À partir du 15 mars, la soprano italienne Chiara Isotton fera ses débuts à l’Opéra national de Lyon dans la Minnie de La Fanciulla del West qui, sans être l’un des titres les plus joués de Puccini, lui permettra de mettre ses pas dans les traces d’Emmy Destinn (créatrice du rôle au Met, en 1910), Eugenia Burzio, Carmen Melis, Giuseppina Cobelli, Maria Caniglia, Gigliola Frazzoni, Magda Olivero, Olivia Stapp, Eva Marton, Carol Neblett et, plus récemment, Nina Stemme et Eva-Maria Westbroek.
Elle a accepté pour Première Loge de nous présenter sa conception du personnage mis en scène à Lyon par la metteuse en scène allemande Tatjana Gürbaca.
Hervé CASINI : On présente souvent Puccini comme le compositeur de personnages féminins fragiles et victimes d’une société qui les broie (les célèbres « piccole donne » !) : c’est loin d’être le cas avec Minnie, non ?
Chiara ISOTTON : Absolument ! Dans le cas présent, on ne doit pas oublier que l’on se trouve en face du seul personnage féminin de l’ouvrage qui évolue dans un milieu d’hommes, celui des mineurs durant la période de la découverte d’or en Californie, milieu dont elle ne fait pas partie puisque Minnie a quitté son propre environnement pour venir tenir une auberge ! Minnie est pourtant respectée de tous et, mieux, elle est aimée, avant tout pour ce qu’elle représente symboliquement : la maison que l’on a laissé pour participer à cette aventure collective ! À travers Minnie, ces hommes, subitement éloignés des liens familiaux les plus chers, voient l’amie, la mère, la fiancée, l’épouse mais, selon moi, avant tout la maison natale : et la partition de Puccini le reflète magnifiquement ! Comme on le voit si bien au premier acte de l’ouvrage, Minnie fait tout son possible pour que ces hommes, venus d’un peu partout, se sentent dans cette auberge comme « chez eux » ! Elle prend donc soin d’eux en leur proposant de leur faire l’école – alors même qu’elle a tout à fait conscience qu’elle en aurait également besoin ! -, utilise la Bible pour leur enseigner la lecture, les instruire et, tout simplement, leur transmettre un message d’espoir. Dans un environnement abrutissant, du fait du travail à la mine et de la recherche de l’or, Minnie fait appel à l’instruction de façon pratique mais sans jamais la rendre écœurante : c’est de ce fait une femme ancrée dans la réalité !
Évidemment, c’est avec l’arrivée de Dick Johnson qu’elle va pouvoir, d’une certaine façon, expérimenter cet Amour qu’elle a jusque-là vécu seulement dans les livres ! C’est un Amour romantique, certes, mais qui n’est pas fait de superficialité puisque, comme on le voit dans la fameuse scène de la partie de poker, à la fin du deuxième acte, Minnie n’éprouve aucun scrupule à tricher pour pouvoir sauver Dick ! C’est une femme au caractère bien trempé, pleinement consciente de l’enjeu des situations vécues. Dans les propos qu’elle lance, de façon bravache, à Jack Rance, elle renvoie dos à dos toute la société qui fréquente sa taverne – un « tripot » dont les recettes proviennent « du whisky et de l’or » ! dit-elle -, n’hésitant pas, même si Johnson est certes bien un « bandit », à traiter le shérif lui aussi de « tricheur » ! On est loin ici d’une chanteuse de cantate comme l’est Floria Tosca ! Minnie n’a donc aucune honte à dire en face de Jack Rance qu’elle n’est pas une femme de noble extraction. Pourtant, elle est dotée d’une grande noblesse d’âme et ne bascule jamais dans la vulgarité ni dans la bassesse.
Il me semble donc que la musique de Puccini rend parfaitement les différents états d’âme du personnage, évoquant tant sa force que sa douceur, par exemple dans un air comme « Laggiù… nel Soledad » où Minnie explique à Rance l’amour qu’elle a reçu de ses parents : un moment d’extrême romantisme mais qui ne sombre jamais dans la banalité de la parole. Chez Minnie, l’amour n’est qu’authenticité et ce qui la blessera, un moment, chez Dick sera davantage le fait qu’il ne lui dise pas la vérité bien plus que de savoir qu’il n’est qu’un bandit, un type d’individu qu’elle a finalement l’habitude de côtoyer régulièrement !
