ROBINSON CRUSOÉ, Offenbach (1867) – dossier

Opéra comique en 3 actes de Jacques Offenbach,  livret d’Eugène Cormon et d’Hector Crémieux, créé le 23 novembre 1867 à l’Opéra-Comique.

LES AUTEURS

Le compositeur

Jacques Offenbach (1819-1880)

Né à Cologne en 1819, Offenbach se rend à Paris alors qu’il est adolescent, suit la classe de violoncelle du Conservatoire pendant un an, puis intègre l’orchestre de l’Opéra-Comique en tant que violoncelliste. Il obtiendra par la suite le poste de directeur de l’orchestre du Théâtre-Français, puis parallèlement à sa carrière de compositeur, sera directeur de salles de spectacles : Les Bouffes-Parisiens, le Théâtre de la Gaîté.

 

Il composa des œuvres de genres et de styles très variés : de la musique instrumentale (Concerto pour violoncelle et orchestre : « Concerto militaire » (1847-1848), de la musique de scène (pour La Haine, drame de Victorien Sardou, 1874), des mélodies, des opéras bouffes (Orphée aux Enfers, 1858 ;  La Belle Hélène, 1864 ; La Grande-Duchesse de Gérolstein, 1867, …), des opérettes, des opéras-comiques (Robinson Crusoé, 1867).
Ses œuvres, majoritairement bouffes, prennent parfois des teintes mélancoliques (Fantasio, 1872), voire graves (Die Rheinnixen, 1864). Son chef-d’œuvre est posthume : Les Contes d’Hoffmann, l’un des opéras français les plus joués au monde, fut créé le 10 février 1881, le compositeur étant mort à Paris le 4 octobre 1880.

Les librettistes

Eugène Cormon (1810-1903)

L’auteur des célèbres Deux orphelines (1874) écrivit en fait quelque deux cents ouvrages dramatiques, presque toujours en collaboration, parmi lesquels on trouve plusieurs livrets d’ouvrages lyriques, dont ceux des Dragons de Villars de Louis-Aimé Maillart (1856), des Pêcheurs de perles de Georges Bizet (1863), ou de Robinson Crusoé de Jacques Offenbach (1867). Il est également l’auteur du drame Philippe II, roi d’Espagne (1846), l’un des hypotextes du livret de Don Carlos (Verdi, 1867). Il fut également directeur de la scène à l’Opéra de Paris de 1859 à 1871.

 

Hector Crémieux (1828-1892)

Ses études de droit ouvrirent à Hector Crémieux les portes du ministère d’Etat, où le duc de Morny lui conseilla de se consacrer à la littérature. Il écrivit dès lors (presque toujours en s’assurant la collaboration d’autres auteurs) de nombreuses pièces de théâtre (Fiesque, d’après Schiller, en 1852), et une trentaine de livrets d’opéras-comiques ou d’opérettes, notamment pour Delibes, Varney et Offenbach (Orphée aux Enfers, La Chanson de Fortunio, Le Pont des Soupirs, Robinson Crusoé,…). Il connut une fin tragique : devant faire face d’une part à la faillite de la société pour laquelle il travaillait depuis la fin des années 80 (la Société des dépôts), d’autre part à la mort de sa femme, il mit fin à ses jours le 30 septembre 1892.

L’ŒUVRE

La création et la fortune de l’œuvre

Robinson Crusoé est créé à l’Opéra-Comique le 23 novembre 1867, avec une distribution particulièrement soignée : le rôle-titre est tenu par le ténor Achille-Félix Montaubry, qui avait créé Bénédict dans Béatrice et Bénédict de Berlioz à Baden-Baden en 1862. Edwige était Marie Cico. Chanteuse talentueuse, Marie Cico avait remporté les premiers prix de chant et d’opéra-comique du Conservatoire de Paris. Habituée du répertoire offenbachien, elle chanta, outre Robinson Crusoé, Vert-Vert, Orphée aux Enfers ou Geneviève de Brabant. Vendredi était Célestine Galli-Marié, future créatrice des rôles-titres de Fantasio et Carmen

Achille-Félix Montaubry

Marie Cico

Pourtant la création se solda par un demi-échec… ou un demi-succès, selon les points de vue, les réactions positives étant dues, selon certains, à la présence des amis du compositeur dans la salle.
Si la valse d’Edwige a acquis au fil du temps une certaine notoriété (elle fut chantée, sur scène ou au disque, par Joan Sutherland, Sumi Jo, Natalie Dessay, Jodie Devos), l’œuvre ne fut reprise que très exceptionnellement, en version de concert (à la BBC en 1937;  à Radio-France en mars 1980 dans un belle interprétation malgré, selon nous, une erreur de distribution dans le rôle-titre – le concert étant dirigé par Jean-Claude Marty ; à l’Opéra-Comique de Berlin en décembre 2024) ; parfois en version scénique : Collegiate Theater (Londres, 1973) ; Royal College of Music, Londres (2019), West Green House (2023)… On le voit, les Anglais, toujours friands du répertoire français, semblent particulièrement apprécier l’œuvre ! L’Opéra de Paris ressuscita quant à lui Robinson Crusoé dans un spectacle donné Salle Favart en 1986, et l’opéra-comique d’Offenbach sera de nouveau donné dans la capitale française au cours de la saison 2025-2026 du Théâtre des Champs-Élysées. 

