Opéra en 3 actes et 5 tableaux de Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé le 25 avril 1926 à la Scala de Milan.
LES AUTEURS
Le compositeur
Giacomo Puccini , 08 avril 1908
Giacomo Puccini (1858-1924)
Giacomo Puccini naît à Lucques dans une famille de musiciens en 1858. Élève de Ponchielli, il connaît son premier grand succès avec Manon Lescaut (1893), et se consacre dès lors presque exclusivement à l’opéra. Après Manon Lescaut, il compose La bohème (1896), Tosca (1900) et Madama Butterfly (1904) qui remportent un immense succès et jouissent toujours aujourd’hui d’une très grande popularité. Outre ces ouvrages, il fait aussi représenter La fanciulla del West (1910), et Il trittico (1918). Atteint d’un cancer de la gorge, il s’éteint à Bruxelles en 1924 avant d’avoir pu achever son ultime chef-d’œuvre : Turandot, créé de façon posthume en 1926.
Malgré d’évidentes affinités avec d’autres compositeurs italiens du tournant du siècle, les musicologues refusent le plus souvent de le considérer comme appartenant au mouvement dit vériste, en raison des thèmes de ses livrets mais aussi d’une esthétique musicale très personnelle. Si l’on reproche parfois au musicien une supposée facilité, on oublie souvent qu’il suscita l’admiration de musicologues, musiciens ou compositeurs aussi aguerris et talentueux qu’Arnold Schoenberg (qui le considérait comme le plus grand harmoniste de son temps) ou René Leibowitz.
Les librettistes
Giuseppe Adami (1878-1946)
Écrivain mais aussi critique musical (pour La Sera), Giuseppe Adami est surtout connu en tant que librettiste : s’il écrivit des livrets pour Zandonai, Milè ou encore Caltabiano, c’est sa collaboration avec Puccini qui lui apporta la notoriété. Pour le compositeur lucquois, Adami écrivit les livrets de La rondine, Il tabarro et Turandot, en collaboration avec Renato Simoni. Sa grande proximité avec le musicien lui permit de publier un recueil de trente lettres inédites en 1928, de même que deux biographies : Puccini (1935) et Il Romanzo della vita di Giacomo Puccini (1942).
Renato Simoni (1875-1952)
Renato Simoni manifesta au cours de sa vie des talents très variés : il fut tout à la fois écrivain (en particulier dramaturge), scénariste, librettiste (Turandot), réalisateur (il coréalisa en 1943 Sant’Elena, piccola isola ou Napoleone a Sant’Elena avec Umberto Scarpelli), et journaliste (il fut rédacteur en chef du journal de Vérone
L’Adige) – notamment critique dramatique (dans le Corriere della Sera mais aussi dans le Giornale di trincea – le « Journal des tranchées » – pendant la Première Guerre mondiale) et critique de cinéma.
L’ŒUVRE
La création
En octobre 1924, on annonça à Puccini, qui souffrait depuis plus d’un an de maux de gorge très douloureux, qu’il était atteint d’un cancer de la gorge inopérable. Il mourut le 29 octobre, alors qu’il s’était rendu à Bruxelles afin de suivre une radiothérapie. Il était en train de travailler sur le duo final entre Calaf et Turandot, qui aurait dû être une page majeure (la pièce maîtresse ?) de l’ouvrage. C’est Franco Alfano qui fut chargé de terminer l’œuvre, laquelle fut créée à la Scala le 26 avril 1926. Une soirée évidemment chargée d’émotion : ce jour-là, après la mort de Liù, le chef Toscanini posa sa baguette, se tourna vers le public et déclara que la représentation s’arrêterait là, puisqu’il s’agissait de la dernière page de l’œuvre achevée par Puccini…
L’opéra, très novateur et original dans son écriture, son orchestration ou encore le rôle primordial dévolu au chœur, ne manqua pas de surprendre dans un premier temps. Mais il s’imposa très vite comme un chef-d’œuvre absolu, dans l’œuvre puccinien et dans le répertoire lyrique en général.
Le livret
Les sources
Le livret d’Adami et Simoni prend appui sur une pièce de Carlo Gozzi (1720-1806), Turandot, (une commedia dell’arte) représentée pour la première fois au Teatro San Samuele, à Venise, le 22 janvier 1762. Mais la pièce de Gozzi s’inspire elle-même d’un conte persan que l’orientaliste français François Pétis de La Croix, (1653 –
L’histoire de Turandot, après Pétis de la Croix et Gozzi, inspira de nombreux artistes, notamment les auteurs Schiller, Vollmoeller ou Brecht, et plusieurs musiciens : outre Puccini, signalons les opéras de Busoni (1917) et Havergal Brian (1949-1951), ainsi que l’ « Ouverture » composée par Weber (une musique de scène destinée à accompagnée la pièce de Schiller).
