© Brescia e Amisano / Teatro alla Scala
À l’occasion de la présentation de la nouvelle saison de la Scala, Première Loge a rencontré celui qui dirigera le célèbre opéra milanais pour une année encore. Une belle occasion de faire un bilan de ces années passées à la tête de la première scène lyrique italienne, et d’évoquer les spectacles programmés en 2024-2025…
Photo : Marco Brescia © Teatro alla Scala
Ce théâtre est une légende. Construit en 1778, détruit dans un bombardement en 1943 et reconstruit à l’identique dès la fin de la guerre pour une ouverture en 1946, il accueillit les plus grandes créations lyriques du XIXe siècle, de Rossini à Bellini, de Verdi à Puccini. C’est là qu’officièrent les plus grands chefs d’orchestre : Arturo Toscanini, Tullio Serafin, Claudio Abbado, Riccardo Muti, jusqu’à l’actuel chef Ricardo Chailly.
La Scala est véritablement le fief d’une certaine tradition, de grandes familles milanaises confirmant chaque année un abonnement détenu depuis des lustres, parfois même le dix-neuvième siècle, témoin d’une continuité des grandes fortunes qui n’ont pas hésité, au fil du temps, à décorer « leurs » loges.
Le bilan du mandat actuel est particulièrement impressionnant, avec de prestigieuses distributions et des spectacles forts permettant un taux de fréquentation de 90%. Au point que le Ministre de la Culture italien, Gennaro Sangiuliano, l’a chaleureusement reconnu, en avril, lors de l’annonce publique du successeur de Dominique Meyer. En effet, le 4 mai 2023, le Conseil des ministres italien adoptait un décret limitant à 70 ans l’âge des surintendants des institutions lyriques et symphoniques d’Italie. Si les directeurs italiens étaient déjà visés par cette limitation, elle ne s’appliquait pas encore aux directeurs étrangers. Ce décret concernait directement les français Stéphane Lissner, âgé de 70 ans depuis le mois de janvier 2023, et (moins immédiatement) Dominique Meyer, qui aura 70 ans en août 2025.
Ainsi devra-t-il alors céder la place à l’actuel patron de La Fenice de Venise, Fortunato Ortombina, qui deviendra alors le sovrintendente de la prestigieuse institution. Pour Dominique Meyer, il va de soi que cette transition doit se faire et se fera dans les meilleures conditions. À Milan, pas de psychodrame et de bras de fer comme à Naples avec le cas Lissner, en conflit judiciaire ouvert avec les autorités.
Avoir le grand plaisir de rencontrer, tranquillement, en avant première, l’actuel directeur de la Scala en son fief est l’occasion de parler boutique, saison nouvelle et projets. Car ce mardi matin, Dominique Meyer, présentait officiellement la nouvelle saison scaligère. Et elle est étincelante, avec quatorze productions d’opéras, dont neuf spectacles nouveaux, sans oublier les nombreux ballets et concerts symphoniques.
Le traditionnel 7 décembre, elle s’ouvrira avec un titre symbolique : La force du destin, dirigée par Ricardo Chailly. Quelques inconnus assureront la distribution, parmi lesquels Anna Netrebko, Ludovic Tezier, Jonas Kaufmann et Vasilisa Berzhanskaya. Rien d’étonnant à ce que les plus grandes voix d’aujourd’hui se produisent là où Tito Schippa et Beniamino Gigli, Maria Callas et Renata Tebaldi, Luciano Pavarotti et Mirella Freni – tant d’autres… ont créé et fait perdurer, au fil des décennies, la légende du lieu. Où les jeunes talents ont aussi toute leur place.
Estampe de Charles Lecocq - Giuseppe Verdi - La forza del destino.
Dominique Meyer sur la scène de la Scala durant l’entracte de Don Pasquale - © Marc Dumont
Le grand répertoire italien est largement représenté, avec le Falstaff de Verdi en janvier, que campera Ambrogio Maestri, formidable Don Pasquale actuellement à l’affiche. Puis ce sera Tosca de Puccini en mars, avec Chiarra Isotton et Elena Stikhina en alternance et le Cavaradossi de Fransesco Meli ; Marina Rebeka chantera Norma de Bellini, dans une mise en scène d’Olivier Py que dirigera Fabio Luisi en juin-juillet, avant que La Cenerentola de Rossini, dirigée par Gianluca Capuano, ne distribue les rôles aux solistes de l’Académie de la Scala en septembre. Octobre 2025 verra Ludovic Tézier chanter Rigoletto aux côtés de la Gilda de Regula Mühlemann et du Duc de Vittorio Grigolo, avant que La fille du régiment de Donizetti n’offre à nouveau à Juan Diego Florez l’occasion de ses neuf contre-ut lors de son grand air et à Julie Fuchs la reprise d’un rôle qu’elle pratique avec succès depuis 2016 – c’était à Vienne du temps où Dominique Meyer dirigeait l’opéra.
Mais cette saison nouvelle ne saurait se réduire au répertoire italien. Wagner sera de retour sous la baguette du fidèle Christian Thielemann qui, avec La Walkyrie en février puis Siegfried en juin, continuera un Ring signé David Mc Vicar. La nouvelle production d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, signée Mario Martone, donnera à Aida Garifullina l’occasion de briller en Tatjana. Autres nouveautés, le Cosi fan tutte de Mozart mis en scène par Robert Carsen, un spectacle Kurt Weil réglé par Irina Brook et dirigé par Riccardo Chailly, ainsi qu’une création signée Fransesco Filidei, sous la direction d’Ingo Metzmacher et dans une mise en scène de Damiano Michieletto. Comme l’explique Dominique Meyer, il faut cinq années pour mener à bien un projet de création initié par un directeur d’opéra. Un travail contre la montre, de la commande passée au compositeur à la publication de la partition, que les musiciens doivent avoir en amont dix-huit mois avant la première…
Photo : Brescia e Amisano © Teatro alla Scala
Le rideau s’ouvrira aussi sur une partition baroque, comme chaque saison programmée par l’actuel directeur : ce sera L’opera seria de Gasmann. Donné à Schwetzingen en 1994, Innsbruck en 1997 avec René Jacobs, repris en 2003 au Théâtre des Champs Élysées, cette œuvre déjantée, excitante et drôle sera dirigée par Christophe Rousset dans une nouvelle mise en scène de Laurent Pelly.
Pour l’heure, la saison en cours est loin d’être terminée ! Elle se poursuivra jusqu’à l’automne avec le Werther de Benjamin Bernheim, Turandot, Il cappello di paglia di Firenze, L’Orontea, Der Rosenkavalier, et, en octobre-novembre, le premier volet du nouveau Ring de David McVicar.
Désormais, Dominique Meyer se consacre aux deux dernières saisons dont la programmation sera le fruit de sa collaboration avec son successeur. De belles surprises en perspective, mais chut…