Les sources du livret

Le livret d’Eugène Cormon et Hector Crémieux s’inspire très lointainement du roman de Daniel Defoe Robinson Crusoé (1719), mais surtout des diverses adaptations (notamment dramatiques) qui en avaient été faites en France depuis la parution de la première traduction du roman anglais :  R.-C. Guilbert Pixérécourt, Robinson Crusoé (1805) ; Alexandre Guesdon et Simonnin, Gilles-Robinson et Arlequin-Vendredi (1805), et William Busnach, Robinson Crusoé (livret de l’opérette de Jules Pillevestre Robinson Crusoé, créée en 1866 aux Fantaisies parisiennes).

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Pour aller plus loin : voyez Stéphane Lelièvre : « Robinson Crusoé d’Offenbach, ou quand l’Opéra-Comique propose à ses spectateurs un aller-retour aux Amériques en 1867″ in Voyages en musique, dir. Camillo Faverzani ; Béatrice Didier, janvier 2020, Paris (ENS Ulm).

L’intrigue

Acte I
Bristol, la maison des Crusoé

La famille Crusoé est réunie autour d’un thé… sauf le jeune Robinson dont on attend le retour. Pour patienter, Sir William (basse) lit la parabole du retour l’enfant prodigue. Précisément, la voix de Robinson (ténor) se fait entendre (« Voir, c’est avoir ! »)

https://www.youtube.com/watch?v=pxgE6H9e7jw&list=OLAK5uy_lLdkFq9fKSxgnzS60hO3–q8YjbsYYtdA&index=3E

Air de Robinson (« Voir, c’est avoir »), version anglaise. John Brecknock, Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Le jeune homme ne rêve qu’aventures et voyages en mer. Il a d’ailleurs prévu de s’embarquer pour un long périple en Amérique du Sud, et compte bien emmener avec lui son domestique Toby (ténor).
La cousine de Robinson, Edwige, (soprano) est amoureuse de lui (« S’il fallait qu’aujourd’hui… »).

https://www.youtube.com/watch?v=DiSzQWmUGSE

Romance d’Edwige (« S’il fallait qu’aujourd’hui »), version anglaise. Yvonne Kenny, Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Elle tente de dissuader Robinson d’effectuer son voyage, tandis que la bonne Suzanne (soprano), elle-même éprise de Toby, fait de même avec son amoureux. Mais si Suzanne obtient de Toby qu’il renonce à embarquer, il n’en va pas de même pour Robinson qui fait ses adieux à Edwige, en lui promettant de ne pas l’oublier et de revenir bientôt la chercher.

https://www.youtube.com/watch?v=mQZGg6ygtGA&list=OLAK5uy_lLdkFq9fKSxgnzS60hO3–q8YjbsYYtdA&index=10

Duo « Apprenez mon cousin », version anglaise. John Brecknock et Yvonne Kenny, Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Acte II
Une île à l’embouchure de l’Orinoco

[Entracte symphonique : la symphonie de la mer]

https://www.youtube.com/watch?v=M_KVk1eMW6w

Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Robinson, dont le bateau a été attaqué par des pirates, a fait naufrage dans une île déserte, où il vit désormais en compagnie du fidèle Vendredi (mezzo-soprano) qu’il a sauvé des cannibales, les terribles Pieds-Verts, peuplant les contrées avoisinantes. Il n’a jamais oublié Edwige, et explique à Vendredi qu’un jour, lui aussi connaîtra l’amour.

https://www.youtube.com/watch?v=OSFON-YMWLI&list=OLAK5uy_lLdkFq9fKSxgnzS60hO3–q8YjbsYYtdA&index=18

Duo « Mon âme à ses regrets ne veut plus se rouvrir », version anglaise. John Brecknock et Sandra Browne, Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Edwige, Suzanne et Toby ont à leur tour pris la mer dans l’espoir de retrouver Robinson. Ils ont subi le même sort que celui-ci, et les voilà eux aussi condamnés à demeurer dans cette île perdue, sans savoir que Robinson se trouve en fait tout près d’eux…
Capturés par les cannibales, Suzanne et Toby sont menés à leur cuisinier, chargés de préparer un pot-au-feu dont ils seront les morceaux favoris. Stupéfaits, les domestiques reconnaissent alors en ce cuisinier… Jim Cocks (basse), leur ancien voisin de Bristol, disparu en mer il y a plusieurs années !