Extrait de « L’Histoire du Prince Calaf », tirée des Mille et un jours de Pétis de la Croix :
François Pétis de la Croix, « Histoire du Prince Calaf », Les Mille et un jours
L'INTRIGUE
Acte I
Devant les murs de la Cité impériale.
On se presse pour assister à l’exécution du Prince de Perse, lequel vient d’échouer à l’épreuve que lui a soumise la princesse Turandot (soprano) : la fille de l’empereur Altoum (ténor) a en effet promulgué un décret selon lequel elle ne prendra pour époux que l’homme capable de résoudre les trois énigmes qu’elle lui soumettra. En cas d’échec, le prétendant sera décapité. En haut des remparts de la ville sont plantés des poteaux portant la tête des divers princes ayant déjà échoué à l’épreuve…
Perdu dans la foule, un vieil homme aveugle s’effondre : il s’agit de Timur (basse), roi tartare ayant fui son pays pour échapper à ses ennemis, accompagné de son fils Calaf (ténor) et de l’esclave Liù (soprano) , qui aident le vieil homme à se relever.
Turandot apparaît et confirme la condamnation à mort du Prince de Perse. Calaf, subjugué par la beauté de la princesse, décide de tenter à son tour l’épreuve des énigmes, malgré les avertissements de Ping, Pang et Pong, ministres de l’empereur, qui lui font comprendre qu’il court immanquablement à la mort… Liù, secrètement amoureuse de Calaf, supplie à son tour Calaf de renoncer : « Signore, ascolta!«
Montserrat Caballé, "Signore, acolta" (Barcelone, 1975)
Calaf réconforte Liù, mais reste ferme dans sa décision : « Non piangere, Liù »…
À trois reprises, il fait retentir le gong : c’est ainsi qu’un nouveau concurrent manifeste son souhait de se confronter aux énigmes de la Princesse.
Placido Domingo, Non piangere, Liu (New York, 1988)
Acte II
Le pavillon des ministres.
Ping, Pang et Pong méditent sur l’histoire de leur pays et déplorent la violence qui caractérise leur époque : ils aimeraient tellement finir leurs jours tranquilles dans la petite maison qu’ils possèdent à la campagne ! Mais déjà se prépare la cérémonie des épreuves à laquelle Calaf doit participer.
Une place devant le palais.
Turandot explique dans l’air « In questa reggia » qu’elle entend, par les épreuves qu’elle soumet aux hommes, venger l’honneur de son ancêtre Lou-Ling, jadis enlevée et violentée par un étranger. Malgré les avertissements du vieil empereur Altoum et de Turandot elle-même, Calaf confirme sa volonté de passer l’épreuve.
Sondra Radvanovsky, In questa reggia (avec Michael Fabiano, Barcelone, 2022)
À la stupeur générale, Calaf résout les trois énigmes :
– Qu’est-ce qui meurt chaque jour et renaît chaque nuit ? – L’espérance.
– Qu’est-ce qui est à la fois langueur et fièvre ? – Le sang.
– Qu’est-ce qui est à la fois de glace et de feu, capable d’enflammer et de geler dans le même temps ? – La princesse Turandot elle-même !
Turandot supplie son père de ne pas la livrer à l’étranger, mais Altoum déclare qu’elle doit tenir parole. Cependant Calaf pose à son tour un défi la Princesse : si elle découvre son nom avant le lever du soleil, il acceptera de mourir.
Acte III
Sur ordre de Turandot, personne ne doit dormir dans Pékin tant que le nom du prince inconnu n’aura pas été découvert. Calaf reste cependant sûr de sa prochaine victoire : « Nessun dorma! »
Jonas Kaufmann, "Nessun dorma!" (Rome, 2015)
Liù et Timur sont arrêtés : on les a vus en compagnie du Prince étranger, ils connaissent vraisemblablement son nom… Turandot exige d’eux qu’ils le lui révèlent. Pour que Timur ne soit pas malmené, Liù déclare être la seule à connaître le nom du Prince, mais afin de ne pas l’avouer sous la torture, elle se donne elle-même la mort en se poignardant avec l’arme d’un garde : « Ce qui me donne cette force, c’est l’amour. Toi, Princesse de glace, tu seras également vaincue par cette flamme et tu l’aimeras à ton tour… », déclare-t-elle à Turandot. ( « Tu, che di gel sei cinta… »).
Mirella Freni, "Tu che di gel sei cinta" (1965)
Calaf et Turandot restent seuls. Au terme d’un duo passionné, Calaf embrasse la pirncesse et lui révèle son nom. Turandot convoque immédiatement la cour et le peuple : « Je connais le nom du prince étranger : son nom est … Amour ! »
La Princesse de glace a enfin cédé à l’amour, et le peuple acclame le nouveau couple d’amoureux.
