Rencontre avec Eva-Maria Sens, nouvelle directrice artistique des Festwochen der alten Musik d’Innsbruck

Après Ottavio Dantone, le nouveau directeur musical des Festwochen der alten Musik d’Innsbruck, il semblait normal d’entendre la voix de la nouvelle directrice artistique du festival :  rencontre entre Orlando Perera et Eva-Maria Sens.

Bavaroise de Nuremberg, âgée de 42 ans, Eva-Maria Sens a commencé à étudier la musique alors qu’elle était encore une enfant au caractère bien trempé. Ses parents disent que la seule façon de l’endormir était de lui faire écouter les disques de Frans Bruggen ! Après avoir obtenu son diplôme au lycée musical, elle s’est inscrite à l’université de Fribourg-en-Brisgau, où elle a étudié la littérature allemande et l’histoire médiévale et moderne. Sa percée professionnelle a eu lieu en 2008, lorsqu’elle a été engagée comme chef de projet par l’Orchestre de chambre de Bâle. Elle y a acquis des expériences fondamentales et a fait la connaissance de grands artistes tels que Cecilia Bartoli, Sol Gabetta, Giovanni Antonini et Dantone lui-même. En 2015, elle s’est installée à Innsbruck en tant que responsable de l’administration artistique des Festwochen. Enfin, il y a quelques mois, elle a été nommée directrice artistique. Une directrice artistique dont la passion la plus secrète est… le tricot !

Orlando PEREA – Votre nomination en tant que directrice artistique des Innsbrucker Festwochen der Alten Musik, pour laquelle je vous félicite, s’accompagne d’importants changements organisationnels. Si j’ai bien compris, le rôle de surintendant, aujourd’hui confié à une équipe administrative, va disparaître au profit de celui de directeur musical, pour lequel vous avez choisi une personnalité prestigieuse comme Ottavio Dantone. Que proposez-vous avec cette réforme ?
Eva-Maria SENS – En fait, les changements structurels ne sont pas aussi importants qu’il n’y paraît : dans la gestion des Festwochen, il y a toujours eu un directeur commercial exécutif aux côtés du directeur artistique. Toutefois, au fil des ans, il est apparu que ce dernier rôle, celui de directeur artistique « stratégique », était devenu double, absorbant de fait celui de directeur musical. Le nouvel organigramme apporte de la clarté : nous avons désormais, avec des rôles distincts, un directeur commercial exécutif, un directeur artistique et un directeur musical.

OP – Avez-vous également joué un rôle dans la nomination d’un musicien/directeur de renommée internationale comme Dantone ?
EMS –
Il y a eu une commission spéciale pour la sélection du directeur musical, composée d’experts externes, de Markus Lutz, directeur des Festwochen, et de moi-même.

Le pavillon du Hofgarten, où sont donnés certains concerts du festival – © Celina Friedrichs

OP – Comment partagez-vous la responsabilité des choix artistiques et musicaux ?
EMS – Nous apportons tous deux nos forces, nos compétences, nos opinions, nos perspectives et nos suggestions. Ottavio Dantone d’un point de vue purement musical, moi d’un point de vue artistique et stratégique. Tout est proposé ouvertement, puis nous évaluons, avec notre dramaturge, quel type de « mosaïque musicale » nous pouvons créer. À partir des différentes idées, des projets émergent peu à peu, et finalement le programme complet d’une édition des Festwochen.

OP – Outre les aspects organisationnels, que comptez-vous conserver des choix de l’ancienne direction d’Alessandro De Marchi, et qu’est-ce qui va changer ?
EMS – Je peux dire que le concours Cesti et le cycle Barockoper:Jung, tous deux destinés aux jeunes interprètes, seront certainement maintenus. Ce qui changera, nous le dévoilerons lors de la présentation de notre programme en novembre.

OP – Les Festwochen de cette année se sont une fois de plus clôturées par un très brillant bilan public et critique. Quel est, selon vous, l’avenir du répertoire de musique ancienne ?
EMS –
C’est une grande question. Pour y répondre, il me faudrait probablement une boule de cristal ou des talents de voyance ! Quoi qu’il en soit, il est important qu’il y ait des endroits comme Innsbruck à l’avenir, où la musique ancienne et la pratique historiquement informée ont un ancrage sûr, où elles peuvent être redécouvertes et explorées.

