MARINA REBEKA, Vestale et Prêtresse de l’Opéra !
© Tatyana Vlasova
La France aime MARINA REBEKA, et lui réserve toujours un accueil des plus chaleureux, que ce soit en récital (dans le cadre des « Instants lyriques », notamment salle Gaveau il y a tout juste un an), dans Verdi (Il trovatore ou La traviata à Bastille, I due Foscari à Aix) ou dans le bel canto (Anna Bolena au T.C.E.). Elle revient pour un concert très attendu : La Vestale de Spontini dans l’original français au T.CE., mercredi 22 juin 2022. Rencontre avec l’une des sopranos les plus remarquables du moment…
Nicolas MATHIEU : Comment avez-vous rencontré l’art lyrique ?
Marina REBEKA : À l’âge de 13 ans, mon grand-père m’a emmené au Théâtre Dailes pour entendre Norma de Bellini. J’ai été si profondément choquée que je lui ai dit que je chanterais ce rôle un jour. Toute ma famille a évidemment ri, car je ne faisais que jouer du piano et je n’étudiais pas la musique de manière professionnelle. Mais j’ai trouvé une école de musique où l’on pouvait apprendre à tout âge et j’y suis allée ! La coïncidence est que 23 ans plus tard, Norma était programmée à l’Opéra de Lettonie, et j’étais distribuée dans le rôle !
N.M. : Quand avez-vous su que vous deviendriez une chanteuse professionnelle ?
M.R. : Après être entrée au conservatoire en Italie, j’ai commencé à chercher des occasions me permettant de travailler et de m’épanouir. J’ai donc passé en revue tous les rôles, et j’ai eu cette première expérience sur scène, au Teatro Reggio di Parma, avec un projet autour d’un Barbiere di Siviglia pour les enfants. C’était la première fois que je chantais Rosina !
À Rome, j’avais deux professeurs : le premier me guidait comme une soprano lyrique légère, donc je chantais I Puritani et la reine de la nuit, parce que j’avais les aigus. L’autre me menait vers le lyrique. À la fin, j’ai complètement perdu ma voix. C’était une grande crise dans ma vie parce que je n’avais pas de travail et pas d’argent. Mes parents m’avaient déjà tant donné, et tout semblait vain, car j’avais l’impression que personne ne pouvait m’aider.
Je suis rentrée à Riga trois mois pour récupérer, en regardant des masterclass, en lisant des livres, en explorant mon corps, puis j’ai commencé à construire mes extensions jusqu’à ce que je retrouve toute la gamme. Je savais que je devais travailler sur moi-même et que personne ne pouvait m’aider. Finalement, je suis retournée à Rome, et j’ai construit mon répertoire en participant à divers concours. J’ai donc passé des auditions jusqu’à ce que je sois retenue pour La Traviata à Erfurt, qui a été mon véritable début sur scène.
N.M. : En dehors de votre activité de chanteuse, vous avez créé un label il y a quatre ans avec votre mari…
M.R. : En ce qui concerne le chant, je n’ai pas pu avoir de professeurs pour me guider depuis le début. Ça a été la même chose pour les enregistrements. Mon premier a été réalisé à mes frais : j’ai payé l’orchestre, le chef, et j’ai produit le CD moi-même. J’ai donné les droits à EMI, qui a sorti le CD en lui donnant très peu de visibilité. Ils ne m’ont garanti aucun contrat d’enregistrement, seulement quelques options probables, et pour cela je devais signer une exclusivité avec eux pendant 5 ans. Cela ne m’a pas convenu.
Ensuite, il y a eu un excellent enregistrement DG de La Clemenza di Tito, un enregistrement BR de Luisa Miller et de mon album solo Amor fatale, ainsi qu’un enregistrement DVD NAXOS de ma Traviata. Mon principal souci était le son. Je n’en ai jamais été satisfaite. Je voulais la qualité des vieux enregistrements de Callas ou Pavarotti – que je n’ai jamais eue.