La partition
Turandot, œuvre ultime de Puccini, constitue peut-être son chef-d’œuvre le plus incontestable. Le compositeur, afin de créer une ambiance typiquement chinoise, utilise fréquemment dans sa partition la gamme pentatonique, de même que, ponctuellement, certaines mélodies traditionnelles chinoises (tel le chœur d’enfants « Là, sui monti dell’Est »).
"Là sui monti dell'Est"
Mais on admire surtout une luxuriance orchestrale sans équivalent dans les œuvres précédentes, de même que des recherches harmoniques d’une étonnante modernité (faut-il rappeler qu’Arnold Schönberg considérait Puccini comme le plus grand harmoniste de son temps ?). Le chœur joue un rôle primordial dans l’opéra, dramatiquement mais aussi musicalement : lui sont confiées des pages d’une extrême richesse – notamment au premier acte -, contribuant à faire de lui l’un des acteurs principaux du drame. Les rôles principaux, enfin, ont sur l’auditeur un impact émotionnel irrésistible : Liù bouleverse par son caractère fait de douceur, de fragilité mais aussi de détermination. Calaf est l’un des rôles de ténor les plus gratifiants du répertoire, avec le touchant « Non piangere, Liù » et le célébrissime – et très attendu – « Nessun dorma ». Quant au rôle de Turandot, il est peut-être l’un des plus éprouvants du répertoire de soprano. Demandant une puissance vocale et une arrogance dans la projection dignes de certaines héroïnes wagnériennes ou straussiennes, le personnage ne peut être confié à une seule « hurleuse », faute de quoi la douloureuse allusion à la légende de Lou-Ling (« In questa reggia ») et la scène où la princesse succombe à l’amour ne seront pas rendues avec l’émotion qu’elles exigent.
Dès la seconde représentation, l’œuvre fut donnée avec un finale (abrégé par le chef Toscanini qui le jugea trop long et exigea certaines coupures ) composé par Alfano, élève de Puccini. Alfano avait travaillé à partir des esquisses laissées par le maître (la première représentation s’était achevée avec la mort de Liù : voyez ci-dessus le paragraphe consacré à la création de l’œuvre). Ce finale de la création est généralement celui qui est joué de nos jours, mais il en existe d’autres : l’intégrale discographique réalisée en 2022 par Antonio Pappano propose la version intégrale du finale d’Alfano, plus développée, plus crédible dramatiquement et peut-être mieux construite musicalement ; enfin, Luciano Berio composa à son tour un finale alternatif, créé en 2002 à Las Palmas et parfois proposé lors des représentations scéniques.
LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l'œuvre
LP et CD
Cigna, Merli, Oilvero. Ghione / Choeurs et orchestre RAI National Symphony. 2 CD Naxox (enregistré en 1938)
Callas, Fernandi, Schwarzkopf. Serafin / Choeur et orchestre de la Scala. 2 CD Warner Classics (enregistré en 1957)
Nilson, Corelli, Scotto. Molinari-Pradelli / Chœur et orchestre du Teatro dell’Opera di Roma. 2 CD EMI Classics (1965)
Sutherland, Pavarotti, Caballé. Metha / London Philharmonic Orchestra, John Alldis Choir. 2 CD Decca (1973)
Marton, Carreras, Ricciarelli. Maazel / Chœur et orchestre de l’Opéra de Vienne. 2 CD CBS (1984)
Radvanovsky, Kaufmann, Jaho. Pappano / Orchestre et chœur de l’Académie Sainte-Cécile, Rome. 2 CD Warner Classics, 2023.
DVD et Blu-ray
Udovich, Corelli, Mattioli. Previtali / Orchestre et chœur de la RAI de Milan. 1 DVD VAI (enregistré en 1958)
Marton, Domingo, Mitchell. Levine – Zeffirelli / Choeurs et orchestre du Metropolitan Opera de New York. 1 DVD DG, 1988
Marton, Sylvester, Mazzaria. Runnicles – McClintock / Chorus & Orchestra of the San Francisco Opera House. 1 DVD Arthaus Musik (1994)
Casolla, Larin, Fritolli. Metha – Yimou / Choeurs et orchestre du Mai Musical Florentin. 1 DVD RCA (1998)
Schnaut, Botha, Gallardo-Domâs. Gergiev – Pountney / 1 DVD TDK (2002)
Stemme, Antonenko, Agresta. Chailly – Lehnhoff / Chœurs et orchestre de la Scala de Milan.1 DVD Decca (2015)
Theorin, Kunde, Auyanet. Luisotti – Wilson / Chœurs et orchestre du Teatro Real de Madrid. 1 DVD – Blu-ray BelAir (2018)