Habituée des plus grandes scènes internationales, Maria Agresta a fait cet été une rapide escale à Aix-en-Provence où dans la chaleur estivale elle a été, lundi 17 juillet, Desdemona au grand théâtre de Provence dans un Otello qui aura constitué - même avec le forfait de Jonas Kaufmann ! - l’un des incontestables temps forts de cette soixante-quinzième édition du festival international d’art lyrique. Première Loge l’a rencontrée à cette occasion.
Hervé CASINI : Après six premiers mois de l’année particulièrement denses, commencés avec une série de Tosca à Barcelone, poursuivis en Maddalena de Coigny dans Andrea Chenier à Monte-Carlo puis avec votre prise de rôle en Giorgetta d’Il Tabarro à Rome, vous avez repris à Naples, après un détour par Vienne toujours en Floria Tosca, l’un des plus grands rôles du Bel Canto romantique, Anna Bolena, abordé à Rome en 2019. Quelle est votre recette pour maintenir ce rythme ?
Maria AGRESTA : La chose essentielle est l’autodiscipline : je suis très disciplinée ! Il faut savoir dire non aux promenades, aux sorties…et oui à l’étude et au fait de prendre soin de son organisme ! L’étude est véritablement fondamentale, tout comme l’est également le silence qui permet à l’instrument vocal de se reposer.
H.C. : Revenons un peu sur cette reprise d’Anna Bolena : sur le plan de l’interprétation tant vocale que scénique, quelles sont les principales différences d’approche entre la série de représentations que vous venez de donner au Teatro San Carlo et celles de Rome, en 2019 ?
M. A. : Tout d’abord, le fait de n’avoir plus jamais chanté ce rôle après l’avoir abordé à Rome, il y a cinq ans, a permis au temps et à la reprise de l’étude de la partition de le faire mûrir non seulement au niveau technique mais également au niveau conceptuel. En outre, il n’y a pas tant de différence du strict point de vue technique mais davantage sur le plan de l’interprétation parce qu’effectivement, j’ai davantage mûri. Par exemple, pour certaines nuances ou certaines couleurs que je ne parvenais pas forcément à atteindre ou à saisir et que je maîtrise depuis lors ! De fait, je propose désormais quelque chose de totalement différent, comme par exemple dans l’air d’entrée d’Anna, « Come, innocente giovine », écrit probablement pour une vocalité très particulière[1] et qui m’a donné longtemps à réfléchir car il requiert une voix totalement différente de celle demandée pour le reste de l’ouvrage. De fait, j’ai mené ma propre recherche stylistique sur cet air et je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment ici chercher à « rafraîchir » la voix, à lui permettre de mettre davantage l’accent sur le son et à retrouver plus de brillant dans les diverses harmoniques.
Je me suis demandé à quel moment historique ce changement était intervenu, et par-dessus tout à quel type d’orchestration avions-nous affaire, partant du principe que l’orchestre d’alors était composé d’un effectif moins important et que les instruments avaient des sonorités plus dures et moins pleines, qu’ils étaient accordés différemment et de façon moins précise et que le diapason était sûrement plus bas. Et ainsi, à travers tout cela, j’ai cherché à recréer avec la voix quelque chose d’assez proche du premier Bel Canto, plus proche du chant baroque en fait…
En outre, scéniquement, dans la production de Naples, j’avais pour objectif de mettre en évidence cette claustrophobie du personnage d’Anna et également cette vision d’une femme au destin si marqué qui, dans sa pure simplicité, est confrontée à des évènements qui la subliment.
H.C. : L’été de Maria Agresta sera donc partiellement occupé par cette Desdemona puis par l’Elisabeth de Valois de Don Carlo à Munich : après une première partie de l’année plutôt consacrée au répertoire du Vérisme et de la « Giovane Scuola », revenir à Verdi reste donc toujours important ?
M. A. : Je dis toujours que Verdi aide à «nettoyer » la voix car sa fréquentation requiert une adhésion totale à quelque chose de parfait. Dans cette recherche de la perfection, l’artiste est forcé de se remettre en question, y compris du point de vue technique. Nettoyer signifie donc également approfondir sa technique d’une façon particulièrement intense. Verdi est celui qui me permet, de fait, de retrouver le juste équilibre qui m’est nécessaire pour me confronter à tout mon répertoire du Bel Canto au Vérisme. Avec Verdi, on ne peut pas mentir car il est la Vérité ! Pour me permettre d’aller de l’avant de la meilleure des façons, et donc également dans ma technique, j’ai besoin de lui !
H.C. : Quelques mots sur cet Otello, évènement de l’été lyrique très attendu par le public international du festival d’Aix-en-Provence. Vous aviez déjà chanté Desdemona aux côtés de Jonas Kaufmann et des forces du San Carlo de Naples. L’annulation d’un collègue avec lequel on a une certaine complicité représente-t-elle une difficulté supplémentaire pour un artiste ? En outre, aviez-vous eu l’occasion de chanter avec Arsen Soghomonyan ?
M. A. : L’annulation d’un collègue est toujours une grande déception car si un chanteur annule c’est parce qu’il a des raisons très fortes de le faire. Avoir en cela sur scène l’orchestre du San Carlo et un chef que je connais bien est sécurisant d’une certaine manière. Je n’avais jamais chanté auparavant avec ce ténor que j’ai trouvé fantastique à la fois comme collègue mais aussi comme personne d’une grande gentillesse et, surtout, absolument incroyable de contrôle de soi ! Ce n’est jamais une chose simple de débarquer en remplacement de Jonas Kaufmann, et Arsen Soghomonyan a fait preuve, également du point de vue de sa maîtrise du texte, d’une grande solidité. Il y a eu très vite entre nous une complicité technique sur le plan des couleurs et du phrasé.
H.C. : Finalement, après cette première partie d’été, la seconde partie sera enfin consacrée… aux vacances ?
M. A. : Avant d’être tout à fait en vacances (sept jours seulement !), je passerai d’abord trois jours avec mon pianiste sur l’étude de Médée[2] puis reprendrai cette étude dès mon retour de vacances, avant de partir pour Madrid. Comme vous le voyez, je n’abandonnerai guère mon art et même en vacances je continuerai à être… à l’écoute (rires) !
Propos recueillis et traduits de l’italien par Hervé Casini.
[1] Celle de Giuditta Pasta, créatrice du rôle.
[2] Maria Agresta chantera la version française de la Médée de Cherubini au Teatro Real de Madrid, du 19/09 au 4/10/2023.