Suonno e Fuoco, rêve de feu : Naples en musique par le ténor Nile Senatore

Réputé pour ses interprétations baroques, le ténor Nile Senatore a créé la surprise en octobre dernier au Chalet des Roses à Vichy, en proposant un récital de musiques vocales napolitaines des XVIIIe, XIXe et  XXe siècles. Il récidive cette semaine à Paris : Première Loge l’a rencontré à cette occasion pour qu’il nous parle de ce projet, mais aussi des orientations que pourrait bien prendre sa carrière dans les années à venir… 

Ferrando dans Cosi fan tutte – © DR

Stéphane LELIÈVRE : Cher Nile Senatore, vous parlez remarquablement bien notre langue… Vous l’avez étudiée ?
Nile SENATORE :
J’ai un rapport très particulier avec le français… que je n’ai jamais étudié ! Je l’ai très vite compris, et j’ai appris à le parler petit à petit, mais sans le travailler particulièrement. C’est à croire que dans une autre vie, j’étais français !! Il faut dire également que je suis assez souvent à Paris et que ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé en France, ce qui a sans doute favorisé une imprégnation avec la langue française. Chanter le répertoire français aide aussi beaucoup à l’apprentissage de la langue, sa maîtrise, la maîtrise de sa prononciation (qui souvent ne va pas de soi pour un chanteur italien).  J’ai chanté plusieurs rôles baroques français, notamment à l’occasion d’une longue tournée Lully avec les Musiciens du Louvre.

(Note de la rédaction : à l’occasion du Bourgeois gentilhomme mis en scène par  Jérôme Deschamps, un spectacle ayant fait escale à l’Opéra Comique en 2023).

S. L. : Votre voix semble être en pleine évolution actuellement…
N. S. :
Je suis à un moment charnière pour ma voix, qui se développe et prend une certaine épaisseur. C’est quelque chose que je n’attendais pas, qui est venu naturellement sans que je travaille spécialement en ce sens… C’est toujours un peu déroutant pour un chanteur de sentir que son instrument évolue ! Mais je peux dorénavant commencer à songer à certains rôles français , tels Roméo par exemple, ou Nadir. Vous êtes l’un des premiers critiques à m’avoir entendu sur scène, à l’occasion du Coscoletto d’Offenbach donné à Martina Franca en 2019. Aussi je suis très heureux que vous puissiez assister au concert de vendredi prochain (le 7 mars), qui vous permettra d’entendre effectivement comment ma voix a changé au fil de ces dernières années.

Coscoletto à Martina Franca – © Clarissa Lapolla

S.L. : On se dirige donc vers un possible changement de répertoire ?
N. S. : Certainement… Un changement, ou plutôt l’intégration progressive d’un nouveau répertoire. Je n’ai jamais eu pour idée ou pour objectif de devenir un spécialiste du répertoire baroque et de m’y consacrer exclusivement. J’adore en fait circuler d’un répertoire à l’autre – même si ce n’est pas une stratégie forcément payante sur le « marché musical » !

https://www.youtube.com/watch?v=JbLeEv_z-X4

Bizet, la romance de Nadir (Les Pêcheurs de perles)

S. L. : Parlez-nous du concert de musique napolitaine que vous proposerez vendredi prochain. Comment l’idée de ce projet, si différent de ce que vous chantez habituellement, vous est-elle venue ?
N. S. : Je faisais une tournée avec Sigiswald et Marie Kuijken, et je proposais, en bis, deux pages de musique napolitaine : le public était à chaque fois très enthousiaste ! C’est ce qui m’a poussé à explorer ce répertoire plus avant et à bâtir ce programme qu’avec la pianiste Natallia Yeliseyeva, nous avons déjà donné à Vichy, au Chalet des Roses. C’est d’ailleurs grâce au Chalet des Roses et à Anne Flore Maman Larraufie que ce concert a été rendu possible.

https://www.youtube.com/watch?v=iJdm8kIrsc8

Fenesta vascia par Nile Senatore, Sigiswald et Marie Kuijken

S. L. : C’est en tout cas un répertoire où l’on ne vous attendait pas vraiment… Faites-vous un lien entre cette musique napolitaine et le répertoire d’opéra traditionnel ?
N. S. : Je suis en tout cas très heureux de chanter ce programme… précisément parce qu’il n’entre pas une « case » prédéfinie ! On peut l’aborder et le chanter de mille manières différentes. On peut le faire façon « les trois ténors », ce qui se justifie pleinement pour certaines pièces qui ne sont pas d’origine populaire mais qui ont une écriture très « opératique », ayant été composées par des musiciens qui ont pu étudier au conservatoire avec des compositeurs tel Cilea, par exemple. En même temps, cette musique n’est pas de l’opéra, elle reste intimement liée à l’âme napolitaine et j’espère pouvoir, en tant que napolitain, être le vecteur de quelque chose d’authentique, rendre un aspect de cette « âme napolitaine »… notamment dans la prononciation du napolitain, qui est une vraie langue en soi !
Ce qui est certain, c’est qu’il y a un véritable lien entre l’opéra et la musique napolitaine. L’école musicale napolitaine a été une référence incontournable pour tous les musiciens de l’époque – y compris Mozart. Par la suite, la musique « populaire » de Naples est restée dans une certaine mesure « opératique », et ce n’est pas un hasard si les premiers interprètes des chansons napolitaines ont été Tito Schipa, ou Caruso… De la même manière, tous les grands compositeurs italiens (Bellini, Donizetti, Rossini) ont écrit sur des textes napolitains, et certaines de leurs musiques se ressentent également de cette influence napolitaine : les mélodies que Donizetti – un Italien du nord pourtant – compose pour L’elisir d’amore ou Don Pasquale présentent souvent une couleur typiquement napolitaine !

S. L. : Comment avez-vous construit le programme de ce récital ?
N. S. : Il y aura des pages « du répertoire », signées de compositeurs tels Rossini, Donizetti, ou Bellini, avec par exemple le célèbre « Vanne, o rosa fortuna ». Mais pour ce qui est des « chansons napolitaines », je n’ai pas voulu proposer le « menu touristique traditionnel » ! J’ai inclus au programme des pages nettement moins célèbres qui seront pour le public, je l’espère, de belles découvertes.

Suonno e Fuoco, vendredi 7 mars, 19h30, Église évangélique de Paris-Luxembourg, 58 rue Madame, Paris 6e.
Au programme : œuvres de Bellini, Mercadante, Tosti,… par Nile Senatore (ténor) et Natallia Yeliseyeva (piano).
Pour réserver en ligne, c’est ici !