Entre Marina Rebeka et la France, c’est une histoire d’amour : non seulement la soprano lettone se produit régulièrement sur nos scènes (Toulouse n’a pas oublié sa magnifique Norma, ni Paris sa Bolena ou sa Vestale !), mais elle chante également très souvent dans notre langue. L’Opéra Bastille l’accueille ce mois-ci pour un nouveau rôle : Elisabeth dans la version originale française du Don Carlos de Verdi. Une belle occasion pour Première Loge de faire le point avec Marina Rabeka sur sa conception du rôle, mais aussi ses envies et les nombreux projets qui l’attendent …
Stéphane LELIEVRE : Vous voici de retour à l’Opéra Bastille avec un nouveau rôle : Elisabeth de Don Carlos. Que représente pour vous le fait de chanter cette œuvre dans sa version originale française sur la première scène parisienne ?
Marina REBEKA : Tout d’abord, je dois dire que c’est très excitant pour moi d’affronter ce rôle important, exigeant et magnifique. J’ai déjà eu l’occasion de me produire en français en France (Thaïs de Massenet à Monte-Carlo, La Vestale de Spontini au TCE), et je me suis toujours sentie très bien accueillie dans ce pays. J’aime la langue, la cuisine, la culture, la musique et le public français !
J’apprécie le temps que je passe à Paris à répéter cet incroyable chef-d’œuvre de Verdi avec des collègues qui sont aussi mes amis. Don Carlos est chanté par le merveilleux ténor Charles Castronovo, avec qui j’ai déjà beaucoup travaillé, et qui a également enregistré La Traviata pour mon label Prima Classic.
S.L. : Il s’agira donc de la version française en cinq actes, avec l’acte de Fontainebleau. Entre les différentes versions de l’œuvre (en italien, en français, en quatre ou cinq actes), l’une a-t-elle votre préférence ?
M.R. : Comme c’est la première fois que je me confronte à ce rôle, je me persuade qu’il n’y a pas d’autres versions. Cela créerait une énorme confusion dans mon esprit. Je pense que cette version est la plus longue et, peut-être, la plus exigeante, mais je ne peux l’affirmer avec certitude avant d’avoir chanté une autre version.
S.L. : Quelles sont les difficultés vocales posées par le personnage d’Elisabeth ? N’est-il pas plus grave ou du moins plus « central » que vos rôles habituels ?
M.R. : La tessiture n’est pas plus basse que celle des Vêpres siciliennes, de Butterfly ou, surtout, de la Médée de Cherubini, que j’ai récemment interprétée à Berlin et à la Scala.
Ce rôle est exigeant dans l’aigu comme dans le grave, ce qui implique une approche beaucoup plus belcantiste et plus pure que les Puccini, Cilea, Tchaïkovski ou le répertoire vériste.
Je recherche la noblesse dans ma sonorité et dans mon comportement. Je ne peux certes pas m’imaginer ce qu’est une reine, mais je peux étudier le portrait psychologique qu’en a proposé Verdi.
S.L. : Vous chantez relativement souvent en français, sur scène ou au disque : Thaïs, Juliette, Leïla, Micaëla, sans oublier le très bel album Voyage paru en 2022. Est-ce agréable pour vous de chanter dans notre langue ? Ou bien est-ce que cela pose quelques difficultés particulières ?
M.R. : Au début j’étais terrifiée à l’idée de chanter en français. Mais une fois que vous avez interprété cinq rôles dans cette langue, fait de la musique de chambre et suivi les nombreux conseils de différents coachs, vous trouvez la langue française très musicale et sensuelle !
S.L. : Mathilde de Guillaume Tell, La Vestale de Spontini, Elisabeth de Don Carlos, Anaï de Moïse et Pharaon : vous semblez affectionner certains rôles « franco-italiens » ! Aimeriez-vous en inscrire d’autres à votre répertoire si on vous en offre l’opportunité ? Palmyra du Siège de Corinthe par exemple ? Ou encore Hélène des Vêpres siciliennes, que vous avez chantée avec succès mais en italien à la Scala en 2023 ?
M.R. : En fait je chanterai Hélène des Vêpres siciliennes lors de la prochaine saison !
Spontini, La Vestale, "Ô, des infortunés..." (Les Talens Lyriques · Christophe Rousset)
S.L. : Votre carrière s’équilibre entre les grands rôles du répertoire, et les œuvres plus rares (Thaïs, I due Foscari, Giovanna d’Arco, Il pirata, Teseo de Händel, La battaglia di Legnano,…) : c’est important pour vous de partir à la recherche de titres moins connus et de les faire redécouvrir au public ? Y a-t-il des œuvres plus ou moins délaissées aujourd’hui que vous aimeriez mettre en lumière ?