Hofburg, Riesensaal – © Rupert Larl

OP – Par ailleurs, nous avons assisté ces dernières années à d’excellentes interprétations de compositeurs tels que Paër et Mercadante, qui appartiennent légitimement au XIXe siècle. Quelles sont, selon vous, les limites temporelles du concept de musique ancienne ?
EMS –
Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout ce qui a été composé hier est déjà de la musique ancienne. Mais nous devons certainement accepter le fait qu’avec chaque décennie qui passe, les limites de ce que nous appelons rétrospectivement la musique ancienne en théorie se déplacent également. En fin de compte, les Festwochen mettent l’accent sur la pratique historique de l’interprétation. Cela ouvre également de nouvelles perspectives pour la définition de la musique ancienne.

OP – Lorsque l’on parle d’Alte Musik, on pense naturellement non seulement aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais aussi à des périodes antérieures, par exemple les XIVe et XVe siècles, période de grande floraison musicale en Europe. Jusqu’à présent, cependant, je ne me souviens pas avoir vu ce répertoire fréquemment affiché aux Festwochen.
EMS –
Dans le passé, nous avons toujours eu, à notre répertoire, de la musique du Moyen Âge et de la Renaissance. Par exemple, avec les fantastiques musiciens de La Fonte Musica, Tasto Solo et d’autres. Bien sûr, cela continuera à être le cas à l’avenir.

L’Olimpiade de Vivaldi, mise en scène de Stefano Vizioli, été 2023 – © Birgit Gufler

OP – En tant qu’Italien, permettez-moi un brin de vanité. Depuis le début, les compositeurs et les musiciens de mon pays ont toujours joué un rôle central dans vos productions. Je pense qu’il sera difficile de changer cet état de fait… ou bien vous concentrerez-vous sur autre chose ?
EMS –
Innsbruck et son histoire musicale ont toujours eu des liens étroits avec l’Italie, ne serait-ce qu’en raison de sa situation géographique. Et l’Italie a eu et a encore de grands artistes. Mais cela vaut aussi pour d’autres pays, et il est de notre devoir, en tant que festival, de ne pas regarder dans une seule direction.

OP – Nous savons tous combien il est compliqué aujourd’hui de joindre les deux bouts dans les activités musicales. À Innsbruck, sur quelles ressources pouvez-vous compter ? Allez-vous chercher de nouveaux sponsors ?
EMS –
Nous sommes soutenus par la ville d’Innsbruck, l’État du Tyrol et le gouvernement fédéral. En outre, nous avons des relations bien établies avec nos sponsors. Nous sommes extrêmement reconnaissants à ceux qui nous offrent cette base solide sur laquelle nous pouvons travailler avec une certaine tranquillité d’esprit.

OP – Encore quelques questions d’organisation : avec d’autres critiques, nous avons souvent discuté du calendrier très étendu des Festwochen. Lors d’un voyage normal de trois ou quatre jours, il est difficile de voir plus d’un opéra et un ou deux concerts. Pour en voir davantage, il faudrait rester à Innsbruck au moins quinze jours…
EMS –
Notre festival se déroule de la mi-juillet à la fin août. Il est dans la nature des choses que nous ne puissions pas proposer toute notre programmation en quelques jours : c’est impossible d’un point de vue logistique.

OP – Autre aspect non négligeable, les programmes de salle et la documentation sont presque tous uniquement en allemand, une langue que tout le monde ne maîtrise pas. Ne serait-ce pas une bonne idée d’avoir au moins une traduction en anglais des textes principaux ?
EMS –
Je vous renvoie à notre site web en anglais, aux sous-titres en allemand et en anglais, et à quelques textes de synthèse de notre programme du soir. Mais bien sûr, il y a toujours des possibilités d’amélioration !

OP – Enfin, est-il vrai que votre passion est le tricot ? Y a-t-il une relation entre la musique et cette activité ?
EMS –
Très probablement oui ! Pour moi, le tricot a quelque chose de méditatif. Si je dois tricoter un motif, je pense à un rythme mélodique qui s’auto-exécute sans fin dans ma tête avec des phrasés, des accents, des ritardandi, des noires, des croches pendant que je tricote. Rien d’autre n’existe. Il n’y a que ce tic-tac. La musique tend à avoir un effet similaire si l’on s’autorise à s’abandonner complètement.

Juditha Triumphans die Vivaldi, mise en scène d’Elena Barbalich, été 2023 – © Birgit Gufler

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