La chanson du pot-au-feu (BnF / Gallica)

Chanson du pot-au-feu – Maurice Sieyes, Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Jean-Pierre Marty (Paris, le 26 mars 1980)

Troisième tableau, scène des sauvages (BnF / Gallica)

Quant à Edwige, elle aussi a été capturée. Mais la blondeur de ses cheveux fait que les Pieds-Verts la prennent pour une déesse : ils décident de la sacrifier à leur dieu Saranha. Edwige, droguée, imagine qu’elle va enfin rejoindre « celui [qu’elle] adore », son Robinson bien-aimé. 

https://www.youtube.com/watch?v=nNFpOi1UGsI

Valse d’Edwige : « Conduisez-moi vers celui que j’adore ». Sumi Jo, English Chamber Orchestra, dir. Giuliano Carella (1998)

Heureusement, Vendredi, armé des pistolets de Robinson, épie la scène : avant que le sacrifice ait pu avoir lieu, il tire plusieurs coups de feu, terrorisant les sauvages qui se sauvent, permettant ainsi la libération de Toby, Suzanne et Edwige.

Acte III

Première scène de l’acte III (BnF / Gallica)

Dans la hutte de Robinson, Edwige, Toby et Suzanne se réjouissent de retrouver le jeune homme à la recherche duquel ils étaient partis, sous le regard ému de Vendredi, tombé amoureux d’Edwige.

https://www.youtube.com/watch?v=2qRYkidm6fU&list=OLAK5uy_lLdkFq9fKSxgnzS60hO3–q8YjbsYYtdA&index=27

« Beauté qui viens des cieux », version anglaise. Sandra Browne, Royal Philharmonic Orchestra, dir. Alun Francis (1980)

Un navire de pirates accoste. Robinson, feignant la folie, se rend à bord et explique au capitaine Will Atkins (basse) et à  l’équipage qu’un trésor est enterré dans l’île. Tous quittent le navire : Robinson et ses amis en profitent pour investir les lieux et se saisir de leurs armes. Lorsque les pirates reviennent, poursuivis par les cannibales, Robinson accepte de les faire monter à bord à condition qu’ils les reconduisent en Angleterre. Au cours du voyage, le capitaine Will Atkins célébrera le mariage d’Edwige et de Robinson.

La musique

On trouve dans Robinson Crusoé des airs faciles et entraînants, composés sur des rythmes de danses, selon une formule qui avait fait le succès du compositeur (la ronde « Debout, c’est aujourd’hui dimanche! » de l’acte I, par exemple), ou encore des morceaux brillants, destinées à mettre en valeur les dons vocaux des interprètes (la valse d’Edwige). Mais la partition fait également entendre des pages plutôt inattendues sous la plume du compositeur : la belle « conversation en musique » par laquelle s’ouvre l’acte I ; l’air d’entrée de Robinson (un arioso de forme assez libre plus qu’un « air » en bonne et due forme ; l’étonnante « symphonie de la mer » (entracte de l’acte II), à l’orchestration raffinée et puissamment évocatrice ; la scène du sacrifice d’Edwige, précédant la célèbre valse, à la ligne mélodique aussi épurée et envoûtante que celle de la Muse dans le finale des Contes. L’inspiration mélodique d’Offenbach est d’ailleurs, dans cette oeuvre, particulièrement remarquable, avec par exemple la simple mais délicieuse romance d’Edwige au premier acte (« S’il fallait qu’aujourd’hui »), ou le touchant air de Vendredi à l’acte III (« Beauté qui viens des cieux »). Aujourd’hui, le public et la critique saisiront certainement le prétexte de ce personnage pour s’offusquer du maquillage qui était celui de Célestine Galli-Marié en 1867, ou du français approximatif qu’on lui fait parler, sans prendre pourtant conscience que faire chanter à un personnage de « sauvage » des pages aussi raffinées contribue au contraire à lui donner une belle dignité et à en faire, humainement, l’égal des autres personnages. 

Quoi qu’il en soit, même si l’oeuvre comporte des scènes amusantes (le trio du pot-au-feu!), les pages lyriques, sentimentales, dramatiques, mélancoliques ne manquent pas dans Robinson Crusoé qui est bel et bien un opéra-comique et non un opéra-bouffe. Robert Dhéry, qui avait mis en scène un délicieux « Vive Offenbach !  » à l’Opéra-Comique en 1979, ne l’avait pas tout à fait compris en 1986 en montant Robinson Salle Favart : sa mise en scène multipliait les gags, en négligeant trop le côté tendre et « semi-sérieux » de l’ouvrage… Espérons que les mises en scènes à venir ne tomberont pas dans le même travers !

LES ENREGISTREMENTS
Notre sélection pour voir et écouter l’œuvre

LP et CD

Alun Francis / John Brecknock, Yvonne Kenny, Sandra Browne ; Royal Philharmonic Opera, Opera Rara (1980). Version anglaise.

Streaming

Tabachnik, Dhéry / Garino, Borst, Clarey. Orchestre et choeur de l’Opéra de Paris, Opéra-Comique, 1987

COMPTES RENDUS

Spectacles

  • Paris, Théâtre des Champs-Élysées