© Tatyana Vlasova
Si vous écoutez l’enregistrement de Mozart et celui de mon label, il y a une énorme différence entre les deux. Quel est l’intérêt d’enregistrer quoi que ce soit si je ne peux pas entendre ma voix avec le son que je veux ? Je me souviens de notre collaboration avec Edgardo sur le Faust de Gounod. J’ai entendu l’enregistrement de ma voix et j’ai pleuré. C’était vraiment la façon dont je pense qu’elle aurait dû sonner par le passé. Plus tard, nous avons créé un label de disques. Cette année, nous aurons quatre ans d’existence et nous avons déjà publié onze albums. Plusieurs ont reçu des critiques enthousiastes de la presse ou ont été le choix des critiques. Nous avons même été chroniqués par le Sunday Times et Le Monde.
Vous voyez, je voulais être une chanteuse lyrique qui ait le même professeur tout au long de sa vie, mais je ne l’ai pas eu. Je voulais avoir des projets avec les grands labels, mais ça ne s’est pas fait, et j’ai dû créer le mien. Mon histoire est mon histoire, non pas parce que je le souhaitais ainsi, mais parce que la vie m’a poussée à agir ainsi.
N.M. : Consacrez-vous votre label à la promotion de la diversité artistique ?
M.R. : Les grands labels ne promeuvent qu’une poignée de chanteurs. Mais qu’en est-il de tous les autres grands artistes qui chantent depuis plus de trente ans dans les opéras les plus prestigieux et dont la voix n’est pas gravée ? C’est toute l’histoire de Jean de Reszke et de Caruso. Ils avaient le même niveau. Caruso a accepté de travailler avec le « gramophone » et de Reszke voulait rester à distance des enregistrements. Maintenant, qui se souvient de lui ? C’est la même chose pour nous ! Il est important de laisser des enregistrements comme témoignage de l’art de notre époque.
J’aime découvrir de nouveaux talents et aider les talents existants à laisser des témoignages de leur art dans les enregistrements. C’est passionnant de faire du casting et d’être créatif à chaque étape du processus d’enregistrement, en commençant par la conception de la couverture et en terminant par le texte du livret, le répertoire…
N.M. : Le CD Elle a montré votre aisance dans la langue française…
M.R. : Après avoir donné cinq opéras en français, vous êtes assuré de savoir chanter français ! (rires) Cela a pris plusieurs années, pour être honnête, et je me sens reconnaissante vis-à-vis des coachs que j’ai rencontrés sur mon chemin — Jocelyne Dienst-Bladin, Florence Daguerre De Hureaux et Mathieu Pordoy qui est le producteur et le coach linguistique de l’album Elle. Il ne s’agit pas seulement de la prononciation française, mais aussi du style de chant français, qui est différent de l’italien. Comment est-ce que je travaille sur ces points aujourd’hui ? J’écris toute la prononciation, je la vérifie avec mes professeurs de langue, puis j’écoute des enregistrements et je lis des textes de fond. C’est toujours un long processus, mais maintenant, il semble que 95 % de mes remarques sur la prononciation soient correctes !
Faust, Marguerite, air des Bijoux (Paris, 2019)
N.M. : En ce qui concerne La Vestale, est-il important pour vous de la chanter en français, et non en italien comme c’est souvent le cas ?
M.R. : Je pense que la version italienne est inférieure, car beaucoup de choses sont coupées de la version originale, qui est française ! Quant aux enregistrements, ceux qui existent mélangent les versions. Ainsi, la Vestale qui sera donnée au Théâtre des Champs-Élysées est la première qui sera enregistrée en respectant l’ordre de la partition et au diapason réel (430) !
Avec le Palazetto, nous avons travaillé dernièrement sur un nouveau CD, « Voyage », qui sortira sur notre label en septembre de cette année. C’est mon premier album de musique de chambre. Il est composé d’œuvres de compositeurs français et de femmes compositrices (Viardot, Chaminade) écrites en français, allemand, italien et russe. Elles sont toutes dédiées à l’Orient (Chanson Indienne, Chanson esclave) et la plupart n’ont jamais été enregistrées. Le premier single sortira en juillet !
N.M. : La question de la mise en avant des femmes compositrices est aujourd’hui un sujet majeur de notre écosystème musical. Quelle est votre position sur ce sujet ?
M.R. : D’un côté, je rejoins ce mouvement en faveur des compositrices, de même pour les femmes cheffes d’orchestre. Il était très injuste de donner la primauté aux hommes. Et aujourd’hui, le moment est venu de révéler une musique qui n’était en quelque sorte pas autorisée à l’époque. Mais nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de l’histoire. D’ailleurs, quand on m’interroge sur les femmes cheffes d’orchestre, je réponds que le talent n’a ni sexe, ni nationalité, ni couleur de peau. S’il existe un talent, celui-ci restera dans l’histoire.