La partition est également exceptionnelle par sa capacité à dépeindre, tout au long des trois actes, l’évolution du personnage de Minnie comme femme car, lorsque l’opéra débute, c’est une simple jeune fille qui travaille pour ses mineurs dans sa taverne, qui, certes, sait se défendre toute seule (pensez à son entrée au premier acte, pistolet au poing !) mais dont rien ne semble encore révéler la puissante évolution dans la volonté d’agir. Jusqu’à ce jour, dans les rôles que j’ai abordés, c’est un personnage qui est constamment dans l’action et dont j’aurais pu prononcer un certain nombre de phrases (rires) !
Il faut peut-être évoquer ce final ouvert de l’opéra qui ne dit finalement pas grand-chose sur ce que vont devenir les deux personnages – un bandit qui n’a pas un sou en poche et une tenancière de bar qui laisse tout pour lui ! – mais dans lequel le génie de Puccini s’exprime magnifiquement avec une partition faite ici d’une grande mélancolie.
Oui, effectivement, avec Minnie on est loin d’une « piccola donna » ni même d’une « fanciulla » mais bien face à une femme accomplie !
H.C. : Partition d’une grande richesse dans sa facture complexe où prévaut souvent l’harmonie presque aux dépens de la mélodie, La Fanciulla del West est un ouvrage de « migrations musicales » dans la production puccinienne : c’est du moins l’avis du grand chef d’orchestre Antonino Votto. Qu’en pensez-vous ?
C.I. : Je ne peux qu’être en totale adéquation ! Avec cette musique, il est réellement impossible de ne pas s’imaginer la Californie de la Conquête ! La musique respire ainsi véritablement toute une atmosphère épique et Puccini a accompli ici un travail exemplaire poussant le travail musicologique jusqu’à se faire envoyer des chants issus du folklore des natifs américains pour, par exemple, mieux caractériser les mélodies chantées par Wowkle, la femme indienne de l’ouvrage. En outre, ce qui me plait énormément dans cet ouvrage, c’est le rôle d’acteur à part entière qui est confié au chœur, un rôle d’une grande modernité, y compris par rapport à la production puccinienne antérieure.
Dans cette production, la direction musicale de Daniele Rustioni – avec qui j’avais eu l’occasion de faire une Tosca à Venise – est proprement extraordinaire. Avec lui, non seulement je me sens constamment soutenue mais il m’aide également à construire vocalement mon personnage.
Je dois également préciser que si cette partition est d’une d’extrême difficulté de mise en place, c’est également parce qu’elle est d’une très grande modernité : comme vous le savez, la musique de La Fanciulla a influencé jusqu’aux partitions d’Andrew Lloyd Webber (The Phantom of the Opera) ou de John Williams (Star Wars) !
La nouvelle production à laquelle nous participons ici est vraiment passionnante du fait que le travail de la metteuse en scène, Tatjana Gürbaca, est accompli sur chaque personnage et de façon vraiment approfondie ! En outre, toute la compagnie aime passionnément cet ouvrage et cela est, selon moi, fondamental.
H.C. : Du strict point de vue vocal, quelles sont les difficultés propres au rôle de Minnie ?
C.I. : Même si pour donner une réponse complète et savoir comment ma voix sonne, il faudrait que je puisse avoir commencé les répétitions avec orchestre[1], je dois vous dire que pour le moment je me sens à mon aise avec cette partition écrite pour une tessiture très centrale avec quelques grands et beaux aigus (rires) ! Puccini donne à ma voix son espace nécessaire et ne me met jamais en difficulté : certes, il y a à l’occasion quelques pizzicati (les contrebasses au début de la partie de poker !) et des moments où la voix est davantage exposée mais tout ici est écrit pour mettre le chanteur en confiance. Daniele Rustioni nous a demandé de mettre le plus de couleur possible dans notre chant et je crois que ça fonctionne !
Propos recueillis et traduits de l’italien par Hervé Casini
[1] L’entretien a été réalisé le 18 février dernier