Renaud Boutin fait décidément preuve d’un bel éclectisme dans ses choix : après la redécouverte des Géorgiennes d’Offenbach en 2020 et 2021, puis L’Élixir d’amour la saison dernière, le voici qui s’attelle cette fois-ci au singspiel de Mozart La Flûte enchantée tout juste après avoir mis en scène la «tragédie lyrique en un acte» de Cocteau et Poulenc La Voix humaine à Paris au Théâtre de l’Opprimé.
© D.R.
Un projet sur lequel il a travaillé avec trois artistes ouverts à l’expérimentation, prêts à sortir de leur zone de confort et à découvrir d’autres langages que celui auquel ils sont habitués : le chant pour Cécile De Boever, la danse pour Gaël Rougegrez, le piano pour Fabrice Boulanger. Renaud Boutin a ainsi imaginé un spectacle étonnant où la protagoniste, « Elle », contrairement à ce qu’on a l’habitude de voir, n’est pas seule sur le plateau : dans cette mise en scène tout sauf réaliste (on n’y voit ni appartement, ni téléphone…), la femme « dialogue », ou du moins échange avec un danseur qui peut être tout aussi bien l’homme auquel elle s’adresse que l’amant tel qu’elle le fantasme : on pénètre ainsi clairement dans la psyché du personnage, dans son univers intérieur bien plus que dans l’appartement parisien d’une femme délaissée…
Gaël Rougegrez et Cécile De Boever
Cette identité éclatée du personnage prend corps également dans les interventions du pianiste, lequel met occasionnellement en voix quelques répliques non mises en musique par Cocteau… Un spectacle dont on espère une reprise tant le concept qui le sous-tend est intéressant et original !
Scénographie Emilie Roy
Mais pour l’heure, c’est La Flûte enchantée qui occupe Renaud Boutin. Le chef-d’œuvre de Mozart peut être, on le sait, abordé de manières fort différentes, du récit d’aventures quasi tintinesque, comme la très belle mise en scène que Lavelli monta pour le festival d’Aix en 1989 (un spectacle hélas jamais repris à notre connaissance) au conte philosophique (Robert Carsen) via le conte pour enfants (Benno Besson) ou le récit initiatique maçonnique (David Mc Vicar).
Esquisses du décor de La Flûte enchantée
Renaud Boutin aborde quant à lui La Flûte enchantée de Mozart avec la ferme intention de renouer avec l’esprit originel de l’œuvre, à savoir celui d’un singspiel simple, accessible à tous. Si l’œuvre fut créée en 1791 par la troupe du théâtre populaire dirigé par Emanuel Schikaneder, ce sont les Amateurs du groupe lyrique de la Poste qui cette fois-ci l’interpréteront à l’Atrium de Chaville, les 2 et 3 décembre prochains. Comme pour L’Élixir d’amour la saison passée, Renaud Boutin s’est assuré la collaboration de lycéens : les élèves du lycée La Source (Nogent) et de l’École La Générale (Montreuil) ont en effet collaboré à l’élaboration de la scénographie et des costumes (signés Cécilia Delestre).
Maquettes des costumes par les élèves de l'Ecole La Générale
Maquette Cécilia Delestre
Sans renoncer aux différentes facettes de l’ouvrage (difficile de faire l’impasse sur les allusions à la franc-maçonnerie dont est émaillé le livret), Renaud Boutin a privilégié l’aspect « conte merveilleux », sachant que le conte est toujours vecteur d’un message philosophique…
Pour que ce message et plus généralement la trame narrative du livret soient accessibles au plus grand nombre, il a choisi de présenter l’œuvre en français, comme Mozart en son temps avait choisi l’allemand afin de pouvoir être compris de tous. Et pour ce faire, il a lui-même traduit le texte de Schikaneder, la version française disponible, celle de L.V. Durdilly (elle date de la fin du XIXe siècle) s’étant révélée à la fois assez infidèle au texte original et vieillie sur le plan poétique.
Une gageure que Renaud Boutin a relevée avec plaisir, même si certaines difficultés ou certaines contraintes ont surgi ici ou là : impossible, par exemple, de faire tenir les quatre syllabes de « la Vérité » dans les trois notes dévolues par Mozart à l’exclamation de Pamina : « die Wahreit » ! Sans parler de répliques aujourd’hui peu audibles parce que misogynes ou racistes (le « Weil ein Schwarzer häßlich ist » de Monostatos…).
Costumes réalisés par les élèves du lycée La Source
Un élément du décor de La Flûte enchantée
Il y aura, quoi qu’il en soit, dans ce spectacle, de quoi penser, de quoi s’amuser, de quoi s’émerveiller également, la dimension fantastique de l’ouvrage n’ayant nullement été occultée : « La dimension merveilleuse de l’œuvre surgira de symboles poétiques tels qu’on peut en voir, par exemple, dans les tableaux de Magritte, qui tout à la fois surprennent et donnent à penser, en nous apprenant à prendre du recul par rapport aux images et aux illusions qu’elles peuvent générer ».
Rendez-vous les 3 et 4 décembre prochains à l’Atrium de Chaville pour découvrir ce spectacle prometteur, conçu pour intéresser le public le plus large !