M.R. : Je trouve que c’est un défi de se confronter à des rôles moins connus, entre autres parce que cela vous force à explorer de nouvelles possibilités techniques et à élargir le champ des possibles en terme de musicalité.
J’adorerais chanter plus de Massenet (Esclarmonde, La Vierge), La Juive d’ Halévy, Beatrice di Tenda de Bellini, Guerre et Paix de Prokofiev. La question est de savoir si je peux trouver suffisamment de temps pour étudier ces rôles : je déteste arriver sans être préparée… et j’ai aussi besoin de prendre des vacances au moins une fois par an !
S.L. : L’aventure de Prima Classic a connu de beaux succès, avec plusieurs CD très remarqués par la critique et appréciés du public : La traviata, Il pirata, ou, tout récemment, Norma dans une très intéressante édition critique : avez-vous d’autres projets d’enregistrements pour ce label, ou du moins d’autre envies ?…
M.R. : Oui, Prima Classic a pris de l’ampleur et n’est plus un label concentré uniquement sur une chanteuse.
Edgardo Vertanessian, co-fondateur du label, et moi-même avons désormais réalisé 93 albums désormais réalisé 93 albums, nous collaborons avec 98 artistes de 25 pays différents, dont 25 chanteurs, 9 orchestres, 7 chœurs, 11 chefs d’orchestre et 46 solistes instrumentaux ; certains de nos artistes ont fait l’objet de plus de 10 millions de téléchargements, nous avons été reconnus et récompensés par l’ICMA (international classical music award), Diapason (Diapason d’Or), Première Loge (Appasionato), Opera (Diamant), Classica (Choc), Opera News (critic’s choise), BBC Music Magazine (Record of the week et 5 stars), Pizzicato (Supersonic Award), and de nombreux autres. C’est très valorisant !
Bien évidemment, nos intégrales d’opéras retiennent particulièrement l’attention, surtout si elles sont enregistrées en studio : cela demande beaucoup d’efforts de les réaliser. Nous avons fait des éditions critiques très particulières de Il Pirata et de Norma. Même si cette année nous avons peut-être moins d’ambition, il y a un très bel album dont la sortie est prévue prochainement : Simon Boccanegra de Verdi avec Ludovic Tezier, Francesco Meli, Michele Pertusi et moi, dirigé par Michele Spotti and enregistré en live au Teatro San Carlo de Naples. Je dis que c’est un projet moins ambitieux car il n’est pas basé sur une édition critique, mais c’est malgré tout l’enregistrement d’une œuvre intégrale, magnifiquement chantée et dirigée.
J’aimerais réaliser plus d’enregistrements en studio, mais, comme vous pouvez imaginer, cela requiert beaucoup d’efforts, de logistique, et d’argent. En ce moment ma carrière est très active, et il est difficile de tout combiner.
S.L. : Parmi vos projets immédiats, après Don Carlos, il y aura des récitals à Barcelone et Madrid, votre retour à la Scala pour Norma, Aïda à Vérone… Y a-t-il d’autres échéances qui vous tiennent à cœur ? Ou est-ce encore « top secret » ?
M.R. : Je n’ai pas le droit d’annoncer mes engagements pour la nouvelle saison avant que les théâtres ne le fassent. Tout ce que je peux dire, c’est que pendant les représentations de Don Carlos à Paris, je me rendrai à la Scala dans le cadre du prestigieux Salon du Meuble, afin de donner un récital, avec l’orchestre de la Scala dirigé par Michele Spotti. Après Don Carlos j’irai en tournée avec le London Symphony orchestra et le Maestro Gustavo Dudamel, pour interpreter la Sheherazade de Ravel au Liceu de Barcelone, au Madrid Auditirio Nacional de Musica, et au centre Barbican de Londres. Puis en juin je participerai à un recital de mélodies de Rachmaninov avec Mzia Bachtouridze à l’opéra de Francfort, puis à une autre soirée de Gala au Gran Teatre del Liceu à Barcelona, et enfin Norma à La Scala, suivi d’Aida dans les Arènes de Vérone.
Entre autres engagements futurs : Hélène dans Les Vêpres siciliennes, Aida, Leonora du Trouvère, Lucrece Borgia de Donizetti, Médée de Cherubini, and Abigaile dans le Nabucco de Verdi. Beaucoup de prises de rôles et de bonne musique en perspective!
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2 commentaires
Très belle interview, très bien menée. Des questions et des réponses on ne peut plus intéressantes et révélatrices. Merci.
Merci à vous Claudine !