N.M. : Quels sont vos nouveaux projets en matière d’enregistrement ou de répertoire ?
M.R. : Cela concerne principalement le bel canto, un peu de répertoire sacré et certainement davantage de musique de chambre. En décembre dernier, j’ai fait mes débuts dans Butterfly et eu beaucoup de succès. Je reviendrai à ce rôle, mais après un certain temps. Je prévois également d’autres débuts dans des opéras de Verdi.
Anna Bolena, finale du premier acte (M. Rebeka, R. Tagliavini, I. Jordi, J. Bridges, M. Gour – Netherlands Chamber Orchestra, dir. Enrique Mazzola. Amsterdam, May 2021)
N.M. : L’étude du contexte culturel vous aide-t-elle à interpréter vos rôles ?
M.R. : Absolument. Vous devez comprendre la musique, le compositeur et l’époque à laquelle tout s’est passé. Si vous interprétez un rôle comme Butterfly, vous devez comprendre comment une geisha est devenue une geisha, et à quel moment son rôle a été mêlé à celui d’une prostituée. Vous devez également connaître la première version de Butterfly, dans laquelle elle dit, dans son duetto avec Pinkerton, que lorsqu’on lui a proposé d’épouser un soldat américain, elle a pensé qu’elle pourrait l’épouser non pas parce qu’elle en était amoureuse, mais parce qu’elle était consciente de pouvoir ainsi s’éloigner de chez elle. C’est le souhait de quelqu’un qui désire s’émanciper d’un carcan que sa culture lui impose en tant que femme.
N.M. : Quelle est votre position concernant les mises en scène modernes ?
M.R. : Il peut y avoir des productions classiques qui sont ennuyeuses et des productions modernes qui n’ont aucun sens. L’important est que les choses soient logiques et que l’on fasse confiance à la musique. La musique a un tel potentiel ! Nous n’avons pas nécessairement besoin que quelque chose interfère entre elle et nous… Pourquoi avons-nous au juste besoin de la mise en scène ? Pour renforcer la puissance de musique, la rendre plus profonde, mais certainement pas pour faire sur scène quelque chose qui soit contraire à ce que l’on chante, uniquement pour satisfaire le souhait du metteur en scène. Nous devons toujours servir l’art.
N.M. : Un dernier mot ?
M.R. : De nombreuses personnes pensent que l’opéra est en train de mourir, que c’est une forme d’art qui n’est pas moderne. Mais lorsque l’on écoute un opéra, c’est comme une transformation de notre être qui s’opère en nous, un peu comme lorsque l’on va à l’église. On se sent purifié. Et il est scientifiquement prouvé que la musique classique exerce une influence positive sur l’esprit et le psychisme humains. Alors, venez à l’opéra, pour rester heureux et en bonne santé !
Elle
Extraits de Louise, Hérodiade, Le Cid, Faust, Carmen, Les Pêcheurs de perles, Manon, Roméo et Juliette, Thaïs, L’Enfant prodigue.
1 CD Prima Classic, mai 2020
Bellini, Il Pirata
M. Rebeka, Javier Camarena, Franco Vassallo. Orchestra e Coro del Teatro Massimo “Bellini” di Catania, dir. Fabrizio Maria Carminati.
3 CD Prima Classic, 2021
LES PROJETS DE MARINA REBEKA :
Spontini, La Vestale – Paris : TCE (22 juin 2022)
Bellini, Norma – Barcelona : Liceu (18-31 juillet 2022)
Verdi, Requiem – Parme : Teatro Regio (23-30 septembre 2022)
Verdi, Il trovatore – Berlin : Staatsoper Unter den Linden (18 octobre-12 novembre 2022)
Verdi, I vespri siciliani – Milan : Teatro alla Scala (28 janvier 2022 – 21 février 2023)
Puccini, La bohème – Milan : Teatro alla Scala (4-26 mars 2023)
Donizeti, Maria Stuarda – De Nationale Opera / Teatro di San Carlo / Palau de les Arts Reine Sofia (6-28 Mai 2023)
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