Elle demande à Suzuki de l’aider à décorer sa maison, revêt la robe qu’elle portait lors de son mariage, appelle son petit garçon: Butterfly, l’enfant et Suzuki s’agenouillent, les yeux rivés vers le port, et attendent le retour de Pinkerton. Le nuit tombe… (Chœur à bouche fermée).
Acte III
L’aube se lève, Pinkerton n’est pas revenu… Alors que Butterfly va coucher son enfant, Suzuki voit arriver le lieutenant américain accompagné d’une inconnue. Elle comprend aussitôt : « Pour la petite, le soleil s’est éteint… » Suzuki apprend alors que Pinkerton et Kate sont venus arracher son enfant à Butterfly, afin de l’emmener aux États-Unis. Après cet aveu, Pinkerton, rongé par le remords, préfère lâchement s’enfuir (« Addio, fiorito asil« ). Ayant entendu du bruit, Butterfly paraît. Devant le silence glacial de Suzuki, elle perd patience et force sa suivante à parler. Elle déclare accepter que Pinkerton prenne son fils, à condition qu’il vienne lui-même le chercher. Puis elle exige que Suzuki s’éloigne avec l’enfant et la laisse seule.
Butterfly tire de son étui le poignard avec lequel son père s’est suicidé. L’étui porte cette inscription : » Qu’il meure avec honneur, celui qui ne peut plus vivre que dans le déshonneur ». Pressentant l’imminence d’un drame, Suzuki ouvre la porte et jette l’enfant dans les bras de sa mère. Butterfly sert son enfant dans ses bras à l’étouffer, lui dit un adieu déchirant, et le renvoie jouer. Elle se poignarde et meurt au moment même où Pinkerton surgit dans la pièce…
La partition
Madama Butterfly fait partie de ces rares œuvres à la fois savantes, exigeantes, et pourtant accessibles et très aimées du public.
Savante parce que l’orchestration est l’une des plus recherchée de tout l’œuvre puccinien : si, avant de se lancer dans la composition de son opéra, Puccini étudia profondément la civilisation japonaise – et notamment sa musique –, les saveurs orientalisantes de la partition ne relèvent pas d’une simple « couleur locale » : l’orchestre déploie sous les voix un tapis somptueux, de l’entrée de Butterfly (un moment de pure poésie musicale) aux scènes les plus violemment tragiques des actes II et III.
Exigeante car Butterfly est l’opéra de l’attente et du temps suspendu : il est construit sur un long crescendo qui se précipite brutalement avec l’annonce du retour de Pinkerton au second acte. Il faut, avant ce « coup de théâtre », se laisser porter et gagner par la douleur mêlée d’espoir qui habite l’héroïne, dont la vie, après le départ de Pinkerton, se résume à une longue attente du retour de son « mari » – une attente que symbolise le célèbre « chœur à bouche fermée » qui clôt le second acte.
Accessible et très aimée car l’héroïne éponyme gagne immédiatement le cœur du public : le personnage, admirablement construit (il passe du statut d’adolescente à celui de jeune mère puis d’héroïne tragique), est l’un des plus complets du répertoire. Particulièrement lourd (Butterfly est presque constamment présente sur scène), il exige de la part de l’interprète fraîcheur et transparence (la scène d’entrée, où la ligne vocale doit se faire suave et délicate jusqu’au difficile contre-ré qui la conclut), et une puissance d’émotion qui va de l’espoir halluciné (« Un bel di ») au dramatisme intense du duo avec Sharpless (lorsque Butterfly réalise que Pinkerton l’a abandonnée), ou encore aux scènes éminemment tragiques de l’adieu à l’enfant et du suicide final.
Chœur à bouche fermée (Metropolitan Opera, 2021)
La scène finale : "Con onore muore" - Maria Callas, dir. H. von Karajan
LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l'œuvre
LP et CD
Herbert von Karajan / Maria Callas, Nicolai Gedda – Chœur et orchestre de la Scala de Milan – EMI Classics / Warner Classics (1955)
Tullio Serafin / Renata Tebaldi, Carlo Bergonzi – Chœur et orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome – Decca (1958)
Gabriele Santini / Victoria de los Ángeles, Jussi Björling – Chœur et orchestre du Teatro dell’Opera di Roma – EMI (1959)
Erich Leinsdorf / Leontyne Price, Richard Tucker, orchestre et chœur de la RCA Italiana Orchestra – RCA Victor (1962)
Herbert von Karajan / Mirella Freni, Luciano Pavarotti – Chœur de l’Opéra de Vienne, Orchestre philharmonique de Vienne – Decca (1974)
Lorin Maazel / Renata Scotto, Plácido Domingo, Philharmonia Orchestra et chœur Ambrosian Opera Chorus – CBS Masterworks (1978)
Gabriele Bellini / Raina Kabaivanska, Nazzareno Antinori – Bulgarian Philharmonic Orchestra, Bulgarian National Chorus – Frequenz (1982)
Giuseppe Sinopoli / Mirella Freni, José Carreras – Ambrosian Opera Chorus, Philharmonia Orchestra – Deutsche Grammophon (1988)
Antonio Pappano / Angela Gheorghiu, Jonas Kauffmann – Chœur et orchestre de l’Axadémie Sainte-Cécile – EMI / Warner Classics (2008)
DVD et Blu-ray
Oliviero De Fabritis ; Mario Lanfranchi / Anna Moffo, Reanto Cioni – RAI Milan orchestra and chorus – VAI (1956)
Herbert von Karajan ; Jean-Pierre Ponnelle / Mirella Freni, Placido Domingo – Chœur et orchestre Wiener Philharmoniker – Decca (1974)
Maurizio Arena ; Giulio Chazalettes / Raina Kabaivanska, Nazzareno Antinori – Orchestre et chœur Arènes de Vérone – Warner Music Vision/NVC Arts (1983)
Lorin Maazel ; Keita Asai / Yasuko Hayashi, Peter Dvorský – Chœur et orchestre de la Scala de Milan – Arthaus (1986)
James Conlon ; Frédéric Mitterrand / Ying Huang, Richard Troxell – Orchestre de Paris, chœur de Radio France – Columbia Tristar (1994)
Edo de Waart ; Robert Wilson / Cheryl Barker, Martin Thompson – Nederlands Philharmonisch Orkest – Opus Arte (2003)
Placido Domingo ; Stefano Monti / Daniela Dessì, Fabio Armiliato – Orchestre et chœur Città Lirica – Dynamic (2004)
Antonio Pappano ; Moshe Leiser et Patrice Caurier / Ermonela Jaho, Marcelo Puente – Covent Gaaden – Opus Arte (2018)